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3 e millénaire 67 sommaire Prière et Méditation Vers un sens de la profondeur, au-delà des techniques Vers une approche de l’Homme en devenir 36 Sens de la Prière et de la Méditation David CIUSSI 68 Je suis Conscience sans effort Wolter KEERS 12 Méditer c’est regarder pour la première fois Jean BOUCHART D’ORVAL 8 Méditation et éducation de l’esprit Vimala THAKAR 44 L’ultime méditation … Robert POWELL 42 Attention perceptive et méditation MARIGAL 40 Prière, méditation et non-dualité Jean-Marc MANTEL 16 Méditation dirigée, concentration, prières et autres sectarismes Eric BARET 4 Méditation Jean KLEIN 32 Prière et méditation Thierry VISSAC 76 Prière et méditation : la grande réconciliation Soline Connaissance des traditions 48 La méditation selon le chamanisme Claude Paul DEGRYSE 6 Prière et méditation Jacob NEEDLEMAN 54 La méditation en Occident 3 e MILLÉNAIRE 61 Du Cabinet de Réflexion F G à la Méditation maçonnique (3 e MILLÉNAIRE) 18 Pour une pédagogie de la “méthode anti-méthodique” que sont Prière pure et Méditation véritable 3 e MILLÉNAIRE Réflexion sur l’approche scientifique 56 Prière, méditation : quel effet sur la santé ? 3 e MILLÉNAIRE Témoins d’Éveil 24 Martin Heidegger : la méditation ou l’abandon à ”ce qui mérite qu’on interroge“ 26 Krishnamurti et la méditation, par David Bohm 22 Maurice Nicoll : l’enseignement de la prière dans le Travail sur soi 20 Étapes préliminaires à l’investigation spirituelle chez Rudolf Steiner Textes traditionnels : pédagogie de la prière du cœur 29 Walter Hilton : les trois degrés de la prière et de la contemplation 64 Philocalie : les trois modes de la prière Témoignages 58 Techniques spirituelles Didier SCHMIDT 72 Carnets de voyage intérieur 3 e MILLÉNAIRE Photo de couverture : © 3 e millénaire d’après Philippe Litzler et Philippe Puységur Rubriques 87 Courrier 88 Rubrique Livres 25, 35, 39, 43, 57, 60, 75, 81 Associations amies

3ième Millenaire n°67

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Prière et Méditation

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Page 1: 3ième Millenaire n°67

3emillénaire 67

sommaire

Prière et MéditationVers un sens de la profondeur, au-delà des techniques

Ve r s u n e a p p r o c h e d e l ’ H o m m e e n d e v e n i r

36 Sens de la Prière et de la Méditation David CIUSSI68 Je suis Conscience sans effort Wolter KEERS

12 Méditer c’est regarder pour la première fois Jean BOUCHART D’ORVAL8 Méditation et éducation de l’esprit Vimala THAKAR44 L’ultime méditation … Robert POWELL42 Attention perceptive et méditation MARIGAL

40 Prière, méditation et non-dualité Jean-Marc MANTEL

16 Méditation dirigée, concentration,prières et autres sectarismes Eric BARET

4 Méditation Jean KLEIN32 Prière et méditation Thierry VISSAC76 Prière et méditation : la grande réconciliation Soline

C o n n a i s s a n c e d e s t r a d i t i o n s

48 La méditation selon le chamanisme Claude Paul DEGRYSE6 Prière et méditation Jacob NEEDLEMAN54 La méditation en Occident 3e MILLÉNAIRE

61 Du Cabinet de Réflexion F � G �

à la Méditation maçonnique (3e MILLÉNAIRE)

18 Pour une pédagogie de la “méthode anti-méthodique”que sont Prière pure et Méditation véritable 3e MILLÉNAIRE

R é f l e x i o n s u r l ’ a p p r o c h e s c i e n t i f i q u e

56 Prière, méditation : quel effet sur la santé ? 3e MILLÉNAIRE

T é m o i n s d ’ É v e i l

24 Martin Heidegger : la méditation ou l’abandon à ”ce qui mérite qu’on interroge“26 Krishnamurti et la méditation, par David Bohm22 Maurice Nicoll : l’enseignement de la prière dans le Travail sur soi20 Étapes préliminaires à l’investigation spirituelle chez Rudolf Steiner

Textes t radi t ionnels : pédagogie de la pr ière du cœur

29 Walter Hilton : les trois degrés de la prière et de la contemplation64 Philocalie : les trois modes de la prière

T é m o i g n a g e s

58 Techniques spirituelles Didier SCHMIDT72 Carnets de voyage intérieur 3e MILLÉNAIREPho

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87 Courrier 88 Rubrique Livres25, 35, 39, 43, 57, 60, 75, 81 Associations amies

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méditation et prièrevers un sens de la profondeur, au-delà des techniques

a t-il plusieurs techniques de méditation etde prière, ou bien y a-t-il plusieurs niveaux

dans la méditation, comme dans la prière ?Les termes “prière” et “méditation” recou-vrent de nombreuses images, définitions et

pratiques que certains veulent divergentes et d’autrescommunes dans leur essence. L’Occident a tacitementétabli que méditer, c’était penser, et que prier, c’étaitaimer. Les techniques orientales de la méditation dévo-tionnelle et de la méditation sans objet semblent avoirlargement bousculé ces idées reçues… Faut-il, pour autant, voir la prière comme une simpledemande, “réclamation” ou “supplication” ?La Méditation, dite « cartésienne » en Occident, et « non-mentale » en Orient, possède-t-elle, selon la spiritualitéd’une culture et d’une époque, des sens aussi différents ?De nombreuses questions face à une pratique de la sim-plicité, prière ou méditation, s’éclairent et se dissolventsur une voie d’attention sans intention où « le chercheurest le cherché ».

« Demandez et il vous sera donné, cherchez et vous trouverez,frappez et il vous sera ouvert.En effet, celui qui est en demande reçoit,le “cherchant” trouve, et à celui qui frappe il est ouvert. »

Luc 11.9-10

« C’est comme si la terre méditait, l’atmosphère méditait ; c’est comme si le ciel méditait, l’eau méditait ; c’est comme si les dieux et les hommes méditaient.Donc quiconque parmi les hommes ici-bas atteint à la grandeur, c’est comme s’il recevait une part de la rétribution de la méditation. »

Chândogya Upanishad, VII, 6.

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EDITORIAL - 3

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Jean Klein

méditation

“ L’erreur : attribuer les états de plénitude, que nous connaissons de temps à autre, à un objet, à une circonstance…”

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www.f-45.com

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MÉDITATION - 5

Notre entretien vise la « lucidité éveillée »qu’on pourrait désigner par un état méditatif : laméditation.

Très souvent, quand on parle de la méditation,on voit un sujet méditant sur quelque chose, ce quipourrait éventuellement entrer dans un cadre deconcentration où on se concentre sur quelquechose avec un but et un résultat, mais la méditationn’est pas une concentration.

La concentration qui vise un but, un résultat estune projection pour atteindre ce but. Nous pouvonsseulement projeter, penser ce que nous connais-sons déjà, nous ne pouvons pas projeter l’inconnu.

Dans la concentration, le sujet qui médite surun objet reste dans le cadre de la cérébralité.

La méditation dont nous parlons est un état d’êtrequi est complètement en dehors de toute activitécérébrale, mentale et nous ne pouvons jamais déter-miner la méditation, comme nous l’entendons ici,nous ne pouvons jamais dire ce qu’elle est, nous pou-vons seulement dire ce qu’elle n’est pas.

Elle n’est pas le discernement, ni la discrimina-tion, elle n’est pas le résultat d’une discipline, del’accumulation d’un savoir, elle ne peut être obte-nue par des artifices, des stimulants de toutessortes, drogues ou stimulants affectifs ou intellec-tuels car tout cela se situe dans un cadre corporel etmental.

Quand cela est vu très clairement, tout le dyna-misme d’un chercheur nous quitte complètement et ilse fait une orchestration qui participe, qui pointe, quilaisse venir cet état méditatif situé tout à fait en dehorsd’un contexte de pensées, d’affects, de percepts.

Le désir qui découle d’une personne par décep-tion, contrainte dans la vie, ne peut jamais nousamener dans cet état méditatif car toute action,toute volition nous laisse toujours dans un cadrecérébral et est fondée sur un dynamisme, sur unetension qui se fait toujours entre l’avoir et le deve-nir. Cette tension n’est, au fond, que mémoire.Cette mémoire a été construite par le moi, par lapersonne pour se sécuriser.

Du point de vue de la personne, du corps, de lacérébralité, du mental, nous ne pouvons jamaissortir du processus avoir et devenir car tout celan’est, au fond, qu’un réseau de défense, une struc-ture qui surgit de l’anxiété, de la peur, du désir.

Quand on a totalement vu qu’aucune intentionne peut nous amener à cet état méditatif, tout dyna-misme de vouloir atteindre, saisir, prendre quelquechose, nous quitte complètement et il en résulte unsilence, un état de totale décontraction où ce qu’onpeut appeler méditation devient un pressentiment.

� Jean Klein , auquel nous avons rendu hommage dans le n°48,enseigna en France, en Europe et aux Etats-Unis de 1960 à 1998.Lire aux éditions Les Deux Océans : L’insondable silence,Paris, 1986 et A l’écoute de soi, Paris, 1993 (www.lesdeuxocéans.fr).Voir la suite de sa bibliographie p 81. Voir aussi les articles dans 3e millénaire n°1, 2, 4, 6, 12, 15, 17,33 à 38, 40, 41, 42, 45 à 52, 56, 58, 62.

La personne qui veut chercher l’état de paix, dejoie, de félicité n’a, à sa disposition, que le connu etcela se fait uniquement dans l’acte de prendre, desaisir ; par contre quand l’état méditatif est pressen-ti, la personne est dans un état de recevoir, complè-tement différent de celui où le moi veut se perfec-tionner, se sécuriser.

Le pressentiment de l’état méditatif, le pressenti-ment du Soi – notre nature foncière – est un don quel’on reçoit.

Ce pressentiment vient directement du Soi et cetétat méditatif est complètement en dehors de l’espa-ce-temps et permet à toute projection, dans toute laRéalité, d’être dans cet état éveillé, lucide.

Nous connaissons cet état… nous connaissons,de temps à autre, ces états où il n’y a plus de désir,mais plénitude totale.

L’erreur vient de ce que nous attribuons cet étatde plénitude à un objet, à une circonstance, maisdans cette plénitude, les soi-disant objets ou causesde cette plénitude ne sont pas présents et le mêmeobjet nous laisse, à un moment donné, complète-ment indifférent ou devient, même, détestable.

“ Voir qu’aucune

intentionne peut nous

amener à cet état

méditatif…”

Cela nous prouve bien que cet état méditatif qui,en quelque sorte, est un « non-état », est sans cause.

Il est notre nature foncière.

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On peut définir la prière comme la méthodeappropriée à la croyance en une divinité trans-cendante, et la méditation comme celle appro-priée à une religion visant à une prise deconscience du dieu intérieur. Cependant, l’hin-dou prie en face de l’image de son choix duSeigneur, et le chrétien contemplatif s’engagedans une activité qui n’est pas moins à propre-ment parler de la méditation que l’« assise »d’un moine bouddhiste.

Dans son essence, la prière est aussi peuconcernée par l’obtention d’avantages que lapratique de la méditation. L’expérience surve-nue à un hindou du XIXe siècle en fournit unexemple éclatant. Après avoir essayé plusieursfois de prier pour le soulagement de la souf-france de sa famille, il dut renoncer complète-ment car chaque fois qu’il devenait conscient dela présence de la divinité, il était alors si sub-mergé qu’il se trouvait dans l’impossibilité delui demander quoi que se soit.

Dans la tradition musulmane, la prière est ledroit et la responsabilité essentiels de l’hommeen vertu de sa position centrale sur le plan cos-mique. Par sa profession de foi « il n’y a pasd’autre Dieu qu’Allah », le musulman affirmedirectement la vérité dont toute création est uneexpression indirecte. Pour le musulman, la priè-re est à la fois un aveu de la foi et un acte desoumission individuel à Allah. Les prières qu’ilrécite cinq fois par jour contiennent une suitedéfinie de postures dans lesquelles l’individu setient debout, s’incline et se prosterne. Ainsi, soncorps se partage-t-il entre la reconnaissance desa dignité essentielle en tant qu’homme et sadépendance absolue de Dieu.

Dans la prière des indiens d’Amérique,l’individu s’expose aux pouvoirs du GrandEsprit en « appelant une vision. » Pour cela, ildoit avoir un grand courage et de la détermina-tion. Guidé par un sage au travers de rituels depurification et de consécration, il se préparepour sa veillée, nu et seul au sommet d’unemontagne. C’est seulement en prenant

conscience de la profondeur de son besoin et decelui de la communauté avec laquelle il partagetous les bénéfices qu’il reçoit, que le chercheurpeut parvenir à prier en face de sa propre vulné-rabilité. [1]

Dans la tradition judéo-chrétienne, la prièreest la rencontre de l’homme et de Dieu. Selonl’une des formes de l’Hassidisme, le mouve-ment mystique juif : « Les gens s’imaginentprier devant Dieu. Mais ce n’est pas le cas, carla prière elle-même est l’essence de la divini-té. » [2]

De la même façon, un chrétien contemplatifdu XIVe siècle, comparait la prière à un appel àl’aide qui surgit chez un homme poussé auxlimites de ses ressources. Cette image doit sug-gérer la totalité de l’objectif, pas la violence :« car aujourd’hui, le contemplatif doit être conti-nuellement immobile et attentif au point le plusculminant et le plus absolu de son esprit. » [3]

Pour cette tradition, la prière constitue un effortpour trouver l’endroit où l’homme est le pluslui-même – le fondement de son Etre – qui est,par le mystère de l’Amour, l’endroit où il est leplus relié à Dieu.

Chacune des traditions religieuses présentel’homme avec cette surprenante affirmationqu’il n’est pas vraiment ce qu’il croit être. Parexemple, dans le christianisme, on trouve laparabole du fils du roi qui dilapide son héritageau milieu des pourceaux Les sages hindousdéclarent que le véritable Soi est le témoinimmuable infini. Le bouddhisme montre que lacroyance en une identité individuelle est l’illu-sion fondamentale produisant toutes souf-frances.

Jacob Needleman

prière et méditation

Chacune des traditions religieuses

présente l’homme avec cette

surprenante affirmation qu’il n’est pas

vraiment ce qu’il croit être…

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PRIÈRE ET MÉDITATION - 7

Du point de vue traditionnel, la médiationest un travail de laboratoire grâce auquel unhomme peut arriver à se connaître lui-même telqu’il est. Si la méditation a souvent été rejetéecomme de la passivité superficielle, peut-êtreest-ce parce que les instructions données pourmonter le laboratoire ont été confondues avec ladescription de l’expérience elle-même. Uneconscience relâchée est considérée comme unecondition nécessaire à l’étude, et les influencesdu corps qui y contribuent, sont soigneusementprises en compte.

La Bhagavad-Gîta, l’un des textes les plusimportants et les plus connus de l’hindouisme,recommande une position équilibrée pour laméditation – « avec le corps droit, la tête et lanuque restant immobiles et ne bougeant pas ;avec le gaz intérieur qui n’est pas au repos… »– accompagnée d’une façon de vivre équilibrée :« Le yoga est une harmonie. Pas pour celui quimange trop, ni pour celui qui mange trop peu ;pas pour celui qui ne dort pas assez, ni pourcelui qui dort trop. » Comme tout scientifiquemenant une enquête, le méditant doit mener sonétude de façon impartiale – « maître de son men-tal, n’espérant rien, ne désirant rien. » [4] Entravaillant dans cette direction, un chercheurpeut observer en lui-même l’action des lois cos-

Notes bibliographiques

[1] - Voir Joseph Epes Brown, The sacred Pipe (Baltimore :Penguin Books, 1972), Ch. IV, Hanblecheyapi : Crying for aVision.[2] - Buber Martin, Hasidism and Modern Man, MauriceFriedman (New York : Harper and Row, 1966), p. 89.[3] - The cloud of unknowing and the book of privy counseling,p. 95.[4] - The Bhagavad Gita, trad. Juan Mascaro (Baltimore :Penguin Books), CH. VI : 13, 16, 18.

� Jacob Needleman est Professeur de philosophie à l’Université de San Francisco. Il est l’auteur de nombreux ouvrages dont “A la recherche du christianisme perdu” (Albin Michel, 1990), publié en langue française, et d’articles parus dans 3e millénaire (n°25, 29, 32, 36, 39 et 65)Traduction : 3e millénaire

miques qui gouvernent le jeu de la Nature - etaussi se délivrer de leur contrôle. Paradoxalement,la méthode elle-même demande que l’on trouveune voie vers « l’œil du cyclone » afin d’en étudierles forces.

© Sylvie Cha

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/ [email protected]

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méditation et éducation de l’esprit

Vimala Thakar

… Tout le système d’éducation devra subir une nouvelle orientation

où les enfants seront initiés à leur propre esprit…

Il est nécessaire d’inclure la science de l’esprit dans les programmes,

dans leurs études. Ils devraient être initiés à cette machine

de l’esprit-cerveau ; comment elle est créée, comment elle fonctionne…

Photo © Jean-Marc Robion

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MÉDITATION ET ÉDUCATION DE L’ESPRIT - 9

J’ai des amis qui viennent me voir et disentqu’ils ne peuvent trouver le temps de méditer, neserait-ce qu’une heure. Je mets en doute la valeurde cette déclaration disant que la méditation néces-site du temps en dehors de la vie quotidienne. Nousn’avons pas été élevés comme il convient etn’avons pas de rapports scientifiques avec notrecorps, nous ne connaissons pas notre système ner-veux, notre système musculaire, nous ne savonspas le genre d’aliments et de nutrition dont nousavons besoin – nous n’avons pas pénétré ceschoses. Lorsqu’une génération conve-nablement éduquée vivra dans unebonne sorte de rapports, il n’y aurapas de dérèglement du régime ali-mentaire, du sommeil ou de l’organis-me physique. Et, la totalité de cetorganisme sera sensible, alerte etpénétrante. Alors, cette lucidité dansles rapports et ce mouvement de liber-té dans les rapports, cet acte de médi-tation sera aussi naturel que respirer. Aujourd’hui,nous sentons que c’est impossible car quelquechose de très cruel a été fait à nos esprits, au nomde l’éducation.

Alors par quoi devons-nous commencer ?

Au début, il nous faudra réserver un peu detemps pour nous asseoir seul, à l’écart, et découvrirsi l’esprit peut être silencieux. J’espère que tout lesystème d’éducation, à travers le monde, subira uneréorientation radicale et que les enfants seront édu-qués dans ce nouveau rythme. Aussi, au début,sera-t-il nécessaire de réorganiser nos rapports avecle sommeil, le régime alimentaire et l’exercice.Mais, dès que vous avez compris le juste rythme devie physique, il n’est plus alors nécessaire de réser-ver un temps à part pour s’asseoir dans un coin etdécouvrir ce qui se passe.

La méditation consiste à observer le mouve-ment de l’esprit dans les rapports humains. Si vousessayez de contraindre l’esprit au silence, en vousretirant de l’activité, vous ne comprendrez jamaisce qu’est le silence. Votre expérience de prétendusilence sera celle d’un silence mort. Il y a une gran-de beauté dans la découverte de ce qu’est le silenceen action. La méditation est une approche nouvellede la vie dans sa totalité, elle ne vous demandeaucun isolement.

Pourriez-vous développer ce qu’est la médi-tation ?

Le mot méditation demande, en effet, à être unpeu clarifié. Le silence en mouvement est méditation.

En général, nous considérons le fait de concentrertoute l’énergie sur un point comme étant la médita-tion. S’asseoir calmement quelque part, s’abstenir detoute activité du corps et de l’esprit, et concentrertoute l’énergie sur un point, est pour moi de laconcentration et non pas la méditation. La concentra-tion est une activité exclusive de l’esprit. La médita-tion est le silence de l’esprit en totalité. Dans laconcentration, on doit soustraire l’énergie à tout ce

qui est autre, la concentrer sur un cer-tain point désiré, qui peut être l’imagede Dieu ou le portrait d’un instructeurreligieux ou spirituel, une flamme, ouquelques symboles de la vie universel-le, mais l’on détermine à l’avance lepoint d’attention, on rassemble toutel’énergie et on la concentre sur cepoint prédéterminé. C’est par erreurque l’on a nommé cela méditation.

C’est la concentration. Elle développe une capacitémentale. Elle accroît la sensibilité de l’esprit, elleaiguise l’instrument de l’esprit et manifeste de nom-breux pouvoirs occultes enfouis. Tout cela peut sortirde la pratique de la concentration, mais cela n’a abso-lument rien à voir avec la méditation, laquelle estpossible dans les rapports humains, dans le mouve-ment, dans l’action. La méditation est une attentionqui inclut tout. Nous disions, il y a une minute : « lesilence en mouvement est méditation ». Non un silen-ce statique. Non un silence négatif signifiant absenced’activité. Ce n’est nullement le silence. L’absence deparole n’est pas le silence. Le silence est une forcepotentielle et formidablement créatrice. C’est uneforce très dynamique. La méditation est donc unenouvelle approche de la vie, en laquelle nous regar-dons la provocation objective, les réactions subjec-tives et, simultanément, les causes des réactions sub-jectives, sans nous identifier à aucune d’elles. Or, sivous ne savez pas ce qu’est l’esprit, cette méditationne peut pas fleurir en un jour. Notre esprit nous estétranger. Le mécanisme de l’esprit, l’anatomie de lapensée et de la mémoire nous sont étrangers. Je penseque tout le système d’éducation devra subir une nou-velle orientation où les enfants seront initiés à leurpropre esprit. On leur enseigne la science de la matiè-re : la physique et la chimie. Il est nécessaire d’in-clure également la science de l’esprit dans les pro-grammes, dans leurs études. Ils devraient être initiésà cette machine de l’esprit-cerveau ; comment elleest créée, comment elle fonctionne. Si les enfantssont initiés à leur esprit, la peur du subconscient sera

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10 - VIMALA THAKAR

éliminée de toute la structure psychologique. Ceci estpour la prochaine génération. Pour autant que lesadultes soient concernés, on doit commencer parprendre connaissance de son propre esprit. Observercomment il travaille, observer comment nous vivonsde seconde main à travers nos émotions, nos sensa-tions et nos sentiments. Comment nous les disonsnôtres et nous identifions avec. Observer tout cecisera le commencement de la méditation. Etre initié àl’intime et délicate inter-relation entre le corps del’esprit, est méditation.

Vous savez, l’organisme humain tout entier estcomme un bel instrument de musique à cordes. Lesystème nerveux, le système musculaire, leur inter-relation, c’est une étude très romanesque – voircomment la qualité de la nutrition affecte la qualitédes réponses ; comment la qualité du sommeildénature, déforme et colore la nature des réponses,le lendemain. Observer tout cela est méditation.Celle-ci étant connaissance de soi. Ne rien savoir surle soi, ne pas amasser de théories ou accumuler lesexpériences d’autres personnes, ne pas accumulerau sujet de soi, mais observer ce moi en mouvement.Prendre connaissance de soi-même est très amusant.Quand on apprend cet art de s’observer en action,beaucoup de vanité et d’orgueil disparaît réellement.Les rapports humains sont comme un miroir. Nousdevrions regarder dans ce miroir pour découvrir ceque nous sommes. Non pas lire des livres sur la reli-gion, la philosophie et la psychologie. Ils nous four-niront de l’information. Mais découvrir personnelle-ment, de première main, le fait de la vie, n’est pos-sible que lorsque nous regardons, du matin au soir,dans le miroir des rapports humains.Jamais ils ne nous tromperont. Lesrapports humains révéleront la mes-quinerie, la superficialité, la suspi-cion, la jalousie que nous entretenonsdans notre cœur ; nos attachements,notre amertume, tout cela se révèledans les rapports humains. Ainsi,regarder cela est méditation. L’on abesoin d’humilité pour regarder sespropres réactions sans louer ou réprimander. Lesregarder et les exposer à la lumière de la claire per-ception est une chose formidable.

Il m’a semblé, en écoutant vos propos, que laconcentration est un peu une voie de traverse ?

La concentration n’a absolument rien à voir avecla spiritualité, la découverte de la vérité, la médita-tion, la libération ou le Nirvâna. Elle va dans la direc-

tion totalement opposée, renforçant la consciencepersonnelle de soi, accentuant la sensibilité de cetteconscience, élargissant la sphère des expériences etde la pénétration cérébrale. On a donc à libérer l’es-prit de ses illusions, quant à la nature de la médita-tion. Elle transcende le cerveau conditionné. C’est lacroissance d’une personne dans une dimension entiè-rement nouvelle de la conscience où les expériencesdélibérées parviennent à un terme ; où celui qui faitl’expérience, la conscience personnelle de soi, laconscience de l’ego, sont complètement maintenusen suspens, où la dualité parvient à un terme et où lerapport fragmentaire de sujet à objet avec la vie s’ef-fondre complètement.

La méditation est un mode de vie totale, et nonune activité partielle ou fragmentaire. Je ne sais passi c’est une manière orientale ou occidentale deconsidérer cela. La vie est simplement “êtreté”, étatd’être. Elle se borne à être.

Quelle forme pourrait prendre cette nouvelleéducation que vous évoquiez ?

On doit rester tranquillement avec soi-même,pendant un certain temps, pour observer le mouve-ment de sa pensée, pour être dans l’état d’observa-tion. On doit apprendre à faire cela parce que, dèsque vous vous mettez en état d’observation, lesvieilles habitudes d’introspection, d’attribution devaleur remontent à la surface. Même en une frac-tion de seconde, l’état d’observation peut êtreperdu, vous redevenez le juge, l’auteur d’uneaction, celui qui fait l’expérience. Jour après jour,

on doit s’éduquer. Que vous appeliezcela discipline, sâdhana, maîtrise desoi ou de quelque autre nom qui vousplaira, il vous faut passer par cetteauto-éducation, apprenant commentobserver.

Si une personne est sensible etattentive, l’intervalle entre deux ins-tants d’observation peut être petit, et sielle est insensible, léthargique et lente,

cet intervalle peut s’élargir et s’approfondir.L’incrustation des conditionnements physiques etpsychologiques peut être si épaisse que l’état d’ob-servation est difficilement soutenu.

Y a-t-il une autre manière d’éduquer l’esprit ?

Si on trouve trop difficile d’observer les mou-vements de l’esprit, alors observons et surveillonsl’inhalation et l’exhalation du souffle. On voyage

… libérer l’esprit de ses illusions,quant à la naturede la méditation.

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MÉDITATION ET ÉDUCATION DE L’ESPRIT - 11

pour ainsi dire avec le souffle, vers l’intérieur etvers l’extérieur. L’acte même d’observer le soufflerend sensible.

C’est ainsi que l’esprit apprend à être tranquilleau milieu du mouvement physique et mental. Laconscience personnelle de soi perd cet aiguillonqui la pousse à faire éternellement des expériences.Elle vit et agit dans cet état d’humilité qui est celuid’un observateur.

Même s’il s’agit d’une question ambitieuse,j’aimerais vous demandez jusqu’où peut aller ledéveloppement d’une personne ayant été éduquéedans la bonne direction ?

Une personne vivant dans un état au-delà de ladualité devient une manifestation en chair et en osde l’unité, de la plénitude de la vie et, selon moi,c’est le couronnement de la croissance humaine.Mais l’homme n’est pas encore mûr pour cela. Il aaffiné son corps, son cerveau, mais il doit encoreparvenir à cette maturité de la conscience à laquel-

le la méditation lui donne accès. Aujourd’hui,nous ne sommes des êtres humains que par laforme, et non par le contenu. Pour moi la divini-té, c’est l’humanité affinée et purifiée. L’hommedoit parvenir à une condition de vie dans laquelleune société fondée sur l’amour, l’amitié et lacoopération, sur un ordre à la fois social, écono-mique et politique, une société libérée de la vio-lence, naîtra.

C’est pourquoi la méditation est une voie de larévolution psychique. La crise est dans la psyché et, parconséquent, elle doit trouver sa solution dans la psyché.

� Vimala Thakar est l’auteur : de Le Yoga au-delà de la méditation - Commentaires sur les Yogas Sûtrasde Patanjali, Ed. A.L.T.E.S.S., 2000 ; L’Energie du Silence, Ed. Accarias / L’Originel, 1991 ;La bénédiction d’être vivant - au-delà de la prise de conscience, Le Courrier du livre, 1986…Voir aussi 3e millénaire n°3, 4, 14, 23, 53 et 65.

© M

arie-Franc

e Zurlin

den [email protected] http://mfz.free.fr

Page 12: 3ième Millenaire n°67

Vous avez déjà enseigné la méditation,mais il semble que depuis quelquesannées vous en parlez différemment.Qu’est-ce que méditer pour vous ? Quelgenre de méditation recommandez-vous ?

Si vous pratiquez la méditation pourarriver quelque part, pour engranger desprofits, pour devenir quelque chose, pourvous libérer ou pour devenir un être réa-lisé, alors que faites-vous de vraimentdifférent de la plupart des êtres humainsqui calculent et s’inquiètent sans répit ?Par contre, si vous vous donnez à des ins-tants libres de ce genre d’arrivisme et depetitesse – et de tels moment surgissentchaque jour, il suffit d’être attentif –alors vous sortez de l’habitude. L’acteque n’entrave aucun but est pure puissan-ce. La méditation désencombrée de toutedirection volontaire est pur éclat.

Comme vous le dites, à une certaineépoque il m’est arrivé de dispenser des« cours de méditation ». Cette formulation

méditerc’est regarder pour la première fois

Jean Bouchart d’Orval

Photos © Sophie Thouvenin [email protected] www.prismes.com

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malheureuse a peut-être laissé croire qu’il y a des ins-tructions spéciales, quelque chose à faire, àapprendre, à mémoriser et à emporter chez soi pour leressortir plus tard, quand on éprouve de la difficulté àfaire face à sa vie. Non. Il n’y a pas de système, il n’ya pas de truc. Vous posez la question d’un « genre »de méditation. Or, tant que la méditation a un genre,cela demeure une activité mondaine. Il n'est donc pasquestion de méditation bouddhiste, de méditation zen,de méditation dynamique, de méditation soufie etc.Tout cela c’est de la poudre aux yeux, c’est du spec-tacle ; ne vous laissez pas impressionner par lesimages, par le décorum et les réputations que se sontlaborieusement forgées les gurus à la mode, lesgérants d’ashrams et les directeurs d’écoles de médi-tation, qu’ils soient occidentaux ou orientaux. Voyez,même les chrétiens tentent désespérément de récupé-rer ce mot populaire depuis quelques décennies :après deux mille ans de bavardage inutile et lacondamnation de la méditation par le pape actuel, il ya maintenant une méditation chrétienne…

La question d’un « genre de méditation » est trèsliée à celle d'une autorité spirituelle et de toutes lesbêtises qui viennent avec cela. J’ai personnellementété témoin du désolant spectacle d’êtres humains cap-tifs d’un système de méditation et d’une idéologie delibération personnelle ; j’ai vu des gens à premièrevue très brillants être complètement subjugués par lapensée d’un malheureux « être réalisé » affligé dubesoin compulsif d’être approuvé et admiré. Je les aivus adhérer à une doctrine et suivre la ligne du« parti » avec le même aveuglement que les Jésuites oules gardes rouges chinois du temps de Mao. Il fautavoir vu les romantiques adeptes de tels groupusculessectaires s’agglutiner pendant des années dans deslieux exotiques pour se concentrer. Il faut avoir vu tousces gens se retirer dans ces camps de concentration etmême souvent se mettre des bouchons dans les oreillespour « méditer », afin de ne pas entendre la rumeur dumonde, qui n’est rien d'autre que la rumeur de Dieu.Je puis témoigner que vingt, trente ans plus tard, cesdormeurs posent toujours les mêmes questions et

La vie méditative, c’est la maturité du regard, dans lequel il n’y a plus l’habituelle ruée bovine sur des objets

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14 - JEAN BOUCHART D’ORVAL

reçoivent toujours les mêmes réponses formulées dela même manière et avec les même mots. Derrière lesbarbelés psychologiques dressés par leur guru autourdu camp, les croyants se sentent toujours aussi frileuxdevant la vie et ses grands espaces ouverts.

Je remercie les dieux de m’avoir mis en contactavec cette caricature, où le maître est incapable d’en-tendre la moindre critique ou suggestion d’une autreapproche et où les disciples se sentent immédiatementmenacés à la suggestion d’un autre système ou, suprê-me horreur, de l’absence de système. Ce fut pour moiune grande leçon : j’ai vu comment naissent lessectes – toutes les sectes, dont la plus grosse est l’Églisecatholique –, les systèmes, les encadrements et lesstructures. J’étais assis aux premières loges.

Mettre lourdement l’accent sur une quelconquetechnique et sur une idéologie pour se libérer, c’est unestratégie pour ne plus ressentir sa vie telle qu’elle est.Ce réflexe pathologique face à la peur et à la souffran-ce (qui n’est rien d’autre qu’avoir des problèmes avecla réalité) est, bien sûr, un ajournement. Cet ajourne-ment peut être nécessaire, quand notre trajectoire pas-sée dans l’espace-temps ne nous laisse pas le choix,mais ça n’en demeure pas moins un ajournement.

De grâce, soyez un peu sérieux ! Si vous avez lacapacité d’entendre cela, alors vous n’en serez plusréduit à aller faire la queue pendant des heures pourrecevoir l’accolade d’une figure exotique qui flatte lesimages romantiques populaires. Vous ne ressentirezplus le besoin de ce genre de pitreries. Vous serezlibre de cette frilosité qu’est la religion sous quelqueforme que ce soit. Les religions, les idéologies, lesgroupes hiérarchisés, avec leurs leaders, leur autorité,leurs dogmes, leurs promesses, leurs techniques etleurs programmes pour vous éviter de ressentir lamisère de ce que vous avez échafaudé dans votre vie,sont des calamités dont vous pouvez très bien vouspasser tout de suite, sans autre simagrée. Dans tous lesgroupes religieux, autour de toutes les autorités spiri-tuelles, on retrouve invariablement les mêmes pro-messes de mieux-être pour plus tard. Vous devezaccepter de penser et de vivre de telle manière, de pra-tiquer tel rituel ou telle méditation, de marmonner telmantra, toutes choses qui vous insensibilisent et vousrendent stupide maintenant dans le but de vous libé-rer plus tard. Croyez-vous vraiment que toutes cessingeries peuvent vous être de quelque utilité pourvoir clair et vous comprendre ? Je ne dis pas qu’il nefaut pas se sentir en résonance avec un courant spiri-

tuel quand une évidence se présente, mais s’identifierà un groupe, vouloir faire carrière dans le bouddhismeou le christianisme, c’est un symptôme de peur oud’ennui. Vous seriez mieux de ressentir votre peur oul’ennui de votre vie et d’y voir clair, au lieu d’allervous cacher et grelotter en groupe derrière une doctri-ne de libération future.

Quand vous pratiquez une technique, vous répéteztoujours la même chose, vous essayez de revivre lamême situation afin d’exorciser tout ce qui remet enquestion votre savoir sur le monde et sur vous-même.C’est complètement mécanique. Comment pouvez-vous espérer qu’un monceau de conditionnementsvous mène un jour à la liberté ? C’est cela la grandeillusion de ce genre de pratiques spirituelles, dont laprincipale utilité est de faire rouler les affaires de ceuxqui veulent vous sauver à tout prix, de ceux qui veu-lent vous libérer sans que vous ayez à être présentdans votre vie, bref, tous ceux qui se veulent indis-pensables dans votre vie. On peut comprendre la pra-tique de techniques en vue d’acquérir une habiletéprofessionnelle, pour apprendre la clarinette ou laboxe, mais pour vivre la liberté…

Qu’y a-t-il donc derrière cette névrose très ancréequi consiste à s’en remettre à une technique, à un autreêtre humain, à une façon de penser ou à une nouvelledrogue ? La peur ! La peur de sentir qu’en fin decompte on n’est absolument rien, du moins rien de toutce qu’on a pu imaginer, y compris les images infantilesqu’on se crée sur « Dieu » ou sur « le Soi ». Ce n’estpas un blâme à l’endroit de ceux qui croient qu’unetechnique ou un guru va les dispenser de se voir et dese comprendre : l’être humain en est réduit à de tellesâneries parce qu’il n’a pas le choix, parce qu’il n’a pasla force et l’humilité d’être simple, direct et honnêteavec lui-même. Ainsi, vous ne pouvez demander à unenfant de trois ans de comprendre ce qu’un adulte peutcomprendre. Il n’y a rien à imposer à qui que ce soit.Il n’y a aucun jugement ici, simplement une constata-tion. Par contre, si vous avez l’humilité d’entendrecela sans peur, sans retourner dormir devant un« éveillé », dans un groupe ou derrière une idéologie,alors vous allez peut-être découvrir vous-même quetout est beaucoup plus simple et infiniment plus beauque ce que votre mémoire vous inflige.

La méditation n’a vraiment rien à voir avec unetechnique. Méditer c’est regarder pour la premièrefois, alors que pratiquer une technique consiste à répé-ter pour la nième fois. Se concentrer c’est se couper de

Qu’y a-t-il donc derrière cette névrose très ancrée qui consiste à s’en remettre à une

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MÉDITER C’EST REGARDER POUR LA PREMIÈRE FOIS - 15

la vie, c'est un manque de respect envers ce qui est là.Qu’est-ce donc que vous ne voulez pas voir dansvotre vie au juste et pourquoi ? Il n'y a pas à seconcentrer ; il n’y a qu’à écouter, regarder.

Méditer ce n’est ni fuir les objets ni aller à lapêche pour en attraper ; ce sont là les deux facettesd'un même manque de maturité. Tout ce qu’on attend,tout ce qu’on espère, tout ce qu’on peut comprendre,ce sont des objets, c’est-à-dire quelque chose qu’unobservateur particulier découpe de toutes parts parrapport aux autres « objets » et par rapport à l'arrière-plan silencieux. Si vous allez à la chasse ou à la pêcheau fond des bois, vous risquez de tuer un animal ou unpoisson qui, comme vous, ne demande qu’à vivre. Cen’est certes pas là une marque de grande sensibilité,mais quand vous partez chaque jour à la pêche inté-rieure pour attraper quelque chose de substantiel,vous faites preuve d’une insensibilité encore plus fon-damentale : vous n’allez peut-être pas tuer un animal,mais vous allez tuer, ou du moins ensevelir, ce qui envous est vivant. Au bout de quelques années, vous irezgrossir les rangs des vieux croûtons qui errent à la sur-face de la soupe prétendument spirituelle de cette pla-nète. Chercher à distinguer un objet, chercher à com-prendre, chercher un état de conscience, vouloir trans-cender le monde, devenir un être réalisé, tout cela reflè-te un manque de clarté et c’est encore un compromis.

Mais alors le mot méditer a-t-il un sens pour vous ?

La méditation c’est le respect total de ce qui est là,le respect de la vie telle qu’elle est. C’est le respect dece que j’appelle ma vie, avec mon corps et mon psy-chisme tels qu’ils sont. C’est la non-violence parfaite.Cela veut dire que vous ne faites plus dans l’ailleursou dans le plus tard. Vous ne pensez plus à votre vie,vous la vivez clairement, directement.

Vous savez ce que veut dire vivre ? Cela veut direêtre présent : sentir, ressentir, goûter, regarder, écou-ter. Ce n’est pas anesthésier cette sensibilité en vivantdans un monde abstrait tissé de notions engluées demots. Quand vous voyez un arbre, un cerf, un homme,vous vous donnez vraiment à la vision et aussi à ceque vous sentez en vous, vous vous abandonnez autoucher intérieur. Vous n’êtes pas en train d’évaluerl’âge de l’arbre, si c’est un beau cerf ou un hommesympathique. Bien sûr, toutes ces notions peuventvous venir – vous ne choisissez pas ! – mais vous nemettez pas l’accent sur elles. Vous êtes beaucoup trop

occupé à ressentir, à toucher, à goûter, pour avoir letemps de courir après des concepts ou des opinions.C’est un manque de temps… Généralement, quand onperçoit un objet, un visage ou une énergie, que fait-onimmédiatement ? On se détourne de la réalité pour setourner vers les images proposées par la mémoire.C’est cela vivre de manière abstraite, complexe, vir-tuelle. La vie est très simple, sauf quand on la regar-de à travers le brouillard de la mémoire.

Observez bien ! Notez ce que vous échafaudezpar-dessus la perception du moindre objet physiqueou mental. Voyez ce que vous construisez encore quiétouffe et ensevelit le regard. Au moment même oùvous plongez la main nue dans la neige, il n’y a rien àpenser, à juger, à analyser ni à classifier. Au momentmême où vous ressentez la tristesse, la colère ou lapeur, il n'y a pas davantage à penser ou à « com-prendre ». À un moment donné, il vous apparaît étran-ge de rechercher autre chose que ce qui est là, autrechose que ce qui est offert par la vie. Vraiment, celaparaît très étrange.

Voyez les enfants – tant ceux des êtres humainsque ceux des animaux –, voyez comme ils ne sontque regard, écoute, sensibilité, attention. C'est univer-sel, c'est inné ; voilà notre vraie nature. N’y a-t-il paslà un signe très clair ? C’est avec l’accumulation desimpressions mentales laissées par les innombrablesexpériences passées que nous nous mettons à vivredans l’habitude. Avec le temps nous en venons àaccepter l’idée que ce n’est pas la première fois, laseule fois, que nous ouvrons les yeux sur le monde.La notion d’objet va alors de soi et il ne nous vientplus de douter de la réalité de nos images. Notre cer-veau, très tôt dans notre vie, a échafaudé une imagedu « monde » à partir des impressions des cinq sens.Nous sommes dès lors convaincus de la solidité deschoses « là-bas » et d’un moi « ici ». Le cerveau aconstruit les notions même de « là-bas » et « ici ».Mais si vous absorbez des substances hallucinogènes,alors vous voyez différemment et avec la mêmeconviction. Est-il vraiment nécessaire de se livrer auxdrogues pour voir l’aspect fallacieux de nos fragilesimages du monde ? Il suffit d’être attentif !

Pendant combien de temps allons-nous rêver etremplacer une image par une autre image ?

La vie méditative, c’est la maturité du regard,dans lequel n’y a plus l’habituelle ruée bovine sur desobjets. C’est une persistance du regard.

(suite p 84)

technique, à un autre être humain, à une façon de penser ou à une nouvelle drogue ? La peur !

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ans notre monde moderne où les droitsde l’homme et le combat anti-fascisteprennent, à juste titre, tant de place,comment ne pas récuser tout ce quiporte en soi les prémisses de l’exclu-

sion, de la séparation ?Nous voulons spécifique-

ment parler de techniques deméditation dirigée, deconcentration ou de prière.En effet, quoi de plus fascis-te que de s’entraîner à sélec-tionner un objet de médita-tion, c’est-à-dire à refusertout ce qui est autre que cettefixation ? Quelle noblessedans la concentration visantun but, un résultat ? Tout cequi n’est pas l’objet de monchoix – inévitablement idéo-logique – se trouve classifiécomme distraction, dérange-ment. Les appels à l’aide de

mon voisin, lestéléphones quisonnent, le bruitdes voitures et lesexigences répé-tées de ma femme et de mes enfants, toutce qui fait la vie n’est plus respecté,écouté. Au lieu d’intégrer harmonieuse-ment ces demandes, d’en approfondir les

méditation dirigée, concentration,

prière et autres sectarismes

Eric Baret

« Puis-je prier pour autre chose que de réaliser que je n’ai rien, je ne suis rien, voilà ma richesse, ma méditation. »

L’Anonyme d’Alger

tenants et les aboutissants, je ressens cet environne-ment comme une gêne à ma méditation, ma concen-tration. Il y a même des gens qui vont quelque part –dans un « centre » de « méditation » – pour prati-quer cette fuite de la réalité.

La concentration n’est quel’aspect pseudo-spirituel dufascisme, celui qui décide cequi est plus ou moins, justeou injuste. Toutes les foliesreligieuses ne sont que desprolongations de cette préten-tion à savoir la juste directionvers laquelle je tends.

Bien sûr, la concentrationfonctionnelle du conducteurou du joueur de tennis n’estpas en cause ici. Car ellen’est pas intrinsèquementvolontaire, mais plutôt unamour, une disponibilité à cequi nous intéresse naturelle-ment : le moment présent.

Les orien-tations reli-gieuses pro-fitent déses-pérément du

désarroi socioculturel ambiant pourenrôler dans leur rang les plusfaibles de nos concitoyens. On nedénoncera jamais assez les sectes,

D

“Peu importe la forme que prend l’émotion : peur, angoisse, tristesse ou autre, toute émotion laissée libre

tactilement nous ramène à la joie.”

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MÉDITATION DIRIGÉE… ET AUTRES SECTARISMES - 17

tristes caricatures du monde moderne, et en particulierla plus importante d’entre elles : la secte chrétienne,sous ses différentes obédiences, dont les immensesrichesses témoignent avec éloquence de son intérêtpour l’humilité, le détachement et la simplicité.

Quintessence de l’égotisme de cette école : laprière, clé de voûte de ses superstitions. En effet,toute prière porte en elle le préjugé que, si je ne priaispas, il y aurait une erreur dans le monde. Prier pourla paix signifie toujours souhaiter la victoire de moncamp. Rappelons l’appel à la prière du pape actuel dela secte catholique lorsque la Pologne, son pays, futun peu malmené par un gouvernement militaire ;dans le même temps, de considérables massacresavaient lieu dans de nombreuses parties du mondesans créer d’émotions particulières…

Toute prière porte en elle les germes de la mendi-cité. Elle rabaisse l’humain à la clochardisation spiri-tuelle. Laissons la paix mondiale et autres fadaisesdignes de la pax romana crucifier sur leurs routestout ce qui résiste à cette paix. Prière et concentra-tion, rébellion contre la réalité et espérance d’undemain différent, sont les deux mamelles des forcesdualistes à l’œuvre dans le monde.

Libre à jamais de toute tentation réactionnaire, laméditation comme écoute de la vie, réceptacle de noslimites et reconnaissance de notre nullité, se présentecomme un regard non sectaire sur le monde. La médi-tation sans tension ni attente de quoi que ce soit, pré-sence libre de toute localisation, s’impose non commequelque chose à accomplir mais comme ultime accom-plissement d’instant en instant, sans récupération pos-sible. L’absence d’un méditant, cœur de la méditation,ne se laisse pas penser. Perception sans exclusion,toute la richesse de la vie s’y déploie librement.

La méditation non dirigée n’est pas passivité. Dans une écoute sans demande, les émotions fon-

damentales – la peur, l’agitation, la tristesse – se pré-sentent sans restriction. Elles deviennent l’objet de laméditation : non plus un objet choisi idéologique-ment mais un objet qui se présente naturellementquand on lui en laisse la possibilité.

Non conceptuelle, pure perception sensorielle,l’émotion apparaît comme une localisation corporelle.Libérée de tout dynamisme d’attente, cette tension vaenfin pouvoir s’exprimer. La localisation se délocaliseorganiquement, la perception passe par tout un mondetactile insoupçonné jusque-là. A mesure qu’il s’étaledans l’ensemble de notre corporalité, ce rythme inter-ne quitte ses caractéristiques de restriction et se réin-tègre dans notre tranquillité essentielle. Ce chant desénergies est l’essence du yoga cachemirien. L’émotioncesse d’être ce qui empêche la tranquillité, l’ennemi à

combattre par la méditation, la prière ou la concentra-tion : au contraire, ce ressenti libéré de sa conceptuali-sation apparaît comme ma richesse la plus profonde.

Toute émotion, quand elle est laissée libre de res-triction, nous ramène à l’émotion essentielle : le JeSuis, dont elle n’est qu’une prolongation. Voilà le cœurde la théorie musicale, dramaturgique, sculpturale del’Inde, comme l’a montré le grand Abhinavaguptadans ses commentaires sur le natya sastra de bharata.

Tout le monde, d’ailleurs, pressent cette vérité. Aucours d’une pièce de théâtre ou d’un opéra, nous res-sentons la souffrance, la tristesse de la situation ;quelques minutes après nous disons « quel bel opéra !,quelle merveilleuse pièce de théâtre ! » : nous vivonsl’harmonie. Devant un film d’horreur ou dans lesmontagnes russes d’une fête foraine, nous sentonstotalement la peur ; dès l’événement fini nous vivonsla joie, la non-peur. Ce qui nous réjouit tellement,c’est de laisser vivre en nous, s’étaler, l’émotion sen-sorielle. Peu importe la forme que prend l’émotion :peur, angoisse, tristesse ou autre, toute émotion lais-sée libre tactilement nous ramène à la joie. Voilà la

méditation selon le tantrisme non dualiste : je nechoisis plus un objet de méditation, c’est l’objet émo-tion qui me choisit naturellement, d’instant en instant.

Quelle meilleure résonance, pour ce troisième mil-lénaire, que de nous éveiller à cette présence, lumièrede nos vies ? Pourquoi ne pas laisser les forces de ladualité fascisante, du Bien et du Mal, du savoir, desreligions et autres méditations intentionnelles, retour-ner dans l’oubli d’où l’arrivisme et le besoin écono-mique humains les font émerger quand la liberté innéeprésidant à notre conditionnement semble s’oublier ?

“Je ne choisis plus un objet de méditation, c’est l’objet émotion qui me choisit naturellement, d’instant en instant.”

� Éric Baret est l’auteur de recueils d’entretiens : “Les crocodiles ne pensent pas ! Reflet du tantrisme cachemirien” (Éd. de Mortagne, 1994), “L’eau ne coulepas” (Éd. du Relié, 1995).“Le yoga de la non-dualité”(CD, Éd. de Mortagne, 1996), “Le Sacre du Dragon”(Éd. J.-P. Latesse, 1999). Voir aussi des entretiens parus dans la Revue 3e millénaire n° 25, 26, 40, 41, 43, 44, 45, 46, 47, 50, 51, 52, 56, 59, 61, 62, 64, 65 et 66. Contact : R.R.N.O. (Recherche pour des RelationsNon Objectives) B.P. 9036 - 04990 Digne les Bains Cedex

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outes les “techniques” ou méthodesde méditation ou de prière reposentprincipalement sur une phase deconcentration – ou d’« attention à ».

Cette étape, dite nécessaire et indispen-sable par les protagonistes de l’ap-proche méthodique, n’est pourtant pastoujours bien comprise par les « prati-ciens » eux-mêmes – qu’ils soientapprenants ou enseignants. Seul unéclaircissement de cette pratique peutrendre celle-ci réellement libératrice.En effet, en deçà d’une « vision péné-trante », la “technique” reste concentra-tion, mais jamais Méditation véritablesans support ou Prière pure sans objet.

La concentration : une approche pédagogique

Pour comprendre, à la fois, cequ’est la concentration, en quoi elle estlimitée, et son statut d’étape sur le che-min qui “peut” mener à la méditationou prière véritable, il est nécessaire dedécouvrir notre inattention constante,ou, plus exactement, l’identification denotre attention aux disfonctionnementsqui nous agitent. Fragile, notre atten-tion vole constamment d’une idée àl’autre, mue par diverses passions :l’envie, la colère, la peur, la vanité,l’anxiété, l’ennui, …

La constatation de ce phénomèned’inattention peut s’enrichir de l’im-pression effective de ne pas être pré-sent, de ne pas être conscient de soi, dene pas être « équanime »,… Le besoinde “méthode” se fait alors sentir plusou moins fortement ; ce besoin “nou-veau” peut même ajouter une tension àla détresse ou à la « torpeur » généraledans laquelle se déroule notre vie psy-chologique.

La plupart des méthodes qui prô-nent la sensation du corps : de la respi-ration, de la posture, des gestes et desmouvements, envisagent une saineapproche pédagogique vers la médita-tion véritable. D’une part parce queleur point de départ se rapporte au seuloutil dont nous disposons, notre corps,

et, d’autre part, parce qu’elles indi-quent concrètement la base fondamen-tale de notre oubli ou de notre absence :notre corps. Cette absence de sensa-tion corporelle profonde, de plénitudecorporelle, d’ancrage,… est le facteurpremier de la brutalité, de la bêtise, dela lourdeur, de la superficialité, ou,plus généralement de notre inconscien-ce. En effet, le corps est le miroir del’âme ; recourir à cet outil de connais-sance de soi est alors primordial.

Toutefois, sentir ou percevoir sarespiration (dilatation de l’inspir, pro-fondeur de l’expir,…) procède d’uneattitude de concentration sur une per-ception, ou sur un ensemble de sensa-tions, aussi subtile soit-elle ! C’estl’étape d’une méditation sur, médita-tion avec objet, ou d’une prière vers ;toutes deux soutenues par la pensée(représentation de Dieu, image corpo-relle, point d’ancrage dont la finalitéest de focaliser l’attention, etc.).

Vers la connaissance de soi : découvrir l’intention de notre attention

L’observation des pensées qui,selon certaines méthodes, doivent êtreobservées, sans jugement, « comme desnuages qui passent dans le ciel », relè-ve du même principe de concentrationou d’« attention à ». Cette approchepermet certes de découvrir les diffé-rentes sortes de pensées qui nous habi-tent ainsi que leurs mobiles divers etvariés, mais elle ne peut s’opérerréellement sans intention, c’est-à-dire « sans jugement » plus d’un ins-tant – il s’agit là du principe d’inten-tionnalité confirmé par les sciencescognitives. Ainsi, il ne peut y avoird’observateur indépendant des penséesobservées : observer les pensées estdonc un processus auto-limité.

L’approche pédagogique tientcompte de cette étape inévitable et pré-conise alors une tout autre découverte :la méditation ou la prière sans objetqui n’est plus ni une “pratique”, ni une“expérience”, dans la mesure où la vie

Pour une

pédagogie de la

« méthode anti-

méthodique » que sont

Prière pure et Méditation

véritable

3e millénaire

T

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POUR UNE PÉDAGOGIE… - 19

s’en trouve radicalement transformée,et où la Méditation et la Prière devien-nent alors le cœur même de notre vie,et non un moment privilégié de res-sourcement.

Le passage à cette toute autredécouverte consiste en un changementtotal d’attitude. Au préalable, l’obser-vateur, celui qui, jusqu’à présent, seconcentre sur ou est attentif à, tente dese mettre au centre de l’observation.La connaissance de soi éveille une« vision pénétrante » par la découvertedu besoin ou du motif qui, depuis lesdébuts de “ma” pratique, me contraintà l’attention. Pour dire cela autrement :il s’agit d’apprendre à découvrir l’in-tention de notre attention.

En effet, la concentration (médita-tion sur ou prière vers) n’est pasdépourvue de l’intention d’échapper à(la souffrance, la colère, l’angoisse,l’ennui, le ridicule, etc.) ; de fait, ellen’est pas dépourvue d’émotion, et, parconséquent, de jugement. Ainsi, dansla concentration, les passions viennentdes étages inférieurs de notre person-nalité, envahissent et dominent la“tête”. Par le processus de concentra-tion, la “tête” – ou le penser – n’estpas libre ou vacante, mais fixée etasservie au désir (qui n’est que l’en-vers de la peur !).

Lorsque l’on commence à devenirsensible à cette dramatique confusion,à cet esclavage de la “tête” aux émo-tions, et à ce conditionnement desémotions par la “tête” (les pensées), onne sait plus comment faire pour sortirde ce cercle infernal. L’éveil véritableest à ce prix : on devient « pauvre enesprit »…

Vers la Méditation sans objet ou la Prière pure

Arrivé à ce seuil du « Royaume desCieux », notre âme peut s’ouvrir à une« docte ignorance » réellement nouvel-le. Mais avant cette ultime étape, nosquestions se précisent, se reformulentsans cesse, avec exigence…

Comment faire pour observer sansmobile, librement, sans jugement ?

Profondément, il n’y a plus deréponse satisfaisante à cette questionspirituellement vitale. Dire qu’il ne fautplus se poser de questions si fondamen-tales est une erreur grave. C’est, selonune expression tout aussi abominable :jeter le bébé avec l’eau du bain.

Le questionnement croît alors avecla dernière passion qui nous habite, cellequi se fait, à certains moments, « joiesans objet » ou « prière pure ». Mais cequestionnement n’est plus le fruit de nossouffrances, c’est l’élan libérateur denotre “tête” éveillée et de notre cœurdevenu mâture – l’un comme l’autreétant devenu indépendant l’un del’autre, libres.

Mais il est certain que la remise encause d’une pratique surfaite qui, audépart, n’était pas envisagée commeune simple étape, faute d’une pédago-gie véritable, ne s’opère pas sans l’im-pression de perdre pied ou de n’avoirplus aucun repère. Par conséquent,donner l’impression à un apprentiqu’il avance sans se poser de question,sans être devenu un chercheur, sansavoir découvert, en lui, une certainetémérité spirituelle, c’est l’induire gra-vement en erreur et l’aliéner à un sys-tème, sectaire par définition.

Ce qui manque le plus aujourd’hui,c’est la pédagogie spirituelle. Selon uneformule non-duelle, il est dit, qu’à l’étapeultime : « le chercheur est le cherché ».Cette sentence est naïvement considéréecomme l’indication d’une cessation oud’un arrêt de la recherche ; c’est voir, là,une mort et non la vie ! Lorsque « lechercheur est le cherché », la rechercheest véritable, elle est libre de touteéchappatoire, elle vit à travers un toutnouveau mode d’existence intérieure oùl’Amour est la substance même duPenser et où la joie est au cœur de l’es-prit éveillé : la méditation est alors véri-table dans une prière pure et sans objet.

“ Pour comprendre

ce qu’est

la concentration

et en quoi elle

est limitée (…)

il est nécessaire

de découvrir notre

inattentionconstante. ”

“ Comment

faire pour

observer sans mobile,

librement,

sans

jugement ? ”

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our le fondateur de l’anthroposophie, laprière est – d’autant plus en ce début dutroisième millénaire – l’indispensabledémarche préliminaire à la mystiquequi, elle-même, est l’étape préliminaireà l’investigation spirituelle. Elle contri-

bue à donner la chaleur nécessaire à nos espritsfourbus d’abstractions froides – aussi lumineusesparaissent-elles parfois !

Ainsi, pour Steiner, « tandis que le mystiqueprésume que, grâce à sa méditation, il trouveradans son âme une petite étincelle capable de croîtreet de briller, celui qui s’adonne à la prière s’effor-ce précisément de produire cette étincelle… »

Notre âme entre deux courants

Par une étude phénoménologique de notre viepsychique, nous avons « l’impression que deuxcourants se rencontrent continuellement dansl’âme humaine : l’un qui émerge du passé, etl’autre qui de l’avenir vient à nous. » Steinerreconnaît qu’il est inconcevable d’envisager l’exis-tence d’un courant venant de l’avenir, mais il sefonde ici sur une « impression » phénoménolo-gique. « Chaque fois que l’âme ressent crainte etangoisse, elle démontre, par la réalité de ses senti-ments et sensations, qu’elle compte non seulementavec les effets du passé, mais aussi avec ceux dufutur qui viennent à sa rencontre… N’est-ce pointlà un genre de sensation, de sentiment éprouvéface à un avenir qui demeure inconnu ? »

Ainsi, que notre conscience se tourne vers lepassé ou vers l’avenir, elle peut aborder deuxtypes d’expériences bien particulières.

Observation du courant du passé

En revoyant certains événements de notrepassé, nous pouvons éprouver – si tant est quenous ayons l’honnêteté requise – une certaine« désapprobation » (ou « refus »), mais aussi lesentiment qu’« il existe en nous quelque chosed’infiniment plus riche et plus significatif que ceque nous avons fait de nous ». Cette aptitude àjuger, à partir du présent, les actes passés dontnous avons la seule responsabilité, et l’impression« de repentir ou de honte » qui peut en résulter,induit, « en transformant un tel jugement en unsentiment », le pressentiment qu’existe « en nousquelque chose qui nous dépasse… Cette expérien-ce suscite en nous l’éveil d’un sentiment divin.Cette intuition pour quelque chose de supérieur ennous constitue la première lueur d’un sentimentd’intimité divine se manifestant dans l’âme…»

Approche du courant de l’avenir

Tourné vers l’avenir, nous éprouvons, parcontre, « des sentiments d’angoisse et de peur,d’espoir et de joie. Toutefois, dans un premiertemps, l’homme nourrissant ces sentiments-là nese trouve pas encore confronté à ce courant d’ave-nir. Il ne le déchiffre pas encore. Mais ici, il lui est

de la prière

à la mystique

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3 e millénaire

Étapes préliminaires

à l’investigation spirituelle

chez Rudolf Steiner

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DE LA PRIÈRE À LA MYSTIQUE - 21

plus facile que dans le premier cas de transformer enun sentiment les concepts et les idées. »

En découvrant à quel point nos sentiments s’op-posent systématiquement à ce « courant inconnu etinsondable » de l’avenir, « nous avons l’impressionprofonde que notre âme peut s’enrichir et s’épanouirau-delà de ce qu’elle est ».

Les deux chemins de la prière

Au sein d’une observation honnête du passé nouséprouvons notre incomplétude. Nous percevons, avecun certain remord, que l’être supérieur, le divin quinous habite, n’a pas participé à notre vie intérieure :nous étions absent à sa présence. « Quand une telledisposition se manifeste dans l’âme, que ce soit sousforme d’un sentiment, d’une parole ou d’une idée,nous sommes dans une attitude de prière s’adressantau passé, et cheminons sur une des voies conduisantpieusement au divin. » Cette première attitude depiété et d’humilité provient d’un sentiment d’imper-fection métamorphosé.

Une seconde attitude de prière s’éveille en nouslorsque nous constatons que notre vie psychique estdévorée par des sentiments de peur et d’angoisse faceà l’insondable avenir : un sentiment de sécurité inté-rieure, de « confiante acceptation » peut alors s’infil-trer en nous. Sur ce point, Steiner souligne qu’il nes’agit pas de « résignation » mais « d’une attitude dedisponibilité toute particulière ». Par cette « autreattitude de recueillement… il s’agit de s’adonner à ceque l’on appelle la sagesse divine au sein des événe-ments, de continuellement recréer en soi l’idée, lesentiment, l’impulsion de la sensibilité intime àl’égard de ce qui adviendra. » Quoiqu’il arrive, pardelà nos peurs, nos craintes et nos angoisses, unlâcher-prise est toujours possible ; c’est un autre che-min de prière.

« Lorsque le passé nous enseigne qu’il y a ennous plus de richesses que nous en avons exploitées,notre prière est un cri s’adressant au divin pour qu’ilsoit présent et nous emplisse de sa présence…

Il en est de même pour l’attitude de recueillementface au futur, lorsque nous vivons dans l’angoisse etla crainte à l’égard de ce que l’avenir est susceptiblede nous apporter. »

Prière et conscience de soi

Par la pratique de ces deux chemins de prière, laconscience de soi se développe comme une présence« lumineuse et chaleureuse ». « Lumineuse » pour êtredevenue capable de « recevoir ce que les profondeursténébreuses de l’avenir peuvent engendrer. » ; et« chaleureuse » pour avoir découvert, par le recueille-ment, le « noyau central de notre être intime ».

Ceux qui vivent les vrais fondements de la prièreéprouvent cette « chaleur d’âme ». L’aspect « lumi-neux » est plutôt ressenti par « ceux qui sont familia-risés avec le sentiment de confiante acceptationpropre à la prière ».

Avec cette attitude d’acceptation s’élève un senti-ment d’assurance face à tout ce qui nous entoure ; nouspressentons que « c’est la sagesse du monde qui rayon-nera vers nous ! … notre âme aspire au sublime ».

Mystique et investigation spirituelle

Steiner fait judicieusement remarquer qu’« observéde la sorte, la prière est libre de toute superstition. » etqu’elle « constitue la phase préparatoire à l’expérien-ce mystique, laquelle à son tour est l’étape préparatoi-re à ce que l’on appelle l’investigation spirituelle ».

Dans cette perspective, il convient d’apprendre àprier suivant les deux chemins décrits ici. De nom-breux mystiques se contentent de cultiver la prière defaçon unilatérale ; ils visent la seule chaleur intérieuredu Dieu caché en nous, omettant de chercher la lumiè-re ou l’illumination qui révèle Dieu en toute chose.

Deux voies s’offrent ainsi à nous : l’une condui-sant vers « l’intérieur de l’âme où le Moi constituel’unité des expériences psychiques », l’autre menant« au-delà de ce que les sens peuvent voir et de ce quel’intelligence quotidienne peut comprendre ».

Ces deux modalités complémentaires de la mys-tique préfigurent l’investigation spirituelle décritepar Steiner en termes de connaissances supérieures.

Les citations ci-dessus sont extraites du recueil de conférences deRudolf Steiner intitulé Expérience de la vie de l’âme, E.A.R..

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Le Rappel de Soi

ans l’enseignement du Travail sur Soi,la notion de prière et la notion deRappel de Soi sont si intimement liéesque l’une ne peut être séparée del’autre. Sans Rappel de Soi, la Prièreest impossible. Un homme dans son

état ordinaire ne peut prier. Pour prier, il doit setrouver dans un état de Rappel de Soi. Prier dansnotre état ordinaire, c’est prier dans un état desommeil, et prier dans un état de sommeil estinutile. Il ne peut y avoir de réponse à une telleprière, car elle ne mène nulle part.

Rappelons ce qu’il est dit, dans le Travail, surles différents états de conscience. Quatre états deconscience sont possibles, ordinairement l’hommene connaît et ne vit que dans deux états appelésdans le Travail états de sommeil. Le premier ou leplus bas de ces état de conscience est celui du som-meil du corps… Un homme passe un tiers oumême plus de son temps dans cet état. Le secondétat de conscience est celui dans lequel les genspassent le reste de leur vie… Ils considèrent cetétat comme actif et l’appellent « conscience lucideou état de conscience de veille »… Toutefois, dansce soi-disant état de veille, l’homme n’est niconscient de lui-même ni conscient des autres. Ilvit et meurt dans les ténèbres…

Le troisième état de conscience est le Rappelde Soi, Conscience de Soi ou Eveil à Soi… Lascience occidentale n’a pas vu le fait que nous nepossédons pas cet état de conscience. Et, nous nepouvons pas uniquement le créer en nous-mêmepar un désir immédiat, ou par la décision de vivredésormais dans un état de Conscience de Soi.Quoique ce troisième état constitue le droit natu-rel de l’homme tel qu’il est, il ne le possède pas àcause des conditions anormales de son existence.Aujourd’hui, cet état de conscience ne survientque sous forme de flashs occasionnels et c’estseulement après une longue pratique, par tâtonne-ments, qu’un homme peut commencer à ré-établirun état de Rappel de Soi en lui-même…

Ainsi, une aide ne peut intervenir que dans letroisième état de conscience. Elle ne peut des-cendre et atteindre les gens dans les ténèbres danslesquelles ils vivent quotidiennement et se conten-tent d’exister. Toutefois, prier dans l’état de som-meil – prier à partir du soi-disant état de veille –est comme rêver que l’on prie, car dans ce secondétat de conscience nous rêvons aussi et tout estirréel, toutefois nous ne le remarquons pas, àmoins de faire l’expérience d’un instant deconscience appartenant au 3ème ou au 4ème état deconscience et d’en voir la différence. Donc, quandun homme prie, il doit juste se rappeler lui-même.Il doit être conscient de lui-même et de ce sur quoi

Le docteur Maurice Nicoll (1884-1953), alors qu’il tra-vaillait déjà avec C. G. Jung, rencontra P.D. Ouspensky en1921. Dès les années suivantes, il alla étudier avec G.I.Gurdjieff à l’Institut de Fontainebleau. En 1931, sur lademande d’Ouspensky, il initia un programme de travailconsacré à la transmission des idées qu’ils avaient reçues.Toute sa vie il montra un vif intérêt pour l’enseignement duchristianisme primitif, pour le Néoplatonisme et pour l’in-terprétation des rêves.

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Maurice Nicoll

l’enseignement de la prière

dans le Travail sur Soi

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L’ENSEIGNEMENT DE LA PRIÈRE DANS LE TRAVAIL SUR SOI - 23

il est en train de prier. Il doit ressentir la significationde tout ce qu’il dit et se sentir lui-même en train de ledire. Il doit sentir que c’est vraiment “Je” en lui qui prieet non pas un ensemble de petit “moi” effrayés ou de“moi” mécaniques créés par habitude. Et, finalementun homme ne peut ni prier ni se rappeler lui-même saufs’il sent qu’il y a à la fois un état supérieur de lui-mêmeet quelque chose de supérieur à lui-même…

Les trois frères en l’Homme

Le Travail insiste sur le fait que, pour Prier, lestrois centres de l’homme doivent prier ensemble. Sile mental est seul à prier, sans le cœur, il ne peut yavoir de réponse. C’est l’Homme tout entier qui doitprier mais, dans son ensemble, l’homme est avanttout constitué de trois hommes – trois frères qui,habituellement, sont toujours en désaccord. Si cestrois centres, dans la maison à trois étages qu’estl’homme, travaillaient en harmonie, nous serionsdéjà dans le troisième état de conscience. Il serait suf-fisamment éveillé pour recevoir de l’aide, pour obte-nir une réponse à ses requêtes. Mais ces trois frèresen un seul homme ne coopèrent pas et c’est précisé-ment là le principal problème…

L’étude de la multiplicité de notre être qui carac-térise notre niveau d’être, commence par l’observa-tion des centres. Les trois centres travaillent indépen-damment en raison des conditions anormales d’exis-tence du monde moderne, produisant des développe-ments unilatéraux. Chaque perception consciente etchaque manifestation d’un homme devrait être lerésultat d’un travail coordonné des trois centres, cha-cun devant faire partager ses associations, de savoiret d’expériences. Au lieu de cela, le travail de ces dif-férents centres est de nos jours presque entièrementdéconnecté de l’ensemble. Les centres intellectuel,émotionnel et moteur ne coopèrent pas les uns avecles autres mais se corrigent et se complètent, et errentsur des chemins qui ne se rencontrent que rarement.Pour cette raison, l’homme est rarement conscient, et,

pour la même raison, il n’est pas une individualitémais trois personnes distinctes qui coexistent en dis-harmonie. Le premier pense en étant complètementisolé des autres ; le second ressent de la même façon ;et le troisième agit mécaniquement, selon ses vieilleshabitudes. Si le développement était normal, ces troishommes en un seul, l’homme intellect, l’hommeémotion et l’homme instinctivo-moteur, n’en feraientqu’Un, en harmonie avec les différentes dimensionsde lui-même…

Lorsqu’ils leur arrivent de coopérer, ce qui esttrès rare, l’homme est, à cet instant, dans un toutautre état de conscience. Il est conscient, au sens del’enseignement donné dans le Travail, car il est à lafois en possession de toutes ses facultés et conscientde chacune d’entre elles. Sa conscience embrassetous les centres en même temps, au lieu d’être res-treinte à l’un ou à l’autre, ou à une petite partie del’un d’eux. Cette extension ou expansion deconscience, qui inclut tous les centres en mêmetemps, n’est pas si extraordinaire, c’est véritablementl’état qu’un homme normal devrait posséder. C’est letroisième état de conscience – l’état de Rappel de Soiou de Conscience de Soi – qui est un droit de l’hom-me et dans lequel il est né, mais qu’il a perdu très tôtdu fait de l’influence des personnes endormies quil’entourent. C’est à cause des mauvaises influences,d’une mauvaise éducation, et des mauvaises condi-tions d’existence dans la vie moderne que l’homme achuté de cet état de conscience, qui reste pourtant sonétat naturel… S’il connaissait cet état, il serait impos-sible à l’homme d’agir comme il le fait aujourd’hui.

Les éléments du texte, ci-dessus, sont extraits dePsychological commentaries on the Teaching of Gurdjieff andOuspensky. 6 Volumes, Samuel Weiser, Inc, P.O. Box 612 - YorkBeach, ME 03910-0612 USA.

Voir aussi : The New Man, an interpretation of someparables and miracles of Christ, Robinson and Watkins, 1972(7ème édition).

l’enseignement de la prière

dans le Travail sur Soi

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ntrer dans le sens (Sinn) tel est l’être de laméditation (Besinnung). Ceci veut direplus que de rendre simplement conscientde quelque chose. Nous ne sommes pasencore arrivés à la méditation, lorsquenous n’en sommes encore qu’à la

conscience. La méditation est davantage. Elle estl’abandon à « ce qui mérite qu’on interroge ».

Par la méditation ainsi comprise, nous arri-vons proprement là, où sans en avoir expérienceni vue distincte, nous séjournons depuis long-temps. Dans la méditation, nous allons vers unlieu à partir duquel seulement s’ouvre l’espaceque chaque fois parcourent notre faire et notrenon-faire.

Méditer est d’une autre essence que le« rendre-conscient » et le savoir de la science,d’une autre essence aussi que la culture(Bildung). Le mot bilden (« former ») signified’abord : dresser un modèle-image et produireun modèle-écrit. Il signifie ensuite donnerforme, en les développant, à des dispositionspréexistantes. La culture place devant l’hommeun modèle (Vorbild) suivant lequel il développeson faire et son non-faire. La culture a besoind’une image directrice assurée au préalable etd’un emplacement défendu de tous côtés. La

production d’un idéal commun de culture et sonrayonnement présupposent une situation del’homme qui ne soit pas mise en question et quisoit assurée dans toutes les directions. Cette pré-supposition, de son côté, doit se fonder dans unefoi à la puissance irrésistible d’une raisonimmuable et de ses principes.

Au contraire, la méditation est la seule ànous diriger vers le lieu de notre séjour. Celui-ci demeure toujours historique, c’est-à-dire ànous assigné, que nous le représentions, l’ana-lysions et lui donnions une place en mode « his-torique » ou que nous croyions pouvoir, par unacte de notre seule volonté, nous détacher arti-ficiellement de l’histoire en nous détournant del’« histoire ».

Comment et par quel moyen notre séjour his-torique adosse et achève son habitation : laméditation n’en peut rien décider d’une façonimmédiate.

L’âge de la culture touche à sa fin, non parceque les incultes arrivent au pouvoir, mais parceque les signes d’un âge du monde deviennentvisibles, où pour la première fois « Ce qui méri-te qu’on interroge » ouvre à nouveau les portesvers l’être (zum Wesenhaften) de toutes leschoses et de tous les destins.

Martin Heidegger

Philosophe annonciateur de la « fin de la philosophie »,Martin Heidegger est reconnu pour avoir porté, en plein XXe siècle, un questionnement ouvert sur l’Être dans l’esprit des voies tracées par Platon et Aristote. Le sens qu’il donne à la « méditation » reste éminemment traditionnel, quoique adapté à chaque histoire personnelle. Si, pour le philosophe, « méditer » c’est bien « penser », cela ne signifie pas qu’il suffise de raisonner ou de discuter intérieurement pour réellement commencer à « méditer ».

la méditationou l’abandon à «ce qui mérite qu’on interroge»

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Nous répondons à l’appel de l’ampleur, àl’appel de la retenue de cet âge, lorsque, com-mençant à méditer, nous nous engageons dansla voie déjà suivie par cette situation qui semontre à nous dans l’être de la science, maisnon pas là seulement.

Néanmoins, rapportée à son époque, laméditation demeure plus provisoire, pluspatiente et plus pauvre que la culture antérieu-rement pratiquée. Mais la pauvreté de la médi-tation est la promesse d’une richesse dont lestrésors brillent à la lumière de cet Inutile qu’onne peut faire entrer dans aucun calcul.

Les voies de la méditation changentconstamment, suivant le point du chemin oùcommence un passage, suivant le trajet qu’ilparcourt, suivant les grands aperçus qui s’ou-vrent en chemin sur « Ce qui mérite qu’oninterroge ».

Bien que les sciences, sur leurs voies pré-cisément et avec leurs moyens, ne puissentjamais pénétrer jusqu’à l’être de la science,tout savant, cependant, tout homme quienseigne les sciences ou qui passe par unescience peut, comme être pensant, se mouvoirà des niveaux différents de la méditation et lesmaintenir en éveil.

Mais là même où, par une faveur particu-lière, le degré suprême de la méditation seraitune fois atteint, celle-ci devrait se contenter depréparer seulement un état de disposition pourla parole dont l’humanité d’aujourd’hui abesoin.

Celle-ci a besoin de la méditation, maisnon pour mettre fin à une perplexité acciden-telle, ou pour vaincre les répugnances quis’opposent à la pensée. Elle a besoin de laméditation comme d’une réponse(Entsprechen) qui s’oublie dans la clartéd’une interrogation incessante de l’êtreinépuisable de « Ce qui mérite qu’on interro-ge », interrogation à partir de laquelle, aumoment approprié, la réponse perd son carac-tère de question et devient simple dire.

Extrait de Science et méditation, in Essais et conférences, Gallimard, 1958.

Mani, Christ d’Orient Bouddha d’Occident

670 pages, 36 photos couleur (Musée manichéen), 120 ill. originales.

Traduction de 80 psaumes manichéens d’anglais en français et rééddition du Traité manichéen chinois (1911).

Lorsqu’on parle aujourd’hui de manichéisme, on songe rarement à cet homme exceptionnel, à ce Messager de la Lumière que fut Mani (216-276). Sept siècles après le Bouddha, deux siècles après le Christ, quatre siècles avant Mahomet, celui qui se présentait déjà comme le réunificateur de l’Orient et de l’Occident, le « Paraclet de la Vérité », ou le « Sceau des Prophètes », transmit une vision du monde et de la vie si puissante qu’elle se répandit, de manière totalement pacifique, de l’Afrique à la Chine, des Balkans à la péninsule arabique. Ce livre audacieux et explosif, rigoureux dans sa démarche et révolutionnaire dans sesconclusions, explique en quoi l’homme de ce début de troisième millénaire est plus que jamais concerné par les interrogations comme par les réponses que proposa le manichéisme, et montre comment l’œuvre exceptionnelle de Mani et de ses disciples détient, peut-être, le secret de notre avenir…

(présentation détaillée : www.septenaire.com ou http://perso.wanadoo.fr/fav). Editions du Septénaire 41, rue Tourtel Frères 54116 TANTONVILLETél 03 83 52 46 17 - Fax 03 83 52 53 22Email : [email protected] : 38 € + Port : 3 €

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Portraits d’amis spirituels

Katie Baron

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omin

ica

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e premier contact que j’eus avecl’œuvre de Krishnamurti fut en 1959quand je lus son livre Première etDernière Liberté. Ce qui m’intéressa plusparticulièrement fut l’examen en profon-deur de la question « Observateurs et

choses observées ». Cette question était depuislongtemps au cœur du mon travail – en tant quethéoricien de la physique – intéressé au départ parla théorie des quanta. Dans cette théorie, pour lapremière fois dans le développement de la phy-sique, l’idée que « observateur et observé » nepeuvent être séparés, a été avancée comme néces-saire pour la compréhension des lois fondamen-tales de la matière en général.

A cause de ceci, et également à cause de biend’autres choses, je sentis qu’il était urgent pourmoi de parler à Krishnamurti directement et per-sonnellement aussitôt que possible. Et quand je lerencontrai lors de l’une de ses visites à Londres, jefus frappé de voir à quel point il était facile decommuniquer avec lui. Ceci était rendu possiblepar l’intensité de son attention et la liberté, hors detoutes barrières et protections, avec laquelle ilréagissait à ce que j’avais à dire. En tant qu’indivi-du engagé dans la recherche scientifique, je mesentais tout à fait à l’aise avec ce genre de réaction,parce qu’elle était – en essence – de la même qua-

lité que celle que j’avais rencontré lors du contactavec d’autres scientifiques avec qui j’étais en com-munion d’esprit. Et je pense plus particulièrementà Einstein qui faisait preuve d’une même intensitéet absence de barrière pendant les nombreuses dis-cussions qui eurent lieu entre lui et moi.

Après cela, je commençai à voir Krishnamurtirégulièrement et à discuter avec lui chaque foisqu’il venait à Londres. Ce fut le début d’une asso-ciation devenue d’autant plus étroite que je me suisintéressé aux écoles, telles que Brockwood Park enAngleterre, fondées à son initiative. Pendant cesdiscussions, nous examinâmes en profondeur denombreuses questions me concernant dans montravail scientifique. Nous étudiâmes la nature del’espace et du temps et de l’universel, à la fois parrapport à la nature extérieure et par rapport à l’es-prit. Mais ensuite, nous en vînmes à considérer ledésordre général et la confusion qui envahit laconscience de l’humanité. C’est là que je rencon-trai ce que je sens être la plus importante décou-verte de Krishnamurti. Ce qu’il avançait avecsérieux est que tout ce désordre, cause partout detant de malheur et de souffrance et qui empêche leshumains d’œuvrer efficacement ensemble, a saracine dans le fait que nous ignorons tout de la natu-re générale de nos propres processus de pensée, oupour l’exprimer différemment, on peut dire que

Krishnamurti et la méditation

David Bohm

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«  La méditation consiste à être conscient de chaque pensée, de chaque sentiment ;

à ne jamais les juger en bien ou en mal, mais à les observer et à se mouvoir avec eux…

De cette lucidité naît le silence. » 

Se libérer du connu

«  Un esprit méditatif est silencieux. Ce n’est pas un silence que la pensée puisse concevoir ; ce n’est

pas le silence d’un soir tranquille ; c’est le silence total qui se produit lorsque s’arrête

la pensée, avec toutes ses images, ses mots, ses perceptions. Cet esprit méditatif est l’esprit

religieux – celui dont la religion n’est pas atteinte par les églises, les temples et leurs chants. » 

La révolution du silence

«  Dans l’attention, il n’y a pas de centre à partir duquel on est attentif.

Il est très important de comprendre cela, car c’est l’essence de la méditation. »

Plénitude de la Vie

KRISHNAMURTI ET LA MÉDITATION - 27

nous ne voyons pas ce qui se passe en fait quand noussommes engagés dans l’activité de la pensée. En obser-vant de très près cette activité, Krishnamurti sent qu’ilperçoit directement cette pensée comme un processusmatériel qui a lieu à l’intérieur de l’être humain, dans lecerveau et le système nerveux constituant un tout.

En général, nous avons tendance à être principa-lement conscients du contenu de cette pensée plutôtque de la manière dont cela se passe. On peut illus-trer ce point en voyant ce qui se passe quand on lit unlivre. D’habitude, on ne prête attention qu’au sens dece qu’on lit. Cependant, on peut avoir conscienceégalement du livre lui-même, de la façon dont il estfait, des pages qui peuvent être tournées, des motsimprimés et de l’encre, de la texture du papier etc. Demême, nous pouvons prendre conscience de la struc-ture et de la fonction réelle du processus de la penséeet non seulement de son contenu.

Comment une telle conscience peut-elle se déve-lopper ? Krishnamurti avance que cela exige ce qu’ilappelle la méditation. Cependant, on a donné à ce mottant de sens différents et même contradictoires, beau-coup d’entre eux sous-entendant une espèce de vaguemysticisme. Krishnamurti a à l’esprit une notion pré-cise et claire quand il se sert de ce mot. On peut obte-nir une indication précieuse de son sens en considé-rant l’origine du mot (les racines des mots rappro-chées du sens généralement admis aujourd’hui

fournissent souvent d’étonnantes voies pour parve-nir à leur signification profonde). Le mot anglaisméditation est basé sur la racine latine « Med » quiest « mesurer ». Le sens actuel est réfléchir, peser (c’est-à-dire peser, mesurer) et prêter une grande attention à.

De façon similaire, le mot sanscrit Dhyana estapparenté de façon très proche à dhyati signifiantréfléchir. De sorte que, de cette façon, méditer serait« réfléchir, penser », tout en prêtant grande attentionà ce qui se déroule en réalité pendant ce temps. C’estpeut-être ce que Krishnamurti entend par le commen-cement de la méditation. C’est-à-dire prêter une gran-de attention à ce qui se passe en conjonction avec l’ac-tivité réelle de la pensée qui est la source sous-jacen-te du désordre général. On fait cela sans choix, ni cri-tique, sans accepter ou rejeter ce qui se passe. Et toutceci s’accompagne de réflexions sur le sens de ce quel’on apprend, sur l’activité de la pensée (ce pourraitêtre comme lire un livre dont les pages ont étébrouillées et être intensément conscient de cedésordre, plutôt que d’essayer uniquement de trouverun sens au contenu confus qui se présente quand onprend les pages comme le hasard les a placées).

Krishnamurti a observé que le fait même de médi-ter met de l’ordre dans l’activité de la pensée sansl’intervention de la volonté, du choix, de la décisionou d’aucune autre action de « celui qui pense ». Aumoment où cet ordre s’établit, le bruit et le chaos qui

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28 - DAVID BOHM

sont le fond habituel de notre conscience, s’éteignentet l’esprit devient généralement silencieux (la penséene naît que lorsqu’elle est nécessaire puis s’arrête jus-qu’à ce qu’elle soit de nouveau nécessaire).

Dans ce silence, Krishnamurti dit que quelquechose de nouveau et de créateur se produit, quelquechose qui ne peut être traduit en mots mais qui estd’une extraordinaire signification pour l’ensemble denotre vie. Aussi ne tente-t-il pas de communiquer ceciavec des mots, mais il demande plutôt à ceux que celaintéresse d’explorer le problème de la méditationdirectement pour eux-mêmes en prêtant une attentionvraie à la nature de la pensée.

Sans essayer d’approfondir davantage la significa-tion du mot méditation, on peut cependant dire que laméditation, au sens que lui donne Krishnamurti, peutmettre de l’ordre dans toute notre activité mentale etceci peut être un facteur clé susceptible de mettre finà l’affliction, au malheur, au chaos et à la confusionqui sont depuis toujours le lot de l’humanité et quicontinuent à l’être sans perspective de changementdans un avenir prochain.

L’œuvre de Krishnamurti est empreinte de ce quel’on peut appeler l’essence d’une approche scienti-fique des problèmes, sous sa forme la plus haute et laplus pure. Ainsi, il part d’un fait, ce fait concernant lanature du processus de la pensée. Ce fait est établi parune très grande attention sous-entendant l’observationsoigneuse du processus de la conscience. En ceci onapprend constamment et de cela vient la connaissancede la nature générale du processus de la pensée. Cetteconnaissance est ensuite mise à l’épreuve. D’abord onvoit si elle est cohérente, rationnelle. Puis on voit sielle mène à l’ordre et à la cohérence, et ce qui endécoule dans la vie considérée comme un tout.

Krishnamurti met constamment l’accent sur le faitqu’il n’est en aucune façon une autorité. Il a fait cer-taines découvertes et il fait simplement de son mieuxpour rendre ses découvertes accessibles à tous ceuxcapables de l’écouter. Son œuvre ne contient pas dedoctrine et n’offre pas non plus de la technique ou desméthodes pour obtenir le silence de l’esprit. Il necherche pas à fonder un nouveau système de croyan-ce religieuse. Il pense plutôt que c’est à chaque êtrehumain de voir s’il peut découvrir par lui-même ce

que Krishnamurti a indiqué et ce à partir de là, fairede nouvelles découvertes pour son propre compte.

Il est clair qu’une introduction comme celle-cipeut, au mieux, montrer comment l’œuvre deKrishnamurti a été vue par une personne en particu-lier, par un scientifique tel que moi-même. Pour voirdans son ensemble ce que Krishnamurti veut dire, ilest nécessaire, naturellement, de poursuivre et de lirece qu’il dit lui-même avec cette qualité d’attentionvis-à-vis de la totalité de nos réactions intérieures etextérieures dont nous venons de discuter.

(Extraits d’une interview de la revue Aurore)

Prière et Méditation selon Krishnamurti

« Qu’appelons-nous prière ? La prière consisted’abord en une pétition, une supplication à ce quevous appelez Dieu… vous quémandez, mendiez… ensomme vous cherchez une récompense, un contente-ment.… En d’autres termes, nous voulons que notreconfusion, nos conflits, soient remis en ordre par unautre que nous…

Qu’est donc la méditation ? Méditer, c’est com-prendre ; la méditation du cœur est compréhension…

Se concentrer, prier, cela n’éveille pas la compré-hension, et celle-ci est la base même, le processus fon-damental de la méditation…

Mais qu’appelons-nous comprendre ? Comprendreveut dire donner sa vraie valeur à toute chose… pourque surgissent des valeurs exactes, il me faut com-prendre le penseur, n’est-ce pas ?… Donc, la connais-sance de soi est le début de la méditation. Il ne s’agitpas des connaissances que l’on ramasse dans les livres,chez des guides spirituels, des gourous, mais de cellequi provient d’une enquête intérieure et d’une justeperception de soi. Sans connaissance de soi, il n’y apas de méditation… Le penseur qui demande, prie,exclut, sans se comprendre, doit inévitablement tomberdans la confusion de l’illusion… »

La première et dernière liberté

� David Bohm, éminent physicien du XXe siècle, a longuement dialogué avec J. Krishnamurti ;quelques recueils d’entretiens ont déjà été publiésen français : Les limites de la pensée (Stock, 1999)et Le temps aboli (Le Rocher, 1999).David Bohm est l’auteur de La plénitude de l’Univers (Le Rocher, 1987) ; La Danse de l’Esprit (Seveyrat, 1988) ; et, en collaboration avec David Peat, La conscience et l’Univers (Le Rocher, 1990).

Walter Hilton

“ La méditation peut mettre de l’ordre

dans toute notre activité mentale

et ceci peut être un facteur clésusceptible de mettre fin au chaos…”

Page 29: 3ième Millenaire n°67

Walter Hilton 29

Walter Hilton est le dernierdes grands mystiquesanglais qui mourut en 1396.Après des études enAngleterre, il vint à Paris et fut nomméMagister à la Sorbonne. Il entra dans l’Ordre desChanoines de Saint-Augustin, et fut longtemps,et jusqu’à sa mort, moine etprieur du monastère Saint-Pierre, à Thurgarton, dans le Yorkshire, près du village où il était né.

Sa science théologiqueest mûrie par une authen-tique vie intérieure, commeen témoignent les extraits, ci-dessous, de la ScalaPerfectionnis (L’ECHELLE DE LA

PERFECTION) qui semble avoirété destinée à l’instructiond’une recluse.

L’ascension à travers les sphères,Manuscrit anonyme du XIIe s.

La prière sans formule déterminée

Il y a une autre sorte de prière qui est encore une prière vocale, mais où l’on ne

s’attache à aucune formule déterminée. Elle consiste à parler à Dieu comme si l’on

était en sa présence, avec les mots qui peuvent le mieux traduire les aspirations inté-

rieures du moment […]

Celui qui prie de cette manière crie vers Dieu à la fois par le désir de son cœur et

par les paroles de sa bouche. Comme celui qui est en danger au milieu de ses ennemis,

il lui demande aide et secours, ou comme un malade, il montre son mal au médecin,

disant avec David : « Délivrez-moi de mes ennemis, ô mon Seigneur » (ps. 63, 2), ou

« Guérissez mon âme, car j’ai péché contre Vous » (ps. 40, 5). A d’autres moments, il voit

en Dieu une telle bonté, une telle miséricorde, une telle grâce, qu’il met sa joie à lui

dire toute la tendresse de son cœur et à Le remercier.(Ch. 29)

Cette prière plaît extrêmement à Dieu, car elle sort toute de l’affection du cœur.

Aussi est-elle toujours efficace pour obtenir quelque grâce. Comme je l’ai dit, elle

appartient à la deuxième contemplation. Lorsqu’on a reçu ce don de Dieu et tout le

temps qu’on le goûte, il convient d’éviter avec soin la présence et la compagnie

d’autres personnes, et de se tenir dans la solitude. Cette grâce n’est pas appelée à

durer, au moins dans ce degré de ferveur. Lorsqu’elle est donnée avec profusion, elle

est pour l’âme à la fois une joie très grande et une épreuve, car elle fatigue beaucoup

le corps, elle l’excite et le meut en sens divers. […] Ce don est tout intérieur et n’est

pas dans les sens du corps ; néanmoins, son action sur l’âme est si forte qu’elle se tra-

duit jusque dans le corps, l’agite et le fait trembler.

(Ch. 30)

tex

tes

tra

dit

ionnel

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tes

tra

dit

ionnel

s

degrésles troisde la prière et de la contemplation

La prière vocale

Il y a trois espèces de prière. La première est la prière vocale :

soit celle qui a été composée par Dieu lui-même, comme le Pater

noster ; soit celle qui fait partie de la Liturgie, comme Matines,

Complies et les Heures, ou encore celle qui nous vient des saints

personnages, et par laquelle on s’adresse à Notre-Seigneur, à

Notre-Dame ou aux saints.

Quant aux prières vocales, j’estime que, pour vous qui êtes reli-

gieuse et tenue par votre règle à la récitation du Bréviaire, il vous

convient de les dire avec toute la dévotion possible. Recueillez

vos affections et vos pensées pour les dire avec plus de sérieux et

de piété que les prières et dévotions particulières […]

(Ch. 27)

Page 30: 3ième Millenaire n°67

La silencieuse

prière du cœur

La troisième espèce de

prière se passe tout entière

dans le cœur, en un pro-

fond repos de l’âme, avec

beaucoup de douceur et

sans aucune parole. Elle

suppose une grande pureté

de cœur, et ceux-là seuls y

atteignent, qui, par un long

travail du corps et de l’âme

ou par de vives blessures

d’amour comme celles dont

j’ai parlé, sont parvenus au

repos de l’esprit. Leurs

affections sont alors trans-

formées en saveur spiri-

tuelle ; ils peuvent prier

presque constamment,

aimer et louer Dieu au

fond de l’âme sans être

arrêtés par les tentations et

les vanités […]

Cette prière de repos ou

de quiétude, Notre-

Seigneur la donne à

quelques-uns de ses servi-

teurs, comme une récom-

pense de leur travail et

comme une ébauche de cet

amour dont ils jouiront

dans la béatitude du ciel.

(Ch. 32)

La contemplation

par l’intellect

Il y a trois espèces de contemplation. La première

consiste dans la connaissance de Dieu et des choses spiri-

tuelles obtenues par le travail de l’intelligence [l’intellect],

l’enseignement des hommes et l’étude de la sainte Ecriture ;

elle ne fait goûter à ceux qui la pratiquent ni affections ni

consolations intérieures, car ce sont là les fruits d’un don

spécial du Saint-Esprit, qui rend savoureuse la connaissan-

ce de Dieu. Cette première forme de la contemplation est

spéciale aux savants et aux gens instruits qui ont longtemps

travaillé et étudié les saintes Lettres. Elle est bonne, et on

peut l’appeler une sorte de contemplation ; pourtant elle

n’est qu’une figure et une ombre de la vraie contemplation,

puisqu’il n’en résulte aucun goût spirituel de Dieu ni aucu-

ne douceur intérieure […]

Néanmoins, si ceux qui la possèdent se maintiennent

dans l’humilité de la charité, s’ils évitent tous les pièges aux-

quels nous porte le monde de la chair, cette connaissance

les met sur le chemin de la vraie contemplation et les y dis-

posent efficacement, pour peu qu’ils désirent la grâce du

Saint-Esprit et la demande avec ferveur. Mais combien pos-

sèdent cette connaissance et la font tourner au profit de

l’orgueil, de la vaine gloire, du désir des dignités et des hon-

neurs, de la richesse, au lieu d’en user dans l’humilité pour

la gloire de Dieu et dans la charité pour le bien spirituel de

leurs frères ! […]

Lorsque la science est seule dans une âme, ce n’est

qu’une eau insipide et froide ; mais qu’on en fasse humble-

ment l’offrande à Notre-Seigneur en lui demandant sa

grâce, sa bénédiction changera cette eau en vin, comme Il

fit à la prière de sa Mère aux noces de Cana ; ou pour mieux

dire, par le don du Saint-Esprit Il transformera une science

sans saveur en une vraie Sagesse, et une connaissance froi-

de et nue en une clarté spirituelle et un amour ardent.

(Ch. 4)

30

Page 31: 3ième Millenaire n°67

31

La contemplation

affective

La deuxième espèce de contemplation est surtout affective,

sans que l’intelligence y reçoive des lumières spéciales sur les

choses spirituelles. Elle se rencontre d’ordinaire chez les per-

sonnes simples et peu instruites, qui se donnent de tout leur

cœur à la dévotion. Voici se qu’elles éprouvent : après avoir

médité sur Dieu, réfléchi sur la Passion du Christ ou sur les

œuvres de son Humanité, la grâce du Saint-Esprit leur fait

goûter un amour plein de ferveur et de douceur spirituelle.

Elles n’ont pourtant à ce moment la perception distincte d’au-

cune réalité spirituelle, d’aucun mystère particulier, d’aucun

passage de l’Ecriture ; mais rien ne leur paraît meilleur et plus

doux que de prier ainsi, tant sont savoureuses la joie et la

consolation qu’elles y trouvent. Dire exactement ce qu’est

cette joie leur est impossible, mais elles en ont une conscience

très nette, car c’est un don de Dieu. De cette source jaillissent

de douces larmes, d’ardents désirs, de silencieux regrets du

péché, qui purifient le cœur de toute souillure. Le cœur se

fond alors de tendresse envers Jésus-Christ ; il devient obéis-

sant, souple, prêt à accepter toute la volonté de Dieu, au point

que l’âme se sent indifférente à tout ce qui peut lui arriver,

pourvu que cette bénie volonté soit faite en elle et par elle […]

Mais cette espèce a deux degrés.

Ch. 5)

Même les chrétiens qui mènent la vie active peuvent,

lorsque Notre-Seigneur les visite, recevoir l’expérience de cet

état dans son degré inférieur, avec autant de force et de fer-

veur que ceux qui se donnent entièrement à la contemplation

et en ont reçu le don.

Mais il faut savoir que ces ferveurs, ni ne viennent toujours

quand on les désire, ni ne durent longtemps. Elles viennent et

s’en vont suivant le bon plaisir de Celui qui les donne […]

(Ch. 6)

Ceux-là seuls peuvent atteindre le degré plus élevé de la

deuxième espèce de contemplation et s’y maintenir, qui vivent

dans la tranquillité du corps et de l’âme, et qui sont arrivés par

la grâce de Jésus et la persévérance dans les exercices corporels

et spirituels à la paix du cœur et à la pureté de l’âme […]

Que celui qui a reçu cette grâce se maintienne dans

l’abaissement, qu’il tende sans cesse à mieux connaître et

mieux goûter Dieu : son désir sera exaucé dans la troisième

espèce de contemplation.

(Ch. 7)

La contemplation

parfaite

La troisième espèce, qui est la

contemplation parfaite, autant du

moins qu’on peut l’atteindre ici-

bas, est mêlée de connaissance et

d’affection – connaissance de

Dieu, et charité souveraine qui

suppose la pratique parfaite des

vertus et la transformation de

l’âme à l’image de Jésus […]

La grâce du Saint-Esprit

l’éclaire, et permet à son intelli-

gence de voir la Vérité elle-même,

qui est Dieu, et les réalités spiri-

tuelles. En même temps, cette vue

lui fait éprouver un amour de

Dieu si plein de douceur, de suavi-

té et de ferveur qu’il est ravi hors

de soi. A ce moment au moins, son

âme devient une seule réalité avec

Dieu, elle est transformée à l’ima-

ge de la Trinité.

On peut ici-bas recevoir les

prémices de cette contemplation ;

mais seul le bonheur du Ciel en

donnera la jouissance parfaite.

Saint Paul nous parle de cette

union et de la conformité avec

Notre-Seigneur lorsqu’il nous dit :

« Celui qui s’unit au Seigneur est un

seul esprit avec Lui. » (I Cor. 6, 17).

En d’autres termes, si quelqu’un

est fixé en Dieu, Dieu et lui ne

sont plus deux, mais tous deux ne

font qu’un.

(Ch. 8)

Page 32: 3ième Millenaire n°67

32

’être humain aspire à se sentir vivant, il pres-sent la possibilité de l’être à travers les voiles

du paraître. Toute son existence est une quête sou-vent confuse d’une réalité que les mots définissentmal mais dont la nature est éternellement présenteen son cœur.

Afin d’y accéder, l’homme part en quête d’ou-tils dont la nécessité s’impose à lui par le fait que savie quotidienne semble l’éloigner constamment dece qu’il cherche vraiment. S’il est enclin à la reli-gion ou à la spiritualité, il en vient naturellement àsuivre ce mouvement naturel de l’âme qui leconduit à un « retrait » du monde.

Ce mouvement de retraite est généralement lepoint de focalisation de la quête spirituelle. La priè-re et la méditation sont ainsi devenues des outilsphares de la recherche et nous sommes nombreux àavoir pratiqué l’une ou l’autre de ces méthodes.Leur pratique est toujours perçue comme un instantsacré, privilégié, offrant une oasis de paix dans latourmente, ouvrant une porte vers le Divin.

C’est à la fois ce qui fait l’attrait de ces outils etleur faiblesse. Car, en effet, même si la pratique estprésentée comme une préparation à la vie dans lemonde ou un ressourcement pour le quotidien, dansla réalité, la proximité de Dieu et le rapprochementde Soi restent cantonnés à ces seuls instants et l’in-vitation - plus rare - à rencontrer l’objet de nosprières et de nos méditations dans le torrent furieuxde l’existence n’inspire que très peu d’entre nous.

Mais aujourd’hui, à moins de croire que cetteexistence est négligeable et que le meilleur nousattend dans un paradis hypothétique, nous pouvonsnous interroger intimement sur l’impact réel queces méthodes ont sur notre vie et sur la réponsequ’elles apportent à la quête.

Quand la prière est terminée et quand le médi-tant ouvre les yeux, que reste-t-il de sa tentative de

communion ? Des traces, sans doute, le sentiment dela subsistance d’un contact, d’une extase, d’une paixqu’il sait pourtant, en même temps, vouée à la pertelorsqu’il retrouvera son impitoyable quotidien.

Le Divin ne peut être réservé à la retraite, Il doitêtre incarné dans l’instant commun, dans cesmoments où nous Le pensons absent et qui consti-tuent la plus grande partie de notre vie.

Cette absence n’est que le produit de notreaveuglement. Si le silence peut ouvrir une portevers Lui, le tumulte du monde n’est pas un universparallèle qu’Il aurait oublié. C’est à nous d’ouvrirles yeux sur la réalité de Sa Présence en tout lieu.

Ouvrons donc les yeux après les avoir long-temps fermés.

La prière et la méditation sont des vestiges de laspiritualité de réclusion. Le chercheur est, encoreaujourd’hui, imprégné de cet appel à la retraite, decette croyance que les sages l’invitent à une mer-veille hors du monde. Ce dernier étant l’obstacle, cequi s’y déroule n’est en conséquence qu’un tissud’erreurs sur lesquelles Dieu a fermé les yeux.

Cette Création semble bien Lui avoir échappé !L’homme abandonné se sent inspiré à Lui demanderdavantage d’attention ou, au moins, une protection,le recours en grâce du condamné ! Dans cetteconception, le monde peut être considéré commeentre les seules mains des hommes et, afin de retrou-ver le chemin de Dieu qui a fuit cette folie depuislongtemps, il ne reste que la prière et la méditation.

Le postulat qui conduit le chercheur à diviserl’existence intérieure et extérieure est insidieux. Lechoc du monde est comme la confirmation de l’ab-sence du Divin. La perfection semble partoutabsente et les bribes de silence glanées dans laméditation ou l’espoir que produit la prière, peu-vent apparaître comme de rares moments dePrésence et de soutien.

prière et méditation

Thierry Vissac

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Page 33: 3ième Millenaire n°67

PRIÈRE ET MÉDITATION - 33

Il faut plongerdans l’océan plutôt que de seulement en entendre parler.

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34 - THIERRY VISSAC

Pour que cette vision manichéenne bascule, ilest nécessaire d’envisager que nous sommes lescréateurs de cette division.

Nous avons naturellement une préférence mar-quée pour le bien-être, et la quête spirituelle s’estlaissée envahir par le « développement personnel »qui est surtout une recherche de confort et de sécu-rité. Ainsi, Le chercheur est naturellement portévers le repli et le silence. Il finit par construire unebulle de croyances et de repères qui tentent d’apai-ser sa terreur et qui entretiennent sa fuite. Mais, s’ilest sincère dans sa quête, il réalisera inévitablementqu’il ne peut s’éveiller à la totalité du Vivant s’il enocculte un versant, aussi sombre le juge-t-il.

Cette perspective n’est pas une perte spirituellemais bien une promesse. La traversée de ce territoi-re inconnu de la vie sur lequel nous avons porté unjugement spirituel que nous ne remettons pas enquestion peut produire comme un déchirement,mais ce qui se déchire n’est qu’un voile, la brume sifamilière qui nous coupe du monde et de l’autre,parfois au nom même de la spiritualité.

Nous sommes trop souvent conditionnés à unespiritualité « propre » qui ne fréquente pas lestress, la mort, et la maladie, et où chacun essaie de« s’en sortir » au mieux en évitant le plus possiblede se salir dans la friction avec le monde. Et chaquefois que la souillure réapparaît, nous nous réfugionsdans la paix et l’espoir qu’offrent la prière et laméditation.

Il faut bien entendre ici que je ne dénonce pas laprière ou la méditation mais l’utilisation qui en estsouvent faite dans les cercles spirituels où la peurrègne souvent en maîtresse.

Dans cette relation peureuse à la vie, noussommes encore au bord de l’océan de la vie, hési-tant à y plonger et jugeant ceux qui s’y trouventcomme des fous ou des égarés.

Quelques voix se sont élevées ces dernièresannées pour montrer cet écueil mais la peur ne setraverse pas avec les mots. Il faut plonger dansl’océan plutôt que de seulement en entendre parler.

Et cette plongée peut être appelée une méditation.

C’est à cette méditation consciente, les yeuxouverts, que la vie nous convie depuis toujours.Mais nous éprouvons une grande difficulté à l’envi-sager. Après tout, ne nous sommes-nous pas enga-gés sur une voie (quand ce n’est pas pour nous toutbonnement : La Voie) afin de nous défaire dequelque chose ? Ne s’agit-il pas de s’élever au-des-sus du monde ? N’avons-nous pas déjà fait l’expé-rience de l’océan ?

Je réponds non à toutes ces questions. Il nes’agit pas de se défaire de quelque chose, ni des’élever « au-dessus » et, surtout, nous n’avonsjamais vraiment plongé dans l’océan tumultueux dela vie. Le souvenir que nous en avons est celui-ci :Pris dans la tourmente, nous nous déplaçonscomme des automates blessés, courant à travers lafoule pour lui échapper, porteurs d’un cri déchirantdans le cœur, poussés par l’espoir d’un instantmeilleur que celui que nous vivons, appelés par unlendemain ou un paradis à venir. Nous noussommes noyés dans l’océan sans jamais pouvoirnous y baigner. Notre entourage, nos ancêtres netémoignent d’ailleurs que de la douleur que pro-voque la friction avec le monde et la nécessité durepli, de la séparation, alors même que l’engage-ment spirituel parle d’unité.

Il est temps de réaliser que le fruit mûr de notrequête est l’Abandon plutôt qu’une méthode pourgérer notre vie sur la base de nos peurs. L’abandontout relatif de la prière et de la méditation n’em-pêche pas les structures de l’ego de se raidir àchaque rencontre avec le monde. Il est donc néces-saire de voir plus loin, d’élargir la portée de laméditation afin qu’elle nous épanouisse dans unecommunion avec toutes les formes du Vivant.

La tâche semble ardue, et il n’est pas rare qu’àla simple lecture de ces mots, nous puissions res-sentir la peur et le désir compulsif de retourner ànos refuges, quitte à les légitimer au moyen dequelques textes sacrés semblant confirmer la validi-té de nos fuites. Cette invitation à la rencontre desoi dans le feu de la vie sera déclinée de nom-breuses fois avant que nous en acceptions l’éviden-ce. La maîtrise partielle que nous avons de notreexistence est interprétée comme notre salut, alorsqu’elle est le produit de la peur.

La peur nous conseille de garder les rênes et dene pas croire un mot de cette invitation :

Comment le Divin pourrait-Il se trouver dansl’effrayant tumulte du monde quand, chaque foisque nous lui avons offert notre poitrine, il l’a bles-sée de son épée ?

Mais qui donc est blessé ?

Il est temps de réaliser que le fruit mûr de notre quête est

l’Abandon plutôt qu’uneméthode pour gérer notre vie sur la base

de nos peurs.

Page 35: 3ième Millenaire n°67

Lorsque nous sommes poreux et transparent, leflot de la vie nous traverse. Mais quand l’épée ren-contre le mur de nos protections, il y a un choc.

L’Appel qui vibre en nous parle d’Unité, pas deréclusion, Il nous invite à la communion, pas à ladistance. Il ne nous parle pas d’un silence intérieurprécaire mais de nous abandonner au feu sacré dela vie, avec la reconnaissance que Cela ou Celuiqui en est le maître véritable est un Océand’Amour.

Mais, encore une fois, on plonge dans l’océanpour le rencontrer. Le mental ne peut pas com-prendre la Présence de l’Amour dans le tumulte dumonde. Le chercheur spirituel qui vit « dans latête » gère sa démarche en fonction de cette com-préhension intellectuelle.

Celui qui ressent la poussée périlleuse del’Appel, « perd la tête » et ne comprend plus rien.Toutes ces classifications brûlent dans la tourmen-te, il tombe à genoux, poitrine offerte et cœurouvert avec cette toute dernière prière : « Que taVolonté soit faite ! » car « Je ne m’y oppose plus ».Alors, seulement, la méditation a-t-elle atteint sonbut. Les yeux sont ouverts et la prière unique a étéentendue, rendant inutile sa répétition.

Voilà un pas, de la plage à l’océan, qui peut don-ner tout leur sens à la prière et la méditation aujour-d’hui. Le monde, jusqu’alors coupé en deux, déchi-ré entre l’appel d’une perfection « intérieure » et lereniement de la perfection « extérieure », y gagnerale fruit de sa quête éternelle.

� Thierry s’adresse aux chercheurs spirituels à bout de course, ceux qui ont réalisé que la course se poursuivait au sein même de la quête spirituelle. La course est une fuitede soi. La fin de la course permet cette rencontre que nous avons longtempsretardée. Thierry est un membre du GroupePrésence. Il a rencontré des centaines de personnes avec lesquelles ils poursuivent ce travail de couture à l’envers, cette libérationque tous les jeux qui la précèdent ne font que retarder. Thierry est l’auteur des livres“L’Alliance Bleue”, “ISTENQS - Ici SeTermine Enfin Notre Quête Spirituelle” et “A bout de course - le dernier dialogue”,publiés par les éditions La Parole Vivante ( 05.65.21.89.26 ; www.la-parole-vivante.com).Il anime par ailleurs le forum Internet ISTENQS (www.istenqs.org). Email : lapresence@aolcom

PRIÈRE ET MÉDITATION - 35

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Spiritualité vivanteL’éveil à notre Nature Véritable

L’Amour qui nous guide, entretiens avec le Divin (collection en 3 volumes)Ces recueils de “messages” transmis par legroupe Présence, aborde tous les thèmes denotre vie quotidienne : la tendresse, le maria-ge, la sexualité, le pouvoir, la peur, les dettes,le don,… L’identification aux mécanismes del’ego, à l’origine de toute souffrance humai-ne, est patiemment et inlassablement mise enévidence, éveillant ainsi dans la consciencedu lecteur sa véritable Nature.« Les hommes et les femmes ont besoin del’Amour du Divin… Le cœur doit, au fur et àmesure et sans arrêt, ouvrir les portes queferme l’ego. »Vol. 1, 196 pages ; 18,29 ¤Vol. 2, 132 pages ; 13,72 ¤Vol. 3, 196 pages ; 18,29 ¤

L’Alliance Bleue de ThierryRécit de l’Eveil de l’auteur. Il décrit sansconcession la fin de sa quête spirituelle et lesultimes résistance de sa “petite personne”.96 pages ; 9,15 ¤

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Unie de SolineRécit du cheminement vers l’Eveil de Soline.Plutôt que de faire l’éloge de l’aboutissement,l’auteur nous confie les détails du processus…« Je parle à partir du niveau du cœur… Alorsque j’écris, la chose se produit, le miracle. Jem’efface et pourtant je suis toujours là…»

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36

sensde la prière et de la méditation

David Ciussi

Page 37: 3ième Millenaire n°67

SENS DE LA PRIÈRE ET DE LA MÉDITATION - 37

familières de son existence sans confusion. C’estcomme un témoignage dynamique et intemporelreliant le créateur à sa créature.

Pour moi, la prière est le langage articulé ducroyant essayant de se relier au divin, au sacré. Devantun danger imminent, dans une souffrance aiguë, uneprière peut jaillir de n’importe quelles lèvres humaines,cela vous est-il déjà arrivé avant l’éveil ?

Oui, devant une situation gravissime et exception-nelle, j’ai pu assister à l’effondrement de mon person-nage psychologique. C’était comme transpercer lesdécors de mes lamentations ! ou traverser le reflet dumiroir. Ce fut une expérience inouïe et riche d’ensei-gnements, un joyeux tour de magie (!)

David, méditez-vous encore ?

Oui, je médite !, 24 heures sur 24 !L’immersion en ce témoignage éternel et omni-

présent est une « qualité d’être », « la méditation-conscience » inter-agissante avec toutes les phasesde la vie, 24 heures sur 24. C’est une contemplationpure, un ravissement d’être sans repère connu, ni tan-gible, ni intellectuel, un esprit s’intégrant àl’éveillance et au grandir du monde.

Cette « méditation du cœur » n’est pas une exta-se mystique conduisant à l’intuition de l’Un, maisbien une intégration de la fusion universelle, dans unesprit humain, qui participe à toutes les activités

Retenons que lorsqu’un esprit rencontre ce plushaut degré de sincérité et d’humilité face à ses limi-tations et son impuissance, il transcende toutes leslimites psychologiques pour ne faire plus qu’un avecle vœu de son âme : retrouver l’union éternelle entoute chose « Je suis cela, renaissant à cela ».

De nombreux témoignages écrivent l’histoire decette relation urgentissime et sacrée. Ils nous ensei-gnent que ce contact immédiat avec « l’état de priè-re » est toujours possible. Ici dans cet élan spontané,c’est la nature de la liberté qui s’exprime dans satoute puissance, expression de la grâce qui renversetoutes les déterminations mentales. C’est la naturemême de la vie religieuse dans le sens de « la vie qui

relie », c’est se reconnecter au mystère profond duvivant qui œuvre en chacun ici et maintenant.

Acceptons d’apprendre que « ce principe unis-sant de la prière » est toujours disponible.N’attendons pas les électrochocs ! S’unir avec dou-ceur à la prière consciente est la voie du cœur, unecompréhension juste de « l’instant priant ». La priè-re articulée qui utilise la dimension espace-temps estdonc l’expression de cette force intemporelle quidésire grandir en chacun de nous.

Pour ceux qui ne sont pas dans des situationsexceptionnelles de survie ou d’urgence, quel est lesens de leurs prières : sont-elles des actes dedévotion ou des prières-besoins, des demandes demendiants ?

N’attendons pas les électrochocs !Ce « principe unissant de la prière » est toujours

disponible.

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Page 38: 3ième Millenaire n°67

38 - DAVID CIUSSI

Dans ce cas-là, la prière est toujours en retard, ellene vient pas du cœur, elle psalmodie des mots apprissans profondeur. Il faut savoir décoller le mot de lachose et se laver la langue des paroles anciennes : dela projection, du manque et de la séparation.

Celui qui les utilise est-il un penseur perdu dansses pensées, son identité vient-elle de la mémoire cul-turelle ou a-t-il transcendé les limites de sa personna-lité psychologique et sociale ?

Alors, selon vous, utiliser la prière comme un« touriste de l’urgence », est-ce de la naïveté infantile ?

L’humain doit échapper à l’emprise de la peur et aurefus de la réalité. S’il n’est pas conscient de ces habi-tudes mentales, il honore le « craintif et l’intéressé ».Le divin n’est pas un pourvoyeur de convoitises.

Concernant la méditation ou l’intériorisation,serait-elle seulement un refuge spirituel ponctuel oucroise-t-elle aussi la réalité de notre quotidien ?

Le monde est la méditation en actes pour celui quiveille dans l’auto-connaissance. Pour celui qui est

nourri de cette connaissance consciente, il n’y a pas deméditant à la recherche de la paix ou de l’éveil dans unfutur plus ou moins proche. IL EST, conscientise etapprend dans chaque instant, situation ou rencontre, sansrien attendre, ni refuser, ni garder. En cela il médite carson esprit n’est plus alimenté par les pensées, la vacuitéest sa conscience émerveillée. Ce qu’il connaît n’est pasun savoir de ce monde. Il est « je ne sais pas ». Il veilleau cœur du vivant renaissant à la vie et à la mort. Il estce qui met en forme la métamorphose.

Y a-t-il des outils pour l’exploration de cette« méditation consciente » et comment veiller etretrouver la paix ?

On veille la paix en abandonnant l’idée « du com-ment et des outils pour ». Tant que le bruit de fonds despensées parasite notre être, il est très difficile de retrou-ver la paix unificatrice dans le quotidien ou dans l’ex-ploration intérieure, qu’elle soit d’origine contemplati-ve, réflexive ou transcendantale. Ce type de méditationinclut un « méditant penseur » décalé, identifié à satrace mentale comme un homme qui, marchant dans laneige, s’identifierait à ses traces de pas et partirait à la

recherche de lui-même en suivant ses propresempreintes ! Un méditant-chercheur mature peut sortirde ce manège mental en évitant d’entrer dans des bou-tiques new-age du prêt à penser, du fast food spirituel,du « mac-mantra » et du « gouroutisme soporifique ».

C’est bien joli de faire un tour de manège et de mon-ter sur des techniques méditatives comme sur des che-vaux de bois, mais tourner en rond mène-t-il quelquepart ? Ici, ce ne sont pas « ces outils techniques » quisont un empêchement pour accéder à notre immédiate-té naturelle, mais bien le mécanisme de projection etl’attente d’un résultat qui les rendent inefficaces.

La présence d’un éveilleur est-elle une aide ?

Oui, elle est une aide, mais pas une obligation.Tout ce qui est créé est le fruit de cette « éveillancegardienne du Tout uni ».

Donc cet esprit conscient n’est pas assujetti à laconnaissance pensante, ni à l’extériorité, il n’est plusle prolongement de savoirs acquis ou de conditionne-ments sociaux. Est-ce exact ?

Oui, son esprit est ouvert, créatif au-delà des infor-mations mémorisées. Son activité ne découle pas duprincipe de l’erreur mais d’une auto-connaisssancefusionnée au Mystère de l’existence. Son esprit lumi-neux a transpercé la mémoire des mots, des mythes etdes croyances. Il ressuscite en lui le jaillissement ful-gurant de cette énergie dont tout humain est déposi-taire. Son esprit est un espace de confiance et de paix.Il ne vit plus dans l’illusion du passé et ne projette riendans l’avenir.

Nous sommes donc tous individuellement lesdépositaires de ce trésor enfoui dans l’essence mêmedu vivant !

Oui, notre esprit est pur, lumineux, immaculé,beauté incandescente au firmament de l’infinie grâced’ÊTRE !

� Après une expérience d’ingénieur, David Ciussi, à la fois créateur d’entreprise et sculpteur, a vu sa vie se transformer dans sa quarante-neuvième année. Tout en appro-fondissant son expérience d’un « réel vécu à la source », il écrit Rêve d’éveil(Ed. A.L.T.E.S.S., 1997) puis entreprend

des conférences et des entretiens particuliers, tout en animant des ateliers en France et au Québec. Il est auteurd’articles publiés dans 3e millénaire n°57 et n°61.

On veille la paix en abandonnant l’idée « du comment et des outils pour ».

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Contact : sur le site http://www.f-45.com

ou par email [email protected]

Edition limitée de tirages Ilfochrome du 30 x 40 au 60 x 80 cm, numérotés et signés

Photographies deChristophe Cassegrain

( Voir photographie en ce numéro page 4)

Collection VintageSymphonie de lumière

www.revue3emillenaire.com

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Jean-Marc Mantel – Prière et méditation sont lesdeux faces d’une même médaille. Elles trouventtoutes deux leur source dans le silence qui précèdela pensée.

La prière est chargée d’une intention. Elle estnourrie par la croyance que le prieur et le prié sontséparés.

La méditation est libre d’intention. Elle est uneexpression naturelle du silence, et ne se réfère ni àun méditant, ni à un objet de méditation.

Prier et méditer sont des actions qui sont toutesdeux maintenues par la croyance d’être quelqu’un.Sans un quelqu’un qui prie et qui médite, que reste-t-il de la prière et de la méditation ?

La réponse à cette question ne peut être trouvéedans le mental pensant. Elle se recueille, comme lesuc d’une fleur, en la laissant agir, infuser, etéveiller la conscience de la dimension non-mentalede l’être.

Le moi, en tant que personne, a toujours unemain prête à saisir, cachée derrière les actionsaltruistes. Le moi, en tant que conscience, n’est riend’autre que présence. La présence n’a rien à saisir,car elle est ce vers quoi tend toute saisie. Elle est àla fois le sujet et l’objet, ce qui saisit et ce qui estsaisi. Le parfum du silence rayonne lorsque l’inten-tion s’éteint.

L’intention peut-elle être abandonnée ?

Tout effort d’abandonner l’intention est égale-ment le reflet d’une intention. La non-intention nepeut être provoquée. Elle est le fruit d’une élimina-tion, et non d’une accumulation. Elle se révèle dansla vision que vous êtes ce que vous cherchez. Cettecompréhension, en devenant vivante, rend caduquetoute velléïté de saisie, de contrôle. L’objet de sai-sie n’est rien d’autre que vous-même. La non-inten-tion est ainsi la traduction d’une liberté d’être, quin’est pas une liberté d’action, mais une liberté parrapport à l’identification à l’acteur et à l’action.

Ma situation, dans le quotidien, est celle d’unprisonnier : je suis identifié à mes désirs, à manégativité, à mes illusions, fussent-elles spiri-tuelles. Tel est, si l’on peut dire, le lot quotidien del’homme ordinaire. Mais que dire à un chercheurde vérité, dans ses premiers pas, quand il constateque le silence qui parfois se révèle en lui ne cessed’être recouvert par le bruit de ses associations depensée et d’une « vie » intérieure tumultueuse ?Cette découverte va générer mécaniquement en luil’impulsion de faire quelque chose. Que peut-ilalors faire ?

Le désir de faire appartient au cercle sans fin dela peur, dans lequel l’objet de la peur n’est pas dif-férent de celui qui a peur. Le sujet et l’objet de lapeur sont les deux faces d’un même moi qui luttepour sa survie. Voyez sur le vif, dans l’instant, lesidentifications et projections. Lorsque l’agitationest contemplée par un regard libre du refus et de lacomplicité, elle se résorbe dans la silencieuse tran-quillité. Il ne s’agit pas là d’une action, mais d’unerésorption. Cette résorption est passive par l’absen-ce d’un vouloir, mais active par la présence de laconscience. C’est en fait la vision qui est libératri-ce, mais non pas l’action.

Dans l’identification et la crispation de l’egoconcomittante, peut-on voir sur le vif, dans l’instant ?L’agitation, la peur, sont bien rarement contemplées,mais plutôt subies. L’absence d’un « vouloir »semble n’être qu’exception dans la quotidiennetéde notre mécanicité. Être ouvert à la Présence de laConscience continuellement est-il possible ?

La vision est toujours présente. Elle est l’arriè-re-plan de toute perception. Lors de la réactionémotionnelle et de l’identification à l’objet, laconscience de la vision est temporairement obscur-cie, comme le silence du fond de la mer qui estinaudible lorsque l’attention est fixée sur le bruit

prière, méditation

et non-dualité

Jean-Marc Mantel

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PRIÈRE, MÉDITATION ET NON-DUALITÉ - 41

des vagues. Cette conscience de la conscience s’af-firme lorsque les objets perdent leur pouvoir d’at-traction. Ce lâcher n’est pas le fruit de la volonté,mais de la vision que le bonheur recherché ne setrouve pas dans l’objet. L’objet n’est en fait pasdifférent de vous-même. Il est le bonheur projeté.Mais il n’est pas le bonheur. Cette présence de laconscience dont vous parlez se découvre ainsi dansl’élimination, mais non dans l’accumulation. C’estpar l’élimination de ce que vous croyez être que ceque vous êtes se révèle. Il en est de même pour lecouteau du sculpteur qui ne crée pas la sculpture,mais élimine ce qui la masque.

A la manière du silence de la mer qui s’entendau mieux lorsque la vague réintègre l’océan, danscet instant qui sépare la fin d’une vague et la nais-sance d’une autre, la conscience témoin sedécouvre au décours de l’émotion, lorsque la réac-tion meurt et que l’émotion réintègre la beauté dontelle est issue. L’esprit est alors silencieux et lalumière d’être luit.

Nombre de Traditions insistent sur la nécessité dela pratique : pratique de la prière ou pratique de laméditation. Une telle pratique a pour objet de pré-parer le terrain intérieur, permettre une « désin-toxication » de ce que l’on croit être – l’élimina-tion dont vous parlez –, et une ouverture à ce qui estau-delà de la personne conditionnée. Une telle pra-tique, qui nécessairement commence dans la duali-té, peut-elle servir de béquille pour que se découvrel’arrière-plan, la « conscience-témoin » ? Unepratique à finalité spirituelle est-elle nécessaire ?Souhaitable ? Dans quelle perspective et suivantquelles modalités ?

Toute pratique nécessite un pratiquant. Ledilemme de la pratique est qu’il n’existe pas de pra-tiquant. Le pratiquant est la pensée “Je” qui sesuperpose à l’action. A l’instant de l’action, il n’y apas d’acteur. Le vécu est purement non-duel.L’acteur apparaît en même temps que la pensée“j’agis”. Il en est de même pour la pratique spiri-tuelle. Le fait que le corps s’immobilise et les yeuxse ferment n’est pas en soi la méditation. Mais cemouvement est l’expression de la méditation. C’estla méditation qui l’inspire. La tendance à la disper-sion attire des mesures destinées à la réduire. Cen’est que lorsque l’eau se calme que le fond du lacapparaît. Ce n’est que dans le silence de l’esprit quesa nature apparaît. Toutes les approches qui invitentle silence sont en fait l’expression de la méditationqui immerge le moi personnel dans l’immensitésans limite de la conscience. Tôt ou tard, le médi-tant est absorbé dans la méditation. Il est médita-tion. Vouloir méditer est en fait le signe de la médi-tation qui se substitue à l’agitation. Le parfum dusilence s’impose comme plénitude sans cause. Nepas vouloir méditer est aussi un vouloir. Tout vou-loir pointe vers le non-vouloir. En se retournantvers l’objet véritable du désir, le moi se noie dans leSoi, sujet connaissant, liberté présente, et indivi-sible présence.

Une interview du Dr Jean-Marc Mantel,avec la Revue 3e millénaire (2002).

Contact : http://jmmantel.net

Toute pratiquenécessite un pratiquant. Le dilemme de la pratique est qu’il n’existe pas de pratiquant.

© Dominica http://dominicah.free.fr

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42

A ceux d’entre nous qui nous sommesposés des questions sur ce que nous

sommes, quelle est notre relation auxautres, au monde et à l’universel, une telleproposition est assez familière ; noussavons cela, parce que nous l’avons lu,nous l’avons entendu ou nous en avonsl’intuition. Mais il n’en est pas moins cer-tain aussi que pour la plupart d’entre nouscela ne fait pas concrètement partie denotre vécu habituel ou même exceptionnelet nous ne savons pas trop comment nousy prendre pour entreprendre la recherche.

Pourtant, si c’est un tel secret, il en estainsi au cœur de chacun de nous, au cœurdu monde et de toutes ses myriades deformes et d’événements, il y a certaine-ment un chemin pour y conduire, unmoyen pour rencontrer cette réalité vivan-te qui nous habite et que nous sommes.

Quel pourrait être le chemin le plusnaturel – ou tout au moins un chemin – sice n’est le retour vers soi-même, vers ladécouverte de la nature de notre plus intimesubstance et la manière dont elle se mani-feste. Et sur cette voie nous devrons obser-ver, être à l’écoute du ressenti des innom-brables et diverses vibrations par lesquelles

s’expriment notre sensibilité, nos émotions,nos sentiments qui traduisent notre relationau monde ; tous ces mouvements sensitifsqui sont à l’origine de la sensation.

La sensation qui se situe au point derencontre du corps et de l’esprit est unesorte de pont entre notre réalité physique etla réalité informelle. Elle est ainsi porteusede conscience, conscience qui peut êtreperçue au sein de la sensation elle-même, sinous savons être vigilant, attentif, sans idéepréconçue sur ce que nous allons découvrir.

C’est donc par l’attention à la sensa-tion, c’est-à-dire par l’attention dirigée aulieu de la perception – l’attention percepti-

ve – que nous pouvons rencontrer la réali-té essentielle de ce que nous sommes, etpar le ressenti de la sensation, que nouspourrons faire l’expérience directe de cetteréalité.

Il s’agit bien ici d’attention perceptiveet non pas d’une attention mentale, discur-sive, qui va nommer, évaluer, juger, com-parer, beau ou laid, bon ou mauvais, j’aimeou je n’aime pas. Attention perceptive ouattention non-conditionnée, qui n’est autreque la conscience non-réflexive, qui entredirectement en relation avec les événements,les situations internes – ou externes – et dece contact naît la sensation.

Pratiquer l’attention perceptive, c’estdévelopper la conscience sensitive ducorps, qui est la porte d’accès à laconscience essentielle de ce que noussommes. En effet, lorsque l’attention (per-ceptive) se dirige vers la sensation, cetteattention-conscience non réflexive rejoint

attention perceptive et méditation

Marigal

« Nous ne sommes pas séparés, isolés. Il n’y a pas moi

et les autres, et le monde. Les autres, le monde, moi,

l’univers et ses myriades de formes et d’événements,

sommes les membres d’un même corps, les gestes d’une

même Réalité. Nous évoluons dans un même

mouvement – expression de l’essence ultime qui

se déploie et se reploie sans cesse et à l’infini. » *

“ Ce n’est pas

quelqu’un,

un moi-ego,

une entité isolée,

séparée,

qui perçoit

la sensation,

c’est la sensation

qui se perçoit

elle même… ”

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attention perceptive et méditation

la conscience interne de la sensation, qui, à cecontact, va pouvoir s’éveiller et se percevoircomme conscience sensitive. Ce n’est pasquelqu’un, un moi-ego, une entité isolée, sépa-rée, qui perçoit la sensation, c’est la sensationqui se perçoit elle même comme consciencesensitive. C’est l’ensemble du corps sensitifqui se perçoit lui-même conscience sensitive,sans les barrières de l’ego, qui n’est autre quel’artefact du mental discursif, sans les limitesde la personne.

Si l’on essaie maintenant un parallèle avecla vague et l’océan, on peut voir que, de mêmeque la vague qui émerge de l’océan n’est passeulement la vague mais est aussi l’océan, demême la globalité individuelle que noussommes n’est pas différente, n’est pas séparéede l’océan, globalité infinie ; l’une et l’autresont une seule et même réalité.

Ainsi, lorsque s’éveille la conscience sen-sitive, c’est la Réalité en nous qui s’éveille,c’est la réalité qui prend conscience de sa natu-re de réalité – qui s’actualise en tant queRéalité une et sans limite d’aucune sorte, ni entant que totalité ni pour ses constituants.

C’est le silence de l’indicible au-delà de toutconcept et de toute formulation mentale, l’espa-ce à l’infini qui n’a ni commencement ni fin.C’est l’immobile à la source du mouvement –“Cela” qui ne peut se traduire par des mots.

“Cela” qui est le cœur de la méditation, quis’épanouit et s’incarne dans la méditation –évidence dans l’instant, pleinement vécue etintégrée.

* Marigal est l’auteur de l’ouvrage

Voyage vers l’insaisissable (Ed. du Relié)

Les Deux Océans19, rue du Val-de-Grâce - 75005 ParisTél. : 01 4633 6819 - Fax. : 01 4329 7973

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Orphée crucifié18.50 € (20,63 € port compris - France métropolitaine)

Orphée fascine, son mythe traverse les âges. Il accède par l’épreuve de la souffrance et de lamort à un état divin. Poète et musicien, il est le

Verbe qui ne peut se reconnaître que dans le poèmepur, le silence où se résorbe tout langage. Il est par son chant l’Amour, l’Amant et l’Aimée. Ayant réalisé l’unité en lui-même, c’est en lui-même qu’il retrouve Eurydice.

Comme Jésus, Orphée a bu à la source, comme lui il est le Vivant.

JEAN KLEIN

L’insondable silence18,50 € (20.63 € port compris - France métropolitaine)

L’Enseignement qui nous est proposé dans cet ouvrage évoque la patience admirable du guetteur qui ne perd jamais de vue l’horizon

tremblant : ni philosophie, ni système.

Pour le fonds, consultez le site www.lesdeuxoceans.fr

Page 44: 3ième Millenaire n°67

B eaucoup d’entre nous sont extrêmementsavants pour avoir lu beaucoup de livres et

assisté à de nombreuses rencontres sur le thèmede la spiritualité. Mais nous ne sommes pas parti-culièrement instruits quand il s’agit de lire et decomprendre le livre le plus proche de nous, tou-jours disponible et contenant les secrets les plusessentiels de la spiritualité : le seul livre qui vaillela peine d’être lu, celui que l’on est soi-même.Quand je le lis avec une attention totale, sans êtredistrait, je m’engage dans la forme la plus grandede ce que j’appellerais « l’ultime méditation ».

L’ultime méditation devrait être, de façonidéale, la première méditation, car elle est réelle-ment la dernière au sens où elle met fin à toutesles méditations. On peut aussi dire qu’elle est laseule qu’un être humain ait besoin de faire.J’utilise le qualificatif « dernière » dans le sens

l’ultime méditation :

lire le livre que l’on est

soi-même

Robert Powell

De même que personne ne s’identifierait avec un arc-en-ciel ou n’importe quelle

« apparence », une personne saine d’esprit ne devrait plus s’identifier à son corps.

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L’ULTIME MÉDITATION - 45

strictement temporel, mais aussi pour indiquer quecette affirmation est d’une nature qualitativement dif-férente d’une conclusion ou d’une réflexion faisantsuite à une enquête strictement scientifique ou philo-sophique. En effet, prenons l’exemple d’un scienti-fique se forgeant une nouvelle conception de la naturedu monde physique - disons, en découvrant une théo-rie plus avancée de la mécanique quantique ou unedescription plus affinée d’un univers holistique. Enfait, il change sa vision du monde extérieur, mais enlui-même, au niveau de son être et de son fonctionne-ment propre, il reste fondamentalement inchangé. Deplus, les nouvelles images du monde extérieuracquises par ce scientifique ne seront certainement pasles dernières qu’il se créera, bien qu’il le pense. Cetype de personne, qualifions-le de scientifique-philo-sophe, peut donc connaître une expérience de l’inef-fable par laquelle, à un instant précis, sa vision dumonde est totalement transformée. Cependant, en lui-même, en tant qu’expérimentateur, il reste fondamen-talement le même. Car, à ce niveau, l’ensemble de sastructure mentale est basée sur la pensée, les concepts,et tout ceci se déroule dans le champ du mental. Aussilongtemps que ce dernier demeure intact, il ne peut yavoir de transformation totale impliquant son être véri-table. Et dans une véritable transcendance, l’expéri-mentateur lui-même disparaît de la scène, et le sujet estinstantanément transformé.

Dans cette ultime méditation, non seulementl’image du monde est changée au-delà de tout leconnu, mais le méditant lui-même se trouve transfor-mé. En fait, il serait plus précis de dire qu’il a disparude la scène. Une caractéristique de cette metanoïa estqu’elle n’est pas progressive. Elle ressemble beau-coup plus à un renversement car elle a tendance à opé-rer d’instant en instant. Un autre aspect est qu’aucuneffort, aucune pensée par elle-même, ne peuvent accé-lérer notre libération spirituelle. Un élément intan-gible - appelez-le «grâce» si vous voulez - semblenécessaire. Finalement, cette ouverture à la réalité sesitue initialement à un niveau très individuel, mais onconstate finalement l’existence de vérités fondamen-tales communes à tous, et si bien énoncées par degrands Maîtres comme Ramana Maharshi,Nisargadatta Maharaj ou d’autres sages de l’Advaïta.Les éventuelles différences dans leurs enseignementsse trouvent plus dans la forme que sur le fond.

Traditionnellement existent différents types deméditation, et dans leurs formes les plus abouties, lesenseignants incitent à méditer sur le méditant qui envient à se poser la question, « Qui suis-je ? » Monapproche est un peu différente dans la première étape,mais au bout du compte, elle revient au même. La pre-mière étape de ma démarche est une enquête : com-ment et que vois-je ou expérimente, qu’est-ce qu’une«expérience» pour moi et comment est-ce que j’inter-

© Photos : S

ylvie Cha

dourne

/ [email protected]

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46 - ROBERT POWELL

prète le monde de mes perceptions, mon expérience ?Puis, je constate que j’arrive toujours inévitablementà cette même question : « Qui ou Que suis-je ? » Toutd’abord, « Qui suis-je ? », puis « Que suis-je ? » Il ya une différence entre ces deux questions : « qui »implique toujours la nature d’une personne ; « que »va au-delà et désigne l’impersonnel.

En commençant la première étape de cette enquê-te, on peut constater que tout au long de ma vie deveille, je fais des expériences - ou plus exactement, ilse produit des expériences, car je ne fais rien de maniè-re active pour cela. Laissons de côté le fait qu’à cetteétape de l’enquête, ce que l’on appelle «je» n’est pastrès clair. Nous ne parlons pas ici des expériences par-ticulières que je peux vouloir provoquer ou diriger, quitrouvent leur origine dans un désir d’une sorte oud’une autre - ou sont induites par la peur. Dans lecontexte présent, l’«expérience» est uniquement syno-nyme d’»être éveillé». Une expérience m’arrive tantque je ne suis pas endormi ou tombé en pamoison.

Quelle est l’origine d’une « expérience » ? C’estévidemment la question logique qui vient ensuite. Lesdiverses impressions sensorielles sont coordonnées ettraitées par le cerveau. Les organes des sens fonction-

nent normalement en corrélation avec une partie pré-cise du cerveau, sauf pour les rêves dans lesquels lafonction cérébrale est seule active, et donc capable deproduire uniquement un «monde» de piètre qualité.

Selon l’opinion prédominante, les organes dessens sont des portes empruntées par l’expérience pournous atteindre. C’est seulement en partie vrai, voiretotalement faux ; tout dépend de notre point de vue oude la profondeur de notre compréhension de nous-même. Utiliser le terme « porte » implique évidem-ment que quelque chose pénètre notre être du mondeextérieur. Mais à un niveau plus subtil, les mondesintérieur et extérieur ne font qu’un et cette division estpurement une projection de la pensée. « Extérieur » et« intérieur » sont des concepts basés sur l’opinionrépandue que nous sommes notre corps, au moinsaussi longtemps qu’il est question de notre délimita-tion dans l’espace-temps. Et, cette opinion est si enra-

cinée dans la conscience qu’elle est très difficile à éra-diquer. J’essaye donc de redécouvrir mon origine, macondition primordiale, afin de comprendre la situationdifficile actuelle de l’Homme.

Nous sommes face à un paradoxe essentiel, unevariété de celui de l’œuf et de la poule. Lesdites«portes» engendrent la confusion fondamentale sous-jacente à notre niveau de compréhension actuel carelles sont infiniment plus que de simples pourvoyeursd’expérience : elles sont en fait les génératrices del’expérience. Et ceci malgré l’affirmation souventrépétée suivant laquelle les organes des sens seraientinnocents, comme le décrivait si bien feu Alan Watts,et que la corruption n’apparaîtrait qu’avec l’interven-tion du mental. En gros, Watts avait raison, bien sûr,mais qu’est-ce que le « mental » ? Dans ce contexte,devons-nous proclamer ce « mental » comme unedonnée établie ? La « pensée » résulte de stimuli phy-siologiques créés par une perception sensorielle, puisle mental (l’individualité ou le sens du « je ») se trans-forme tout à coup en être, résultat de l’interaction de cegerme de pensée avec l’Attention ou la Conscience.N’est-ce pas ce à quoi Sri Nisargadatta Maharaj exhor-tait quand il disait : descendez, descendez ! pour suivrepas à pas la naissance et l’agitation primordiale de laconscience dualiste et de la pensée, émergeant de lapureté originelle de l’advaïta. Voici ce qu’il écrit [1] :« l’univers entier, tout ce qui apparaît, est contenudans le principe de la naissance. C’est pourquoi il y aune telle insistance sur la découverte de ce qui est.Peu de gens prêtent attention au principe de la nais-sance, car ils ne réalisent pas son importance. A causede ce principe, tout est, le monde est. Toute la connais-sance sur le monde est contenue dans cela. Seule unepersonne sur dix millions peut découvrir l’essence duprincipe de la naissance. Et, une fois que vous l’avezdécouvert, toute chose, toute connaissance, vousappartiennent - même la libération est vôtre. » Dansl’Evangile de Thomas, Jésus, interrogé par ses dis-ciples, « dis-nous quelle sera notre fin », répondit :« avez-vous donc découvert le commencement quevous voulez connaître la fin ? Car où est le commen-cement, sera la fin. Béni celui qui tiendra sa place aucommencement, il connaîtra la fin et ne connaîtra pasla mort. » [2] Jésus semble recommander à ses dis-ciples d’apprendre tout d’abord à être des « novices duZen », pour ainsi dire, avant de spéculer sur l’avenir.Et ensuite voir que le nouveau paradigme, tourné enapparence vers l’avenir est en fait toujours enracinédans la compréhension de l’ici et maintenant.

Poursuivant notre ultime méditation par cette pro-position s’appuyant sur notre argument, je suggèreque sur le substrat primordial, couche de l’innocence,

Tout comme physiologiquement la continuité de la vie biologique est fondée sur la

divisibilité de la cellule, la vie de la psyché est conditionnée par la dualitéfonctionnelle des organes des sens.

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L’ULTIME MÉDITATION - 47

un léger souffle de dualité puisse apparaître et que,bien que située sur un plan physique, rend possible, etmême soit essentiel à la surimposition d’un niveauconceptuel et émotionnel. Par exemple, les cellules dugoût dans la bouche sont mises en contact avec unesubstance douce comme le miel. Immédiatement, unesensation de plaisir est créée, puis le mental se jettedessus avec cette pensée : « j’en veux encore plus. »Et inversement quand le goût est amer – on peutprendre un autre exemple avec un bruit soudain, stri-dent et aigu – les cellules du corps réagissent en oppo-sition par un recul immédiat. Ainsi, avant que le men-tal n’ait même réalisé l’étendue de cette expérience, ils’est produit une réponse du corps, comme à la vites-se de la lumière. Puis le mental intervient, par uneconstatation du genre, « c’est plaisant et je dois enavoir plus » ou « c’est désagréable et je n’en veuxplus du tout. » On peut affirmer, au passage, que celadoit être fortement relié au mystère de la Création duMonde, qui n’est pas un événement se déroulant dansl’espace-temps et n’est ni individuel ni collectif, maissurvient lors de chaque manifestation de l’Eveil.Quand je suis apparu dans le monde, étrangement, lemonde est apparu avec moi. A ma mort, je ne quittepas le monde, mais il s’en va avec moi. Exactementcomme chaque fois dans les rêves, où j’entre et je res-sort dans des mondes différents habités par des gensdifférents. Cette observation forme la pierre angulairede la conception et de la compréhension intérieures del’Advaïta, si bien exposées sous ses différents aspectspar Ramana Maharshi.

L’étape suivante de notre investigation consiste àprendre conscience que la dualité du plan physiquesurvient nécessairement avant qu’il puisse être ques-tion de dualité au niveau psychologique. Le désir et lapeur apparaissent naturellement avec la conscience dumonde physique. Tout comme physiologiquement lacontinuité et le maintien de la vie biologique sont fon-dés sur la divisibilité de la cellule, la vie de la psychéest conditionnée par la dualité fonctionnelle desorganes des sens. C’est dans ce contexte que leurnature de générateur d’expérience peut être comprise.

Venons-en au point capital. L’explication del’existence du monde physique, et en particulier demon être somatique, nécessite tout d’abord la présen-ce de mon corps. C’est le modus operandi essentiel :pour voir, pour expérimenter quelque chose, j’aibesoin des organes des sens. Donc, pour devenirconscient de mon soi-disant «corps», j’ai besoin deses détecteurs. Mais que sont-ils ? Ils sont évidem-ment de la même nature que le « corps ». On peutl’exprimer encore ainsi : pour devenir conscient demon corps, j’ai besoin tout d’abord de mon corps -

mon corps apparaît, vient à être, et à être présent ici àla première place. Tautologie évidente ! Peu de tempsaprès que ce fait remarquable se soit totalement imposéà moi, j’ai trouvé par hasard la citation suivante ducélèbre sage indien, Krishna Menon, connu aussi sous lenom de Sri Atmananda : « Chaque organe sensoriel neperçoit que lui-même ; la connaissance ne connaît quela connaissance, et l’amour n’aime que l’amour. Pourrésumer, l’instrument utilisé est lui-même perçu parl’instrument. » Et Sri Atmananda rajoute plus tard :« Une chose ne peut prouver l’existence de riend’autre qu’elle-même. Les sensations ne peuventprouver que l’existence des sensations. Donc, vous nepouvez que prouver votre propre existence. » (Par là,il voulait dire, bien sûr, qu’il n’y a jamais de preuveindépendante de l’existence d’une créature). Celasignifie que l’expérience est un cercle vicieux, oucomme nous l’avons écrit : les organes des sens sontvraiment des générateurs et pas de simples hublots !Curieusement, ils sont simultanément des générateurset des détecteurs. En d’autres termes, le corps n’exis-te que par rapport à lui-même, mais rien d’autre quelui n’a d’existence objective ! On a tout simplementété hypnotisé, entraîné, en étant trompé, à accepterson existence factice comme une réalité. Mais nouscomprenons maintenant que le corps est comme unarc-en-ciel, une illusion du réel, une interprétationerronée des sens. Et, de même que personne nes’identifierait avec un arc-en-ciel ou n’importe quelle« apparence », une personne saine d’esprit ne devraitplus s’identifier à son corps. Donc, si l’on n’est pasnotre corps, alors on est Cela prenant conscience de lasituation, en d’autres termes, l’Attention ou laConscience - notre véritable et unique Soi (ou Atman,comme on le nomme en Orient).

[1] - Sri Nisargadatta Maharaj, L’Ultime guérison, Ed.Mortagne.[2] - Extrait de L’Evangile de Thomas, n° 18, manuscrit déterré àNag Hammadi.

� Robert Powell, éditeur et écrivain philosophe, a écrit de nombreux ouvrages* parus aux Etats-Unis, sur ses expériences avec J. Krishnamurti ou Nisargadatta Maharaj, ainsi que son expérience propre dans une approche non-duelle de la Vérité. Voir les articles de Robert Powell dans 3e millénaire n°40, 41, 48, 61, 65 et 66.

* Blue Dove Press P.O. Box 261611 San Diego, CA 92196 Tel : 619/271-0490 Fax : 619/271-5695 E-mail : [email protected] www.bluedove.com

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la méditation selon

le chamanisme

Claude Paul Degryse

Sans conscience,

donc sans présence

d’un sujet dans une forêt,

la forêt n’existe pas ;

sans sujet, pas d’objet.

© Photo : Jean

-Marc Rob

ion

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uelle que soit la voie spirituelle que l’on achoisie, la méditation est l’un des exer-cices fondamentaux que l’on rencontrera

pratiquement dans toutes les traditions, y comprisdans le christianisme originel.

Pour certaines de ces voies, elle est même La dis-cipline par excellence.

Mais si l’intellect (ou le mental) est la fonction psy-chique que la méditation a pour but de mettre au ralen-ti afin de permettre l’accès à des états de consciencelibérateurs et plus profonds, cela ne veut pas dire pourautant que le pratiquant ne doive pas comprendre intel-lectuellement ce qu’il fait, non pas, bien sûr, pendantqu’il le fait, mais dans une phase d’intégration post- oupré- méditative qui fortifie sa démarche et la rende plusefficace : la « diabolisation »du mental est d’ailleurs unealtération courante et osten-tatoire du sens de la médita-tion par les débutants. LeMental doit être chevauchémais on ne peut ni ne doit enaucune façon tenter del’anéantir en tant que fonctionde « mise en ordre » de laRéalité. Le Mental est l’outilnécessaire du Tonal (le connu,le familier) et c’est son net-toyage qui prépare l’accès dupratiquant au monde duNagual (l’inconnu).

Le chamanisme, quiappelle la méditation :Silence Intérieur, considèreque celle-ci est la porte prin-cipale du changement et ilfournit sur le mécanisme dela conscience quotidienneune explication qui en éclai-re la pratique sous un jouroriginal dont le but est préci-sément de donner au prati-quant un fondement logiquepuissant pour sa démarche.

Pour le chaman, c’est laconscience qui rend les

choses réelles, non que le monde des « choses » et desobjets soit illusoire mais il est un gigantesque potentielaux milliards de facettes inconnues et inconnaissablesdans son ensemble auquel chaque conscience donnel’existence par le choix sélectif qu’elle opère en exer-çant son attention sur l’une de ces facettes. Sansconscience, donc sans présence d’un sujet dans uneforêt, la forêt n’existe pas ; sans sujet, pas d’objet !

C’est parce que nous décidons avec une totale ettransparente conviction que les choses sont et sontceci ou cela qu’elles le sont instantanément.

Cette façon de considérer le rapport entre laconscience et le monde des objets, qui nous choqueénormément en tant que pratiquants inconditionnels,actifs et surtout inconscients de l’objectivisme

moderne, est appelée « sub-jectivisme » en Ontologie,la science de « l’Etre », carelle fait du monde manifes-té, ce monde qui est là,autour de nous, une stricteaffaire de conscience, d’in-dividu et de sujet perpétuantce monde consensuellementpar le langage (suprêmevalidation de sa réalité)mais avant cela par l’ap-prentissage sensoriel dirigéet totalement sélectif impo-sé à tout enfant qui naît.

Ainsi, chacun apprendde ces aînés et de la collecti-vité, un monde qu’il croitexister indépendamment delui-même parce qu’il en par-tage la description verbaleavec les autres.

L’attention sélectiveest la clef de ce processus, lacroyance transparente, lamémoire et la répétitivitéquotidienne en sont lesbases dans l’espace et letemps.

En fait, selon les cha-mans, ce monde extérieur est

LA MÉDITATION SELON LE CHAMANISME - 49

Guerrier toltèque, provenant du TempleEtoile du matin de Tula, Mexico.

Q

« Quand l’homme comprend que Dieu rêve l’univers

à travers la conscience des Etres, alors il s’éveille. »(proverbe chaman)

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50 - CLAUDE PAUL DEGRYSE

fait, comme on l’a dit, demultiples « choses » (onn’ose pas dire « réalités »),chaque individu, chaquesociété, chaque culture etchaque espèce choisissant lasienne à travers ses filtresspécifiques pour la vivre fina-lement comme La réalité.

La Réalité est fabriquéeainsi par la conscience (le grand physicien LordEddington dit : « Le matériau de l’Univers est men-tal »). C’est pourquoi les chamans disent que si unjour, nous arrachant à la certitude et à la mémoire dece qu’elles « sont », nous croyons avec autant de certi-tude qu’elles sont autre chose, alors les choses peuventdevenir autre chose ! Mais bien sûr, tout le travail estdans le coup d’arrêt à cet « anneau de pouvoir » parlequel nous les créons (ceque j’appelle en développe-ment personnel systémique :« Le processus de laconnaissance »).

Ainsi, comme ils ledisent, nous pouvons « stop-per le monde », soit par uncoup soudain soit progressi-vement mais néanmoinstout aussi efficacement parla méditation.

Le premier pas consisteà comprendre notre enfer-mement dans l’anneau depouvoir : c’est la consciencequi définit le sens des mots« exister », « être », « réalité »,qui en définit aussi le conte-nu et l’expérience. Tout, dela sensation à la conception,est englobé par la conscien-ce ; il n’y a rien d’accessibleen dehors d’elle.

Prenons un exemple : duhaut d’un pic isolé vousregardez un paysage, vous lepercevez et vous dites : « il ya un paysage, il est commececi ou comme cela, c’est unpaysage de montagne, ilexiste, il est réel ».

Puis vous imaginez quevotre conscience s’abolit, le

Néant, soudainement… iln’y a plus de témoin pour lepaysage, personne d’autrene le voit, ce paysagen’existe plus, vraiment plus.Mais vous allez me dire :« si, il existe encore, car100 mètres plus bas, il y amon ami qui le regardeaussi ». Pour vous, c’est

certain, cela va de soi. Mais qu’en savez-vous ? Cettepersonne, elle existe aussi pour vous dans votreconscience, c’est celle-ci qui lui donne l’existencepour vous, vous êtes la conscience qui affirme cetteexistence. En tant que telle, cette personne disparaîtaussi quand votre conscience disparaît.

Exister est un concept de la conscience, c’est làqu’est sa limite ! Plus de conscience… plus d’exis-

tence !L’objectivation de

quelque chose ou de quel-qu’un qui continue d’existeraprès que votre conscienceait été abolie est une créa-tion de la conscience. LeMonde est le monde dechaque conscience et on nesait même pas et on ne pour-ra jamais savoir si les autrespersonnes dont votre miroirvous dit que, vous ressem-blant physiquement, ils ontaussi une conscience au-dedans, en ont une ! (Lalogique du subjectivisme ne vacependant pas jusque-là puis-qu’elle parle de multiplicitédes mondes… subjectifs !)

La réalité est ce dont notreconscience peut témoigner etelle s’abolit quand notreconscience s’abolit. C’est bienla conscience qui fait la réalité.

Vous rendez-vous comptemaintenant de l’énorme pou-voir qu’à votre conscience ?Cette création du monde parla conscience, le « processusde la connaissance » (dulivre « le développement per-sonnel systémique ») en faitla description rigoureuse etChaman, VIe-IXe s., Veracruz, Mexique

La méditation

est l’un des exercices

fondamentaux que l’on

rencontrera

pratiquement dans

toutes les traditions.

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LA MÉDITATION SELON LE CHAMANISME - 51

détaillée point par point, filtrage après filtrage jusqu’àl’évidence : l’impensable, l’incroyable : le pouvoirréellement magique de notre attention.

Notre écoute (au sens large d’« attention ») estdonc extrêmement sélective et de cette sélectivitédépend notre capacité de conserver le monde tel quenous le créons. Dans ces conditions, tout changementréel, en tant que rupture avec cette continuité, devientun travail d’hercule et pourtant la vie a un besoin vitalde changement, d’évolution car elle ne peut être uni-quement continuité et répétition. Nos besoins inté-rieurs nous en montrent l’évidence autant que l’obser-vation de la nature.

Ainsi la vie utilise le temps selon deux modalités :une force de permanence qui tend à répéter et conser-ver les choses, les structures, les comportements, lesfonctionnements, à maintenir le connu (Vishnu dansla trilogie hindouiste) et une force de changement quitend à rompre cette continuité pour apporter le renou-veau (Shiva) et pénétrer dans l’inconnu. La mémoireest l’outil essentiel de la première, l’attention, et enparticulier l’attention neutre et profonde, celui de laseconde. Cependant la force de permanence, qui assu-re la continuité et la cohésion rassurante du « familier »et du connu, semble fortement dominer notre vie et lechangement apparaît souvent comme doté d’une forcedestructrice et c’est ainsi qu’une écoute fondée sur lasélectivité conservatrice du monde prévaut sur uneécoute profonde par laquelle l’inconnu, avec tout cequ’il a d’effrayant, pourrait s’engouffrer.

Ainsi, par ce type d’écoute, disent les chamans,nous ne cessons pas de « faire le monde » (sous-entendu « le nôtre » et même « chacun le sien »), tou-jours le même, ce qui, tôt ou tard, a deux grandsinconvénients :

• A perception mécanique, réaction mécanique.Nos réponses à la vie, tirées de nos programmationsmémorielles ne sont jamais vraiment adaptées à laréalité qui nous environne, car elle n’est, malgré l’ap-parence, jamais la même, même dans un univers trèsroutinier et très protégé, et nous ne retirons de nosactes ni progrès personnel nisatisfaction profonde.

• Cette situation finit parnous donner la nausée, l’at-tention « intentionnelle » denotre anneau de pouvoirentraîne un surcroît de stag-nation et de léthargie mentalequi nous envahit, accompa-

gné d’un sentiment d’impuissance et d’« à quoi bon ? »face au marécage de routines dans lequel nous nousimmobilisons peu à peu, et dont nous ne pouvons sortirparce que nous ne savons pas comment il fonctionne.

Enfin, cette insatisfaction s’approfondit et nousentraîne vers les compensations de toutes sortes quinous enchaînent dans un anneau de pouvoir encoreplus inconscient. Alors peut-être rencontrerons-nous leprince de la spirale et du changement qui nous faitsigne, un doigt posé sur la bouche : « Silence ! », unsigne que nous ne comprenons pas tout de suite !Comment silence ? « Oui », insiste-t-il, « silence… ! »

Pour comprendre cette invitation, il nous faut eneffet d’abord découvrir que cette épouvantable stagna-tion, cette ronde sans issue dans laquelle les mêmesactes non gratifiants succèdent inlassablement auxmêmes perceptions sélectives du monde, est verrouilléepar un même dialogue intérieur, constitué de raisonne-ments, de discours et de pensées logiques qui font unvacarme permanent, absorbant toute notre attention.

Vous comprenez maintenant pourquoi l’esprit nousfait ce signe, le doigt sur les lèvres, « Silence… !Chut… silence intérieur… »

Les deux écoutes

Nous communiquons avec le monde extérieurselon la modalité bipolaire Recevoir-Emettre. Si noussommes conscients de notre anneau de pouvoir, nousessaierons, bien sûr, de recevoir avec le moins de fil-trages possibles ; humbles et nous arrachant à notredialogue intérieur, nous percevrons ce que le monde ade nouveau autour de nous, ce qui nécessite déjà unegrande vigilance !

Mais le plus souvent, le processus émetteur (pôleYANG), qui concerne autant ce que nous disons que ceque nous pensons, domine largement sur le pôlerécepteur (YIN).

Nous avons un tel besoin d’être écouté, considéré,d’exercer un pouvoir, une influence et nous pensonsnaïvement que ce pouvoir est de nature émettrice etYANG ! Nous sommes hyper émetteurs, d’autant plus

que cette hyper émission estce qui fait tourner notreanneau de pouvoir dans unprocessus automatiqueauquel nous nous laissonsaller avec complaisance etune totale inconscience.Cette croyance est une graveerreur ! Rien de plus impres-sionnant que les gens qui

Vous

rendez-vous compte

maintenant de l’énorme

pouvoir qu’a

votre conscience ?

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52 - CLAUDE PAUL DEGRYSE

parlent peu et savent cepen-dant être là, avec nous, dansun état d’attention réelle.

En effet, seul l’exercicede l’écoute réelle, de pôleYIN, permet de recevoir l’in-formation et l’énergie quinourriront une réponse adé-quate à la situation présente(ce qui est la définitionmême de l’intelligence).

L’écoute profonde et le silence intérieur

Il existe un autre niveau d’écoute, encore plus effi-cace : il s’exerce au-delà du familier, du connu ; sapratique nécessite de « stopper le monde », c’est-à-direde casser la continuité de l’anneau de pouvoir par lequelnous réinjectons en permanence dans le mental lesrésultats des projections que nous faisons sur le mondeextérieur et qui sont conformes aux filtrages que nousopérons sur ce dernier, autre-ment dit, il s’agit de cesser detourner en rond. Cet exercices’appelle le « silence infé-

rieur », la méditation duchamanisme, conforme,quant au fond, à toutes lesformes de méditations.

Nous ne nous étendronspas outre mesure sur la des-cription de sa pratique : ces-ser le flux des pensées et desjugements, pour laisser lecorps commencer à perce-voir le monde extérieur sansfiltrage et sans étiquettesafin d’entrer dans les autresaspects de sa réalité, plusexactement, afin de se per-mettre de créer une autreréalité, au sens littéral dumot.

Le but est de s’appro-prier un autre monde quicependant nous appartientpotentiellement, pour cesserde se sentir enfermé dansune prison dont noussommes à la fois prisonnieret geôlier, constatation quenous permet de faire la com-

préhension du « processusde la connaissance »(anneau de pouvoir) qui vamotiver et guider notre pra-tique de la méditation.

Le Chamanisme chi-nois parle ainsi d’uneimprégnation optimale deYiN pour faire un grandbond YANg. Le silence

intérieur, c’est le NON-FAiRE d’un anneau de pouvoirexercé inconsciemment qui engendre une existencesubie au lieu d’être une existence maîtrisée.

Pour le guerrier de l’esprit, méditer est sans douteune voie plus longue pour libérer la conscience, quene l’est le recours aux plantes psychotropiques, maisà l’opposé de celles-ci, bien loin d’être une facilité etune source de dépendance, elle apporte la maîtrise despouvoirs ainsi libérés et fait de lui un homme deconnaissance au plus haut niveau de la voie chamane.

Méditer pour accéder à notre inconnu

Je voudrais conclureces quelques lignes sur laméditation par la réflexionsuivante. Le simple fait deparler de Dieu en tant quecréateur de l’univers, en dis-sociant, dans les mots, lecréateur de sa création, sépa-rés par la conjonction « de »,révèle puis maintient (àcause de la puissance desmots sur la pensée elle-même) une distance entreles deux choses qui est unpiège dont la conséquencesemble d’abord d’égarerl’homme, et qui a en réalitéun rôle capital, un sens pro-fond. En effet, même si noussavons plus ou moins confu-sément qu’il y a une intimitépeut-être plus grande quecela entre le créateur et l’uni-vers, nous restons cependantdans la transcendance, neserait-ce que par le sentimentde dévotion et les gestes ducorps qui la révèlent : lesVision du Chaman Celte, IXe s. a-p. J.-C., Irlande

Peut-être rencontrerons-nous

le prince de la spirale

et du changement

qui nous fait signe,

un doigt posé sur la bouche :

“Silence !”

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LA MÉDITATION SELON LE CHAMANISME - 53

yeux se tournent vers le haut, le ciel. Dieu est au-des-sus de tout, il n’est donc pas vraiment dans ce tout(sans doute, dans notre inconscient transcendentaliste,parce que nous ne sommes pas digne de le contenir !)

Pour le chamanisme, cette « indignité » se trans-forme en « oubli », la distance mise entre le créateuret sa créature par la préposition « de » prend le sensdynamique d’une mission essentielle à accomplir surcette terre, au-delà des préoccupations de survie et debonheur : celle de se souvenir : Il est dedans, II EST

nous, je suis LuI, mais je l’ai oublié.Certes, les immanentistes (ceux qui tiennent ce

langage sur le divin) scandalisent souvent les trans-cendantalistes aux yeux desquels ils passent souventpour de doux rêveurs voire pour des mystiques éche-velés et cependant rien n’est plus concret que le cha-manisme, en particulier à cause de ce point précis.

Pourquoi, en effet, cette identité entre le créateuret sa création n’est-elle pas déjà évidente et réalisée ?Parce que le créateur-création est doté d’une particu-larité : il possède l’espace et le temps, donc le mou-vement, et il faut que ce mouvement ait une raisond’être, son immanence est active et cette activité seraconsacrée au souvenir, c’est-à-dire à l’éveil, concrète-ment : à l’activation et à la maîtrise de l’énergie quidéclencheront cet éveil, un travail permanent de touteune vie, fondé sur la congruence de la pensée, du sen-timent et de l’action.

Nous sommes des être lumineux

Pour le chamanisme, ceci n’est pas une métapho-re mais une réalité perceptible en état de conscienceélargie.

Le mot « lumière » est fréquemment utilisé en spi-ritualité : Dieu est la lumière, trouver la lumière, êtreilluminé, etc. Quand le guerrier de l’esprit devientchaman, il entre dans la seconde attention par laquel-le il perçoit les êtres vivants sous la forme d’un œuflumineux, un corps de lumière qui semble doté d’unevie propre, de conscience.

David Bohm, le grand physicien, déclare : « lamatière est de la lumière congelée ».

Le célèbre biophysicien Fritz Popp de l’universitéde Kaiserlautern a mis en évidence le fait que lesADN des cellules vivantes émettaient un rayonne-ment ténu ultraviolet doté d’un pouvoir de communi-cation à distance et d’une sensibilité qui laissent pré-sager de propriétés bien plus importantes encore.

Or c’est précisément le corps et sa lumière quifocalisent l’attention des chamans depuis des millé-naires, comme source de l’énergie par la maîtrise de

laquelle ils disparaissent un jour, ayant fusionné leursdeux attentions, échappant ainsi à la mort en gardantleur conscience individuelle. C’est là l’objectif finalde cette immanence active qui est leur credo et leurdiscipline.

La méditation occupe une place de choix danscelle-ci.

Le Chaman divise l’univers total en deux mondes :• L’un, le Tonal, qui rassemble tout ce qui est

« connu », ce que l’homme peut percevoir et mettreen ordre mentalement, ce qu’il explique, ce qu’il com-prend, ce qui lui est donc familier et identifiable, ycompris dans son propre corps.

• L’autre partie est le Nagual, l’Inconnu, le non-familier, non reconnaissable, non « mis en ordre »,non identifiable, y compris, aussi en lui-même, etqu’il pressent bien plus vaste que la première.

Nous avons vu plus haut que la conscience crée lemonde selon un processus circulaire dans lequel elles’enferme avec l’illusion de connaître objectivementLa réalité. Le Tonal est le résultat de cet anneau depouvoir créateur même s’il est relatif.

La méditation, en faisant cesser le dialogue inté-rieur, facilite le « stopper du monde » par lequel laconscience va rencontrer l’autre partie de nous-mêmes, notre inconnu, le Nagual.

Dans le silence de la méditation, nous pouvonsainsi un jour rencontrer notre vide essentiel qui, selonDavid Bohm, contient plus d’énergie au centimètrecube que toute la matière d’une galaxie, cette matièrequi, pour les chamans n’est, elle aussi, qu’une desdescription de l’essentiel.

Ainsi l’immanence active et la méditation éclai-rent le sens de la profession de foi du guerrier de l’es-prit selon la tradition Toltèque :

« J’ai déjà reçu le pouvoir qui gouverne mon destin,Je ne m’accroche à rien pour n’avoir rien à défendre,Je n’ai pas de pensées pour pouvoir voir,Je ne crains rien pour pouvoir me souvenir de moi-même,L’aigle me laissera passer, serein et détaché, jusqu’àla liberté. »

� Claude Paul Degryse est l’auteur du livre Le Développement Personnel Systémique, Ed. Accarias-l’Originel(ancien titre de L’alchimie du savoir et de l’action)

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54

Premier malentendu autour de la « méditation »

La notion de « méditation » repose, en Occident,sur de terribles malentendus. L’un de ces premiersmalentendus est la confusion classique entre penserréellement et associer des représentations, raisonner,cogiter ou réfléchir, etc. Cette confusion de l’acte purqu’est Penser et de l’action – habituellement réactive –que sont réfléchir, raisonner, se représenter les êtres etles choses ou discourir intérieurement sur eux, renfor-ce l’extrême difficulté, voire l’impossibilité, que nousavons à pouvoir « méditer » en occidental.

Pour aborder la méditation, il faudrait, et c’est làun vœu pieux, comme le dit Heidegger, « être prêtà apprendre à Penser » [1] ; seulement voilà, ajou-te-t-il « Dès l’instant où nous acceptons d’ap-prendre, nous avouons par là que nous ne pouvonspas encore penser. »

Pour se faire, toutes nos idées sur « penser » doi-vent être débusquées comme de simples chimères.

Toutes les idées et les représentations que nous avonssur le monde, sur les autres et sur un nous-même enétat second ne sont que les opinions d’une penséenaïve. Cette pensée naïve, qui remplit nos savoirs,reste à découvrir dans sa masse sombre, dans sa pué-rilité, et dans son besoin angoissé d’existence.

Apprendre à percevoir le mouvement conditionnéde cette « pensée naïve naturelle » (pour reprendre icil’expression judicieuse de Husserl [2]) se présentecomme une étape préalable à la méditation.

Méditer, est-ce « seulement » penser ?

Un second malentendu, et qui n’est pas desmoindre, consiste à croire que « méditer à l’occiden-tal » qui, par définition est « penser », ne peut enaucun cas induire une dimension d’amour ; qu’ils’agit d’un acte « froid », dans la rigueur de l’esprit,dépourvu de cœur et d’âme.

Seule la pensée ordinaire, ce « non-être » de l’âme,ce mouvement de la « vie apparente » [3], répond àcette définition. La confusion, évoquée plus haut, semaintient dans la séparation des pouvoirs entre Penser,Aimer et Vouloir ; elle perpétue obscurément l’incapa-cité de cette « vie purement apparente » à Penser, àAimer, et, par conséquent, à vivre spirituellement.

Un authentique philosophe, comme JohannGottlieb Fichte, a parfaitement compris, pour

l’avoir réellement vécu, que « la forme substan-tielle de la vraie vie est la pensée » [3], et que cette« vie qui est l’être » est évidemment « l’Amour ».C’est la « conception morte d’un contemplateur sansvie » qui fait de l’être « quelque chose d’immobile etde fixe » [3], qui suggère que la pensée et la vie, l’être,le bonheur et l’amour sont foncièrement et fonction-nellement distincts.

Les Anciens nous ont indiqué que la philosophiecommençait par l’« étonnement » ; c’est là égalementle commencement de la vraie méditation, quand la viedevient conscience d’elle-même.

Dans cette approche essentiellement nouvelle duPenser, Edmund Husserl constate que « … nous gagnonsun complet changement de l’attitude de l’ensemble de lavie, un mode du vivre totalement nouveau. » [2]

Un acte paradoxal : la « méditation »

• Seulement un « mouvement » ?

Le troisième malentendu, lié d’ailleurs aux précé-dents, consiste à croire que « Méditer » est une action

La méditation véritable s’origine dans cet acte pur : la vision impartiale de la vanité, à l’œuvre en nous-même…

3e millénaire

la méditation occidentale ou

le “ philosopher ”

© “Magritte” Dessin de Sylvie Cha

dourne

/ [email protected]

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mentale et que « Penser » est un processus temporel.La pensée ordinaire est tellement assujettie à la méca-nique de la parole et à l’association perpétuelle desreprésentations mentales, qu’il lui paraît évident d’en-visager la méditation dans les mêmes termes. EnOccident, l’affirmation tacite « méditer, c’est penser »revient à croire que penser en état de méditation est unprocessus, ou un mouvement, dit « dialectique » qui,d’une thèse, passe à une antithèse pour aboutir à unesynthèse. Il ne faudrait pas oublier que ce processusdialectique, formulé par Hegel, repose essentielle-ment sur notre incapacité à penser réellement ; et que« thèse » et « antithèse » ne sont que l’expression denos opinions multiples sous-jacentes à la parole.

• Seulement un « repos » ?

En relation étroite, et fermée, avec l’opinion pré-cédente, on croit habituellement que l’aboutissementde la méditation consiste en l’émergence d’une nou-velle idée, en un enrichissement du savoir, en unaccroissement de nos connaissances, en un « plus »venu combler nos manques. La méditation n’a pasd’aboutissement ou de fin car c’est l’émergence d’unetoute nouvelle modalité de l’esprit en éveil.

• C’est « un mouvement et un repos »

Selon l’une des plus fameuses sentences para-doxales du Tao, « c’est un mouvement et un repos »qui ne se réalise que lorsque l’on atteint au « Point lePlus Critique » [1] de l’apprentissage à la méditation.

Et ce « Point le Plus Critique se montre en ceci quenous ne pensons pas encore. » [1] Cette constatationforte est le début et la fin de la méditation : une plon-gée dans la source originelle de l’esprit. Car la médi-tation, c’est la Vie qui s’étonne, la Vie devenueconscience, l’ouverture de l’esprit ou, plus directe-ment, comme le nomme Heidegger, « l’Ouvert ».

Méditation occidentale : une voie de « purification » !

Les Méditations métaphysiques (1641) deDescartes restent un merveilleux témoignage d’unerecherche de la vérité au-delà des apparences et desconditionnements.

« Je suppose donc que toutes les choses que jevois sont fausses ; je me persuade que rien n’a jamaisété de tout ce que ma mémoire remplie de mensongesme présente… »

Au terme de son enquête, le philosophe modernes’approche de l’essentiel et déclare : «… il faut conclu-re, et tenir pour constant que cette proposition : je suis,

j’existe, est nécessairement vraie, toutes les fois que jela prononce, ou que je la conçois en mon esprit.

Mais je ne connais pas encore assez clairement ceque je suis, moi qui suis certain que je suis…

Or je suis une chose vraie, et vraiment existante ;mais quelle chose ? Je l’ai dit : une chose qui pense…

… je ne laisse pas d’être certain que je suisquelque chose. » [5]

Ce « je suis quelque chose », ce besoin d’existence,induit chez Descartes, et chez tout un chacun, la confu-sion entre ce que Husserl appelle : le « moi naturel oupsychologique » qui est « quelque chose », et, le « moitranscendantal » qui relève de l’« expérience nouvelle »des « Méditations cartésiennes purifiées » [4].

La méditation véritable s’origine dans cet acte purnommé par Husserl « l’épokê » : la vision impartiale dela vanité, à l’œuvre en nous-même, de toute « réflexionnaturelle » [4], de tout mouvement de pensée, de toutconditionnement psychologique. Cette épreuve de l’es-prit offre une « direction nouvelle » par laquelle, décla-re Husserl : « … je réduis mon moi humain naturel etma vie psychique – domaine de mon expérience psy-chologique interne – à mon moi transcendantal. » [4]

La tentation cartésienne est grande d’essayerd’appréhender ou de saisir ce « moi transcendantal »qui, hors de l’épokê, n’est plus qu’une expressionvide et prétentieuse, une opinion pseudo-philoso-phique de « la vie apparente » [3]. Une vigilante

rigueur au dénouement de l’illusion d’être « quelquechose » est l’authentique méditation vers l’ultimesujet, le vrai « moi transcendantal » ou « la vraie vieéternelle » [3]. Par cette approche, « s’offre à nousune science d’une singularité inouïe » [4] fondée, ausens philosophique et non plus psychologique, “dans”une connaissance de soi purifiée de tout conditionne-ment ou de toute « pensée naïve naturelle » [2].

[1] - Heidegger, Que veut dire « penser » ? in Essai et conférences,Gallimard, 1958.[2] - Husserl, La crise des sciences européennes et la phénoménologietranscendantale, PUF, 1962.[3] - J. g. Fichte, Méthode pour arriver à la vie bienheureuse,Sulliver, 2000 ; et Théorie de la Science - exposé de 1804, Aubier,1967.[4] - Husserl, Méditations cartésiennes. Introduction à la phénoméno-logie, J. Vrin, 1986.[5] - Descartes, Méditations métaphysiques, II, La Pléiade, pp. 274-275, Gallimard.

Le malentendu moderne nourri par la célèbre formule Cogito ergosum, « je pense donc je suis », sera développé dans le numéro 69consacré au thème « Conscience et Pensée ».

La méditation véritable s’origine dans cet acte pur : la vision impartiale de la vanité, à l’œuvre en nous-même…

LA MÉDITATION OCCIDENTALE OU LE “PHILOSOPHER” - 55

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56

La fin d’une occultation ?

Après la floraison, dans les années 70, de quan-tités d’études sur la méditation orientale, larecherche médicale sur les effets physiques et psy-chiques de la méditation ou de la prière connut unelarge occultation du fait du refus de tout soutienfinancier de la part des organismes officiels. Eneffet, le caractère dit « subjectif » de la méditationcomme de la prière entraîne pour conséquence undéni de la part des sciences dites « humaines » deles intégrer dans le champ de la connaissance uni-versitaire. Ce rejet a longtemps oblitéré toute possi-bilité de recherche sérieuse et de reconnaissance desrésultats par la communauté scientifique, et doncpar la société.

Cependant, un vif regain d’intérêt à comprendreles effets concrets sur la santé d’une pratique reli-gieuse est apparu ces dernières années, et sembles’amplifier. Les médecins ont en effet constaté destaux significativement élevés de guérison depatients pratiquants. De nombreuses études médi-cales, financées par l’état (du moins aux Etats-Unis,la France paraissant être à l’écart de ce type de ques-tionnement), sont aujourd’hui en cours. Ainsi, parcomparaison avec un échantillon de non prati-quants, on constate chez les pratiquants une diminu-tion du nombre de maladies ou de complicationscardio-vasculaires (diminution de la quantité demédicaments, voire cessation, diminution desrechutes), une baisse sensible du recours à la chi-miothérapie pour des cas de cancers (étude menéeau Memorial Medical Center de Houston), une pro-gression ralentie du virus SIDA, et globalement unrenforcement du système immunitaire.

Les médecins en charge de ce type d’étudesconstatent aussi que le mode de croyance importepeu : seule compte la pratique. « Dans ce domaine,dit ainsi le Professeur Benson, un pionnier de cesrecherches (Harvard), la médecine est oecumé-nique. Toutes les religions se valent, semble-t-il. Si

vous êtes catholique, récitez le “Je vous salue,Marie”. Si vous êtes bouddhiste, méditez sur unepensée du Bouddha. Si vous êtes juif, psalmodiez le“Shema Israël”… Cela peut être équivalent à unmédicament, les effets secondaires en moins ! »

Et les groupes de prières œcuméniques de semultiplier aux Etats-Unis, mais aussi en France (àParis, les hôpitaux de la Salpétrière, Broussais,Saint-Antoine).

Les effets quantifiables de la prière et de la méditation

Dès les années 60, l’évolution des techniquesmédicales incite les chercheurs à se pencher sur lesétats modifiés de conscience générés par la médita-tion, c’est-à-dire à les quantifier par électroencépha-logramme. Ainsi, au-delà des trois états ordinairesde conscience déjà notés par les chercheurs – étatsde sommeil, de rêve nocturne, de veille –, fut trou-vé un quatrième état correspondant à une profonderelaxation accompagnée d’une vigilance élevée. Cetétat se visualise par une cohérence des ondes céré-brales. Cette cohérence est d’autant plus grande quele sujet étudié a une pratique approfondie de laméditation. En outre, on observe sur le plan phy-sique une diminution des besoins en oxygène, desrythmes respiratoire et cardiaque, mais aussi de laquantité d'acide lactique dans le sang (cet acide està l’origine des crampes musculaires ; sur le planpsychique, il est aussi témoin d’un état d’anxiété) oude la résistivité électrique de la peau (laquelledécroît proportionnellement au stress subi par lepatient). On observe en outre une augmentation dudébit sanguin. En résumé, la méditation engendre unétat de relaxation global se manifestant par unedétente musculaire mais aussi une détente vasculai-re importantes.

Les dernières années ont vu apparaître des ins-truments plus perfectionnés que les simples encé-phalogrammes ou les appareils de mesure de résisti-

prière, méditation : quel effet sur la santé ?

3 e millénaire

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vité : les techniques d’imagerie de l’activité céré-brale. Celles-ci sont donc utilisées pour suivre endirect les modifications d’activité des zones du cer-veau dues à la prière ou à la méditation. Une activi-té intense s’établit dans les lobes pariétaux, partiesdu cortex régissant notre perception de l’espaceenvironnant et la distinction entre soi et l’autre. Enmême temps, l’activité des lobes frontaux et tempo-raux, liés à notre perception du temps et à notreauto-perception, s’affaiblit. Le cerveau limbique,centre des émotions, devient activé et colore ainsiles états de prière et de méditation qui deviennentainsi psychiquement significatifs. Enfin, et onretrouve les résultats des travaux des années 70, lecorps entre dans une phase de relaxation et l’activi-té physiologique se régule d’une façon plus harmo-nieuse qu’à l’ordinaire.

Il convient de noter que ces études ne font queconstater des modifications physiologiques. Il s’agitpour nous de bien discriminer le psychique du spiri-tuel. Toute démarche de relaxation profonde induitune modification corporelle aussi bien que psy-chique – les deux étant bien évidemment liés – del’être humain : état de calme, de détente, bienfai-teurs dans le cadre d’un fonctionnement harmo-nieux de la machine humaine. Néanmoins, le spiri-tuel commence bien au-delà d’une telle détente quise situe sur le plan horizontal. Il s’agit d’un change-ment radical de niveau d’être, lequel est au-delà detoute mesure.

QUELQUES RÉFÉRENCES :

Les aveugles éblouis – les états limites de la conscience,Pierre E. Etevenon, Ed. Albin Michel, 1984

La conscience-énergie structure de l’homme et de l’uni-vers – ses implications scientifiques, sociales et spirituelles,Dr. Thérèse Brosse, Ed. Présence, 1978

The link between religion and health : psycho-neuroim-munology and the faith factor, Harold george Koenig,(Editor), Harvey Jay Cohen (Editor) / Hardcover / OxfordUniversity Press, Incorporated, 2002

On psychotherapy and meditation. In awakening theheart : east-west approaches to psychotherapy and the hea-ling relationship, J.Welwood, Ed.Shambala, Boston, 1983.

Beyond therapy : the impact of eastern religions on psy-chological theory and practice, Claxton g., WisdomPublication, London, 1986.

Transformations of consciousness, Wilber. K. Engler, J.& Brown, D., Ed. Shambala, Boston, 1986.

The Relaxation Response, Benson H., New York, AvonBooks, 1975

Au rythme annuel de 10 parutions, le jour-nal Tournant propose des réflexions poli-tiques, économiques, écologiques et socialeséclairées par une pluralité de points de vuesinspirés de l’anthroposophie de RudolfSteiner. Regard sur l’histoire de l’Europe et dumonde, ouverture sur des perspectives d’ave-nir, confluent dans cette revue à orientationspirituelle.

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(109/110) : Un an après le 11 septembre ; Lessept organes dans la triarticulation sociale -Astrosophie et économie ; L’Etat post-moderne -Le nouvel impérialisme libéral ; Aspects occultesdes années actuelles ; Dossier : inondation dusiècle, Déluge au cœur de l’Europe, Catastrophe

naturelles ou manipulations ?…

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TOURNANTJOURNAL POUR LA FRATERNiTÉ

DANS L’ÉCONOMiqUE

LA VRAiE RENCONTRE DE L’AUTRE

ET LA SPiRiTUALiSATiON DE LA CULTURE

Page 58: 3ième Millenaire n°67

Didier Schmidt

L’homme d’aujourd’hui, qui est enquête de spiritualité, peut trouver dansun nombre conséquent de livres, destechniques qui lui permettront soitdisant d’atteindre l’illumination ouDieu. On peut s’interroger sur l’effica-cité et le bien-fondé de ces exercices outechniques miracles qui permettraientd’atteindre en quelques années voirequelques mois ce que certaines autori-tés spirituelles disent avoir mis plu-sieurs existences à obtenir. Cependantavant de critiquer cette nouvelle littéra-ture foisonnante, il faut bien admettreque cette dernière répond à une certai-ne attente, sinon elle ne prospéreraitpas.

Je pense que ce succès a ses ori-gines dans un besoin de spiritualitécroissante de la civilisation occidentaled’une part, et de la culture scientifiquedominée par la raison qui nous condi-tionne chaque jour, d’autre part. Eneffet, la science étudie les phénomèneset ne leur accorde un quelconque critè-re de véracité que si ces derniers sontreproductibles à volonté. Cette idée demécanicité, qui est censée être appli-

cable à tout phénomène réel, a impré-gné notre mental occidental. Par consé-quent, le domaine spirituel, ou plutôtl’usage courant que nous en faisons,s’est plié à ces exigences. L’homme denos sociétés, croit donc qu’il suffit depratiquer certains exercices de manièrerégulière pour obtenir des résultats.Pourquoi en serait-il autrement,puisque nombre de témoignages dontnous ne discuterons pas ici la valeur, luidonnent des preuves supplémentairesdu bien fondé de sa démarche ?Malheureusement, je peux dire de parmon expérience, aussi minime soit-elle,que ceci n’est pas le chemin qui mène àce que l’on nomme sous des noms aussidivers qu’illumination, libération ouencore éveil.

Bien que je ne prétende pas avoiratteint cet état sublime, je puis affirmerce que je viens de dire par le fait que

j’ai fait l’expérience de certains de cesfameux exercices et qu’au vu du résul-tat obtenu, ce n’est pas la bonne voie.On pourra me rétorquer que la raison decet échec vient des exercices que j’aipratiqués et qu’il en existe des bons etdes mauvais. Je répondrai que quel quesoit l’exercice que j’aurais pu pratiquerpour atteindre certains états ou acquérircertains pouvoirs, j’aurais échoué. Jem’explique : ce dont le chercheur esten quête, il ne peut le trouver dans unequelconque méthode car il ne s’agit pasde travailler sur le paraître mais surl’être. En fait, pour être exact, nousdevrions dire que nous devons prendreconscience de notre être. Par consé-quent, il ne s’agit pas d’un exercice quenous ferions à un certain moment de lajournée, mais à tous les instants.Comment cela est-il possible avec lavie que nous menons ? Faut-il se retirerdu monde ? Bien au contraire, il fautvivre dans le monde. Comment ?

Paradoxalement, je vais citer deuxtermes qui sont souvent liés à desméthodes ou des exercices ponctuelsdans l’esprit du plus grand nombre,

mais nous allonsvoir qu’il s’agit debien plus que cela.Il s’agit de la médi-tation et de la priè-re. Si cette dernière

semble relever du domaine religieux,on pourra me faire remarquer que lapremière est couramment citée dans legenre de littérature décrite plus haut.Par conséquent, mon raisonnementpourrait paraître contradictoire. Il enserait ainsi, si j’en donnais la mêmedéfinition que celle que l’on trouvedans ces livres. Il est à noter qu’il exis-te également et heureusement, desouvrages de bonne qualité spirituelle,donnant une explication tout à faitacceptable à mon sens, de la médita-tion. Par conséquent, jamais ils ne laprésenteront comme une techniquemiracle, mais ils insisteront sur unepratique universelle.

Maintenant intéressons-nous à laméditation et voyons de quelle manièreelle me semble être une pratique initia-tique. Tout d’abord, je distingue deuxtypes de méditations : la méditation

techniques spirituelles

� De formation scientifique, Didier Schmidt parcourtle sentier spirituel depuis

presque quinze ans. S’inspirant des enseignements

de voies occidentales et orientales, il tente

d’atteindre leur essence commune en les dépouillant de leurs scories historiques et en les confrontant à la

réalité de la vie quotidienne. A travers ses écrits, l’auteur

essaie de faire partager ses expériences et d’amener le lecteur à s’interroger sur

le sujet traité. Il termine actuellement un manuscrit

intitulé “Le Veilleur de Lumière”.

Email : [email protected]

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introspective et la méditation par le vide. Lapremière est celle qui consiste à réfléchir surnotre relation au monde et à comprendre lesmécanismes que nous avons construit au fur età mesure que nous grandissions. La deuxièmerejoint l’exercice que nous retrouvons si fré-quemment et qui consiste à faire le vide dansnotre esprit.

Commençons donc par la méditationintrospective. Alors que nous grandissions etévoluions dans ce monde, nous avons acquisdes mécanismes qui sont devenus automa-tiques. Certains sont certes utiles et nous fontgagner du temps et de l’énergie, tels que pou-voir marcher sans avoir à se concentrer surchacun de nos pas ou encore parler ou lire.N’en doutons pas, tout ceci est bénéfique.Néanmoins, il est des habitudes ou des auto-matismes, qui sont sujets à réflexion car ilssont en rapport avec notre relation au monde.Prenons l’exemple du mendiant qui tend lamain dans la rue et auquel nous ne prêtonsplus attention. Nous pouvons nous interrogersur le bien-fondé de notre réaction. Est-il nor-mal de ne plus faire attention à la misèrehumaine ? Certes non, mais le fait que nous lavoyions en permanence la rend banal. Ce casparmi tant d’autres, nous montre que notrecomportement n’est pas sain et que nous tolé-rons voire acceptons la souffrance autour denous. Par contre, la première fois que nousavons vu un mendiant, nous avons été touchéspour la plupart d’entre nous. Il y a par donc uneffet d’habitude, qui a pour conséquence defiltrer les informations qui nous parviennentde l’extérieur et qui opacifient notre regard surle monde qui nous entoure. Quand les sagesnous disent qu’il faut vivre l’instant présent,cela veut dire qu’il faut être pleinementconscient de tout ce qui se passe autour denous et d’être tel un enfant en bas âge quis’étonne de tout ce qu’il voit. C’est grâce àcette innocence que le monde de chaque ins-tant est si beau. La méditation introspectivenous permet de discerner ces mécanismes quiobscurcissent notre vue et notre jugement, etc’est en cela qu’il s’agit d’une pratique utilepour le chercheur. De plus, nous nous rendonscompte que nous pouvons et devons l’utiliserà chaque instant, car nous sommes sans arrêtle jouet de nos réflexes psychologiques.

Abordons maintenant ce que j’ai appelé laméditation par le vide. Comme je l’ai déjà dit,c’est celle que nous retrouvons le plus souventdans les manuels de vulgarisation ésotérique.Néanmoins, essayer de faire le vide n’est pas

si simple que cela. Cependant, ce qui nousintéresse c’est de savoir comment nous devonsl’utiliser. Il est certes intéressant de s’isolerune heure ou deux chaque jour dans un lieuretiré afin de pratiquer cet exercice mais enquoi cela aide notre progression spirituelle ?Ce qui est important, c’est l’objectif qui nousguide dans cette pratique. Bien souvent, leslivres auxquels je fais référence au début decette réflexion, mettent en exergue des pou-voirs psychologiques que le lecteur va pouvoiracquérir grâce à cette technique. Ceci est toutle contraire du but de la méditation par le vide.En effet, pourquoi faire le vide, et vider dequoi ? Souvent les gens ne comprennent pasbien cette technique, car ils ne voient pas com-ment ils peuvent faire taire leurs pensées. Ceque le chercheur tente de faire par cet exerci-ce, c’est d’écouter la voix de son être. La pen-sée est l’apanage de l’ego, et c’est elle qui vafourvoyer ou égarer l’aspirant. Lorsque nousméditons, le premier objectif est de se rendrecompte de la véritable nature de la pensée.Elle est volatile, incontrôlable dans les pre-miers temps, elle essaie sans arrêt de capternotre attention. Lorsque nous essayons defaire le vide, nous ne devons pas lutter contreles pensées en essayant de les expulser de

force. En fait, il ne faut plus faire attention àelles, les laisser passer. Quand ses tentativeséchouent, la pensée se fait de moins en moinspressante et le vide s’installe progressivement.C’est un processus très lent. Alors nous pou-vons être à l’écoute de notre être. Cependantnous n’atteindrons pas cet état si nous n’avonspas compris la véritable nature de la pensée, etcette prise de conscience permet d’atteindreréellement le stade du silence. Souvent, leslivres nous disent de visualiser un tableaublanc pour simuler le vide. En faisant cela,nous nous fourvoyons car en fait nous don-nons de plus en plus de force à une penséeunique, celle du tableau blanc. Nous construi-sons ainsi une verrue dans notre esprit qui peutavoir des répercussions psychologiquesnéfastes par la suite. Malheureusement, l’ex-plication ésotérique de cet exercice accom-pagne rarement sa description technique, c’estpourquoi je mets en garde le lecteur. Ce qu’ilfaut savoir c’est que la voie du chercheur est

Lorsque nous méditons, le premier objectif

est de se rendre compte de

la véritable nature de la pensée.

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celle de la connaissance, et celle-ci était autrefois transmi-se de maître à disciple. Par conséquent, chaque exerciceétait expliqué et avait sa raison d’être. Le maître amenaitparfois le disciple à comprendre par lui-même mais ilveillait à ce que la pratique ne dure pas trop longtemps si lepourquoi n’avait pas été appréhendé.

Nous avons donc abordé la méditation et je suppose quevous vous demandez ce que vient faire la prière dans lestechniques spirituelles. Je pense que ce n‘est pas le termespirituel qui vous choque, mais plutôt le fait que ce soit unetechnique. La prière, telle que je l’entends, ne consiste pasuniquement à se mettre à genoux et à réciter des versetslouant Dieu ou un dieu. En quoi consiste-t-elle ? Quel estson but ? La prière a, à mon sens, pour objet de louer Dieuou un dieu dans la globalité de sa vie. L’objectif de ce texten’étant pas de discuter de l’existence d’un Dieu unique oude divinités, je vais parler de Dieu au sens d’une puissancecréatrice de l’univers dont nous constituons une infime par-tie. Certes, en récitant des versets élogieux, nous rendonsgrâce à Dieu, mais est-ce la meilleure façon de le faire ?

Je pense que la meilleure façon de remercier Dieu est del’aider dans son travail. Cela peut paraître prétentieux dedire que Dieu a besoin d’aide. Je vais donc entrer dans desconsidérations d’ordre religieux et je prie le lecteur demettre de côté ses opinions religieuses pour ne considérerque ce qu’il y a d’universel dans ce que je vais dire. Dansla Genèse de la Bible, il est dit que Dieu a fait l’homme ason image et qu’il l’a nommé gardien de la création enquelque sorte. Dans la tradition, on parle de microcosme etde macrocosme. Quoiqu’il en soit, d’un point de vue initia-tique, plus l’aspirant avance sur le chemin, plus il a des res-ponsabilités vis à vis de la création. L’homme a son libre-arbitre car s’il en était autrement, il ne serait qu’une machi-ne et l’échange que nous avons maintenant, n’aurait pas deraison d’être. Dieu a un plan ou un objectif pour la création,et il appartient à l’homme de l’aider ou non. Ce dernier a lechoix et c’est lorsque qu’il accepte une des innombrablestâches que Dieu a planifiées lors de la création, qu’il entredans le chemin. Par conséquent, il appartient à ce dernierde découvrir un des aspects du plan divin et d’en assumerune partie. La véritable prière est celle qui consiste à faireen sorte que chacun des ses actes soit en accord avec leplan, de prendre en charge une partie de l’ouvrage et d’œu-vrer à le faire connaître. Nous aurions du mal à trouver plusbelle prière que celle qui vient d’une personne dont l’êtretout entier n’a qu’une visée, celle d’œuvrer avec Dieu.

Voilà pourquoi, la prière est un moyen que le chercheurne doit pas négliger, car si la méditation est la voie de l’œil,la prière est celle du cœur. Néanmoins, il ne faudrait pascommettre l’erreur de privilégier l’une à l’autre car ellessont complémentaires et nécessaires. La véritable voie estcelle du milieu ou de l’harmonie.

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Page 61: 3ième Millenaire n°67

LA MÉDITATION MAÇONNIQUE - 61

Peut-on penser que la pratique maçonnique tradi-tionnelle repose sur une approche de la méditationcomme, par exemple, le bouddhisme zen ou tibétain ?

Il y a beaucoup plus de similitudes que l’on ne peutl’imaginer au prime abord. Mais avant de revenir sur cepoint, il est nécessaire de remédier à un grave malen-tendu : la Méditation maçonnique n’est pas une pra-tique de la réflexion comme on l’entend actuellement.Le Cabinet de Réflexion, dans lequel le néophite est –avant toute initiation – invité à descendre, justifie ensoi la distinction de niveau qui devrait être établie entreMéditer et réfléchir. Un auteur comme Jules Boucher ad’ailleurs judicieusement fait remarquer qu’il s’agissaitd’un « Cabinet de Réflexion » et non d’un « cabinet deréflexions ». Cet “occulte” lieu de « Réflexion » qui,symboliquement, constitue une descente aux enfers,vise d’avantage à “choquer” le profane en le renvoyantà ses peurs et à ses angoisses “fondamentales” face àl’approche de la Vérité (d’abord sur lui-même !), plu-tôt qu’à l’inciter à réfléchir de manière discursive.D’ailleurs, si le néophite est conduit, au momentconvenu, dans l’enceinte du Cabinet de Réflexion, il estamené bien plus au questionnement qu’à une réflexiondiscursive. La Parole Perdue que l’initié a pour tâchede retrouver est profondément enfouie sous cette habi-tude profane que nous avons tous : celle qui consiste àdiscuter ou à disserter sans cesse.

Voulez-vous dire qu’à l’instar des pratiques orien-tales, il faille s’abstenir de penser ?

Comme je le mentionnais, tout à l’heure, je ne veuxaucunement comparer, pour l’instant, une pratique

du Cabinet de Réflexion

à la Méditation Maçonnique

Ce premier entretien tente d’éclairer l’occidental sur la dimension ésotérique d’une véritable Maçonnerie Spéculative. Le Cabinet de Réflexion, abordé ici, correspond à la disposition proposée par le Rite Ecossais Ancien et Accepté.

« Ce qui est regrettable surtout, c’est d’avoir trop souvent à constater, chez un grand nombre de Maçons, l’ignorance complète du symbolismeet de son interprétation ésotérique… »

René Guénon, L’Orthodoxie Maçonnique, La Gnose n°6, avril 1910.

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Le Cabinet de Réflexionselon les Rites

Avant même la cérémonie d’initia-tion, le néophite, les yeux bandés, estintroduit dans une petite pièce. Il seraconfronté à ses propres aspirations par« Réflexion ».

Selon les Rites Émulation et NovaScotia, la « cellule » est nue, n’offrantaucun attrait extérieur.

Une Bible et divers symboles ornentcette « cave » suivant les autres Rites.

Au Rite Français, quelques maximessont inscrites au mur et des tableauxreprésentent un coq et un sablier ; àgauche de la Bible, on peut voir, éclai-rés par une simple bougie, un crâne, dusel et du souffre, et, à droite, du pain etde l’eau.

Au Rite Ecossais Rectifié, sont pré-sentés deux tableaux : l’un avec desmaximes d’Ordre, l’autre avec un crâneet deux os en sautoir joints au texte :« Tu viens de te soumettre à la mort ».

Le Rite Ecossais Ancien et Accepté serapproche du Rite Français auquel sejoint un tableau sur lequel s’inscrit laformule alchimique « V.I.T.R.I.O.L. »dont la sentence latine, plus complète,« V.I.T.R.I.O.L.U.M. » – « VisitetisInteriora Terrae Rectificando InvenietisOccultum Lapidem Veram Medicinam »– signifie : Visitez les entrailles de laterre, en rectifiant, vous trouverez lapierre caché, véritable médecine.

N.B. : « La Tradition n’est nullementexclusive de l’évolution et du progrès ;les rituels peuvent et doivent donc semodifier toutes les fois que cela estnécessaire, pour s’adapter aux condi-tions variables de temps et de lieu,mais, bien entendu, dans la mesureseulement où les modifications ne tou-chent à aucun point essentiel. »

René guénon, L’Orthodoxie Maçonnique, La Gnose n°6, avril 1910.

orientale avec la méditation maçonnique… Maispour revenir à votre question, il ne s’agit pas dutout de s’interdire de penser ou de réfléchir, maisplutôt de dé-couvrir la nature du « voile épais quime couvrait les yeux ». Le silence auquel, tradi-tionnellement, est soumis l’apprenti confirme l’im-portance de cette approche : la parole et la penséeprofane doivent être démasquées ; car la ParolePerdue ne peut être retrouvée sans Vigilance etPersévérance dans la découverte approfondie deséléments qui constituent la vanité insoupçonnée denotre vie profane.

« Si la curiosité t’a conduit ici, va-t’en !Si tu crains d’être éclairé sur tes défauts, tu serasmal parmi nous. Si tu es capable de dissimulation, tremble, on tepénétrera.Si tu tiens aux distinctions humaines, sors, on n’enconnaît point ici !… »

Habituellement, on prend trop à la légère cesinjonctions inscrites sur les murs du Cabinet deRéflexion. Les éléments symboliques que l’on ytrouve – la tête de mort, les ossements, le sablier etla faux – devraient nous convier à reconsidérercomplètement notre vie profane…

Il s’agit donc d’une réflexion…

Bien sûr, le Récipiendaire n’est pas encorecapable de Méditation ; mais toutes les indicationsdu Cabinet de Réflexion convergent vers une pra-tique totalement nouvelle, complètement inhabi-tuelle : une initiation qui, étymologiquement signi-fie une « entrée dans le chemin ». Au-delà de larédaction du fameux testament qui “devrait” mar-quer l’arrêt de la vie profane, la formule hermé-tique « Visitetis Interiora Terrae RectificandoInvenietis Occultum Lapidem Veram Medicinam »– Visitez les entrailles de la terre, en rectifiant,vous trouverez la pierre caché, véritable médecine– indique, très clairement, une voie de dissolutiondes métaux par le V.I.T.R.I.O.L.U.M.. Opérationalchimique de dissolution de toutes nos manifesta-tions profanes : « Véritable Médecine » !L’analogie avec, par exemple, la méditation tan-trique devient désormais évidente : le VITRIOL

œuvre au cœur de la « Vigilance », cette qualitéd’éveil sur laquelle repose également la méditationorientale.

La Méditation maçonnique n’a aucun rapport avec un mode de réflexion discursive…

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LA MÉDITATION MAÇONNIQUE - 63

(c’est-à-dire “purificatrices”) de l’« art d’observer »que sont Vigilance et Persévérance. La tâche estextrêment ardue, car c’est toute notre manière depenser qui est profane, de “méditer”, de “réflé-chir”, de croire, d’espérer, d’aimer, de vouloir, etc.,qui sont profanes.

Et ce n’est pas de manière ingénue qu’il est écritsur les parois du Cabinet de Réflexion :« …Si ton âme a senti l’effroi, ne va pas plus loin !

Si tu persévères, tu seras purifié par les élé-ments, tu sortiras de l’abîme des ténèbres, tu ver-ras la Lumière ! »

Pour l’occidental formé à une certaine cogita-tion méditative, il est difficile d’accepter cette pers-pective qui semble très orientale.

L’Orient n’est pas du tout exclu du Templemaçonnique qui y est entièrement consacré. Unedes « missions » modernes de la Franc-Maçonnerie reste d’ailleurs de permettre cetteinévitable et heureuse rencontre entre Orient etOccident. Ce ne serait qu’une vue partielle de secontenter de n’y voir que des images intérieuresévoquant le cœur (l’« Orient ») et la raison(l’« Occident »), on risquerait de faire échouercette si précieuse rencontre qui s’est précisée toutau long du XXe siècle avec l’affaissement ducatholicisme et du protestantisme et l’implanta-tion des spiritualités orientales.

Relier Orient et Occident implique la nécessitéde dé-couvrir le vécu intérieur du Cabinet deRéflexion qui nous habite, et nous interpelle dansles moments obscures de nos vies profanes.

La méditation maçonnique est donc une voied’Éveil au sens oriental du terme ?

Cela ne fait aucun doute… La représentation duCoq, associée aux termes clef de l’Initiation quesont « Vigilance et Persévérance » évoque incon-testablement un véritable Éveil, et non un sopori-fique discours pseudo-initiatique. Il est d’ailleursaisé de voir une profonde similitude entre la PierreOcculte (ou Pierre Cubique à Pointe) et le Diamantqui symbolise la voie de la méditation tantrique.Cette « pierre » extraordinaire, qu’est le diamant,est une métamorphose du charbon issu du vivantputréfié, réduit au silence de la mort et de l’oubli.La Méditation maçonnique n’a aucun rapport avecun mode de réflexion discursive, surtout sous sonaspect « spéculatif ».

On entend pourtant par « spéculation » une sortede réflexion abstraite déconnectée de la réalité.

Le qualificatif de « spéculatif » associé à laMaçonnerie moderne se rattache, traditionnelle-ment, à une étymologie initatique : la « spectula-tio » est l’« art d’observer » qui, au XIVe siècle estun « Ars d’amour » – « spéculor », c’est « être enobservation d’en haut ». Dans l’explicitation quenous tentons de faire ici du Cabinet de Réflexion,cette « art d’observer », de « Spéculer » réellement,se rattache autant au substantif « specula » quinomme un « lieu d’observation sur une hauteur »(un observatoire) que « speculum » qui désigne unmiroir. Ces brèves remarques étymologiques nesont pas sans évoquer la nécessité d’une pratiquede connaissance libératrice de soi par élévation sui-vant la verticale des Trois Colonnes du Temple spi-rituel de la Maçonnerie que sont : Sagesse, Forceet Beauté.

Cet « art d’observer », Ars d’amour, est doncdéjà suggéré dans le Cabinet de Réflexion commevoie alchimique.

En effet, tous les éléments présents dans leCabinet de Réflexion indique la nécessité d’uneopération alchimique – et sur ce point, tous lesauteurs sont unanimes. Il reste, par conséquent, àapprendre à discerner ce qui, en nous, est profane ;pour dé-couvrir ces qualités “transformatrices”

F •• • G •

• •

La Méditation maçonnique n’a aucun rapport avec un mode de réflexion discursive…

« Qu’avez-vous appris en entrant en Loge ?Rien que l’esprit humain puisse comprendre : un voile épais me couvrait les yeux.

Comment expliquez-vous cette réponse ?Il ne suffit pas à l’homme d’être mis en présence de la Vérité pour qu’elle lui soit intelligible. La lumière n’éclaire l’esprit humain que lorsque rien ne s’oppose à son rayonnement. Tant que les illusions ou les préjugés nous aveuglent, l’obscurité règne en nous et nous rendinsensibles à la splendeur du Vrai. »

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Tel que l’enseigne l’Evangile,l’« attention » (ou la « vigilance »)

et la « prière » [1] ne sauraient êtreséparées. La qualité d’« attention »,son degré d’affinement et de pureté,participe intimement d’une qualité deprière. Avec un souci pédagogique,les Pères Neptiques en décrivent plu-sieurs niveaux.

Pour le Nouveau Théologien :« Il y a trois modes de l’attention etde la prière, par lesquels l’âme, oubien s’élève et progresse, ou bientombe et se perd. Si elle use de cestrois modes en temps opportun etcomme il faut, elle progresse. Mais sielle en use inconsidérément et àcontretemps, elle tombe. L’attentiondoit donc être inséparablement liée àla prière, comme le corps est insépa-rablement lié à l’âme. »

L’attention est la première à« connaître le péché et s’opposer auxpensées mauvaises qui entrent dansl’âme. » Toutefois, seule la prièrepeut les faire « périr sur le champ ».Il convient de souligner ici la distinc-tion entre « pensées mauvaises » et« mauvaises pensées » : dans la tradi-tion hésychaste [2] les pensées ordi-naires sont « charnelles » [3], c’est-à-dire en termes modernes « cérébrales »,et donc « mauvaises » car non spiri-tuelles. L’attention se porte donc àdiscerner la vanité du mouvementconditionné des pensées que la prière

pure anéantit « sur le champs ».« Or c’est de ce combat de l’at-

tention et de la prière que dépendentla vie et la mort de l’âme. Car si, parl’attention, nous gardons pure laprière, nous progressons. Mais sinous négligeons de garder pure laPrière, si nous ne veillons pas surelle, si nous la laissons souillée parles pensées [qui sont] mauvaises,nous sommes inutiles et nous ne pro-gressons pas. »

Syméon le Nouveau Théologien

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Le discours Sur les trois modes de la prière, est attribué par la Philocalie grecque à Syméon le Nouveau Théologien, né en 949 en Asie Mineure. Un millénaire après saint Jean le Théologien, Syméon le Nouveau Théologien, ascète et poète,mais aussi bâtisseur et réformateur voué à latransmission de ses grâces mystiques, déclarequ’au cœur de la création Dieu est un corps de lumière inaccessible et supra-sensible ;

Syméon affirme également que, par pure grâce, ce corps mystique est aussi le nôtre.Si une étude philologique du texte attribue plutôt cette œuvre à Nicéphore le Solitaire, datée alors de la fin du XIVe siècle, elle ne constitue pasmoins, dans ce contexte, une dernière mise aupoint de la longue expérience du cheminementqui conduit à la prière pure ou prière du cœur.

sur

les trois

de la prièremodes

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LES TROIS MODES DE LA PRIÈRE - 65

Ce premier mode correspond au niveau profane de la prière dans lequel l’attention est identifiéeà des pensées ou représentations dites « spirituelles » qui ne sont qu’illusions et pièges du diable –étymologiquement la dualité (dia-ble).

« Quand quelqu’un se tient en prière, il lève vers le ciel ses mains, ses yeux et son intelligence. Il sereprésente les pensées divines, les biens du ciel, les ordres des anges et les demeures des saints. Il ras-semble brièvement et recueille en son intelligence tout ce qu’il a entendu dans les divines Ecritures. Il

porte ainsi son âme à désirer età aimer Dieu. Il lui arrive par-fois d’exulter, et de pleurer. Maisalors son cœur s’enorgueillit,sans qu’il le comprenne. Il luisemble que ce qu’il fait vient dela grâce divine, pour le conso-ler, et il demande à Dieu de lerendre toujours digne d’agircomme il le fait. C’est là unemarque de l’erreur… »

La représentation de Dieuest une erreur de notre fonction-nement psychique dualiste :croire aller vers Dieu, tendrevers Lui, recevoir de Lui peutconduire à la folie :

« Quand bien même ilvivrait dans une extrême hèsy-chia, il est impossible qu’un telhomme ne perde pas son bonsens et ne devienne pas fou. Maismême s’il n’en arrivait pas là, ilne saurait parvenir à la connais-sance, ni maintenir en lui les ver-tus de l’impassibilité. »

Pour d’autres, l’illusion devient presque tangible : « C’est ainsi que se sont égarés ceux qui ont vu une lumière et un flamboiement avec les yeux de

leur corps, qui ont senti un parfum avec leur propre odorat, et qui ont entendu des voix avec leurspropres oreilles, ou qui ont éprouvé des choses du même ordre. Les uns ont été possédés par le démon,et sont allés de lieu en lieu, hors d’eux-mêmes. D’autres ont reçu en eux les contrefaçons du démon :il leur est apparu comme un ange de lumière, et ils se sont fourvoyés, ils ne se sont jamais corrigés,ils n’ont jamais voulu écouter le conseil d’aucun frère. D’autres encore ont été poussés par le diableà se tuer : ils se sont jetés dans des précipices, ils se sont pendus. Qui pourrait décrire toutes les illu-sions par lesquelles le diable les égare ? Ce n’est guère possible.

Mais après ce que nous venons de dire, tout homme sensé peut comprendre à quels dommagesexpose ce présent mode de l’attention et de la prière… »

[1] - Matthieu 26.41, « Veillez et priez afin de ne pas entrer en tentation… » ; Luc 21.36 « En toute occasion, soyez vigilant en priant… » ; Paul, épître aux Colossiens 4.2, « persévérez dans la prière, veillant en elle… ».[2] - Hésychia : la tranquillité du cœur, le repos, la paix, le silence, la solitude, le « retrait du créé ».[3] - Saint Paul emploie souvent ce terme de « charnel » pour désigner le niveau ordinaire des pensées conditionnées, et utilise aussi le terme de « naturel » ou « psychique » ; dans sa première épître au Corinthiens 2.14, il indique que « L’homme psychique n’accueille pas ce qui vient de l’esprit de Dieu, car c’est pour lui folie… ».

Passer par l’illusion : le premier mode de l’attention et de la prière

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66

Au deuxième mode de la prière, notre attention est engagée dans uneconnaissance de soi dualiste. Il s’agit ici d’être attentif pour se libérer de l’illu-sion, de la souffrance, et d’avoir une attention à la pensée mécanique, l’émotionperturbatrice, etc… Dans cette démarche d’intériorisation, la prière est utiliséepour implorer Dieu, ou lui demander sa grâce.

« Quand quelqu’un recueille son intelligence en lui-même, en la détachantdu sensible, quand il garde ses sens et rassemble toutes ses pensées pourqu’elles ne s’en aillent pas dans les choses vaines de ce monde, quand tantôt il

examine sa conscience et tantôt il est atten-tif aux paroles de sa prière, quand à telmoment il court derrière ses pensées que lediable a capturées et qui l’entraînent dansle mal et la vanité, quand à tel autremoment, après avoir été dominé et vaincupar la passion, il revient à lui-même, il estimpossible que cet homme, qui a en lui untel combat, soit jamais en paix, ni qu’iltrouve le temps de travailler aux vertus etreçoive la couronne de la justice. Car il estsemblable à celui qui combat ses ennemisla nuit, dans les ténèbres. Il entend leursvoix et reçoit leurs coups. Mais il ne peutpas voir clairement qui ils sont, d’où ilsviennent, comment et pourquoi ils le bles-sent, dès lors que le dévastent les ténèbresde son intelligence et les tourments de sespensées. Il lui est impossible de se délivrerde ses ennemis, les démons qui le brisent. »

Cette étape, présentée par Syméondans les termes rudes d’une voie monas-

tique du Moyen-Âge, correspond pertinemment à celle de tous les prieurs ouméditants de toutes les traditions. Le « combat », selon les uns ou les autres, abeau être édulcoré, veillant plus sur l’ego que voulant l’éradiquer, ce dernierdemeure et la libération ou l’éveil spirituel manque sa pleine réalisation. Acette étape le prieur ou le méditant refuse de remettre en cause sa pratique del’attention qu’il croit juste alors qu’elle est dramatiquement fausse car orientéevers ou intentionnelle.

« Le malheureux peine en vain, car il perd son salaire, dominé qu’il est parla vanité. Il ne comprend pas. Il lui semble qu’il est attentif. Souvent, dans sonorgueil, il méprise et accuse les autres. Il s’imagine qu’il peut les conduire, etqu’il est digne de devenir leur pasteur. Il est semblable à cet aveugle qui s’en-gage à conduire d’autres aveugles.

Il est nécessaire que quiconque veut être sauvé sache le dommage que peutcauser à l’âme ce deuxième mode, et qu’il fasse bien attention. Cependant cedeuxième mode est meilleur que le premier, comme la nuit où brille la lune estmeilleure que la nuit noire. »

Passer par le combat intérieur :le deuxième mode

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LES TROIS MODES DE LA PRIÈRE - 67

« Le troisième mode est vraiment chose paradoxale et difficile à expliquer. Nonseulement ceux qui ne le connaissent pas ont du mal à le comprendre, mais il leur paraîtpresque incroyable. Ils ne croient pas qu’une telle chose puisse exister, dès lors que, de nosjours, ce mode n’est pas vécu par beaucoup, mais par fort peu. »

« Alors l’intelligence de cet homme est délivrée de tout. C’est avec une grandeliberté qu’elle examine les pensées que lui apportent les démons. C’est avec une réelle apti-tude qu’elle les chasse. Et c’est avec un cœur pur qu’elle offre ses prières à Dieu. Tel est lecommencement de la vraie voie. Ceux qui ne se consacrent pas à ce commencement peinenten vain, et ils ne le savent pas. »

…Ce « commencement », est ce que nous nommons la première démarche [*].« Or le commencement de ce troisième mode n’est pas de regarder vers le haut,

d’élever les mains, d’avoir l’intelligence dans les cieux, et alors d’implorer le secours. Cesont là, nous l’avons dit, les marques du premier mode : le propre de l’illusion. Ce n’est pasnon plus de faire garder les sens par l’intelligence de n’être attentif qu’à cela, de ne pas voirdans l’âme la guerre que lui font les ennemis et de ne pas y prêter attention. Car ce sont làles marques du deuxième mode. Celui qui les porte est blessé par les démons, mais il ne lesblesse pas. Il est meurtri, et il ne le sait pas. Il est réduit en esclavage, il est asservi, et il nepeut pas se venger de ceux qui font de lui un esclave, mais les ennemis ne cessent de le com-battre ouvertement et secrètement, et le rendent vaniteux et orgueilleux.

Mais toi, bien-aimé, si tu veux ton salut, il te faut désormais te consacrer au com-mencement de ce troisième mode. »

« A ceux qui n’en ont aucune idée et qui ne la connaissent pas, cette œuvre salutaireparaît pénible et incommode. Mais ceux qui ont goûté sa douceur et ont joui du plaisir qu’elle leurdonne au fond du cœur disent, avec le divin Paul : “Qui nous séparera de l’amour du Christ ?” »

« Cette œuvre, certains parmi nos Pères l’ont appelée hèsychia du cœur, d’autres l’ontnommée attention, d’autres sobriété vigilante et réfutation, d’autres garde de l’intelligence. »

« Bienheureux les pauvres en esprit, c’est-à-dire : Bienheureux ceux qui n’ontdans leur cœur aucune idée de ce monde, et qui sont pauvres, dénués de toute pensée mon-daine… En un mot, celui qui n’est pas attentif à garder son intelligence ne peut pas devenirpur en son cœur, pour être jugé digne de voir Dieu. Celui qui n’est pas attentif ne peut pasdevenir pauvre en esprit. Il ne peut pas non plus être affligé et pleurer, ni devenir doux et pai-sible, ni avoir faim et soif de la justice. Pour tout dire, il n’est pas possible d’acquérir lesautres vertus autrement que par cette attention. C’est donc à elle que tu dois t’appliquer avanttout, afin de comprendre par l’expérience ce dont je t’ai parlé. Et si tu veux savoir commentfaire, je te le dis ici, autant qu’il est possible. Sois bien attentif… »

Expliciter ce troisième mode « paradoxal et difficile à expliquer » ne se fait passans expressions souvent dualistes tant le deuxième mode de l’attention, celui du « combatintérieur » et de la compréhension mentale est le seul qui soit accessible.

C’est à ce troisième degré que l’attention devient véritablement prière du cœur ouprière pure car elle n’est plus – très paradoxalement – attention à, mais attention pure. Dire alorsqu’elle peut encore « chasser les démons » est une notion très inexacte puisque, comme il est ditpar ailleurs, c’est l’attention des « pauvres en esprit ». C’est toutefois en elle que se résorbe toutcombat et toute idée de combat salvateur ; c’est la première des Béatitude au seuil de la Voie.

Extraits de Philocalie des Pères Neptiques, volume 11. Abbaye de Bellefontaine.

[*] - Charles Abot, 3e millénaire n°2, 3, 8,…

Du troisième mode « paradoxal » de l’attention et de la prière

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68

n parle de réalisation de soi et non pas de deve-nir le Soi. Vous êtes déjà maintenant ce que

vous recherchez. Mais qui cherche, en vous ? La per-sonne. Et la personne ne trouvera jamais. La réalisa-tion de soi est ce que vous êtes maintenant, sanscroyance d’une pensée envers soi-même.

Il n’existe pas deux “consciences”. Il n’y en aqu’une. Mais il naît une sorte de jeu d’ombres, un com-bat de miroirs, dans lequel la pensée parle avec elle-même et dit, par exemple : « Je pars en recherche ». Ace moment-là, je deviens quelqu’un qui cherche.

Dans l’absolu, je ne suis pas un chercheur, parce quececi n’est qu’un concept ; mais pendant un certaintemps, ceci paraît réel, et est utile. Petit à petit, je merends compte que je ne suis pas toutes ces choses donton me dit que je suis. Je ne suis pas le corps. Le corpsest une série de perceptions. En soi merveilleuses,rien à y redire, mais je ne suis pas une série de per-ceptions. Les perceptions viennent et s’en vont ; ellesapparaissent et disparaissent dans la conscience.

C’est vrai aussi pour les émotions. Les émotionspénètrent très profondément en nous ; dans le temps

je suis Conscience

sans effort

Wolter Keers

O

Page 69: 3ième Millenaire n°67

et l’espace, les émotions sont ce qui est le plus profond que l’onconnaisse. L’amour, la haine, et tout ce qui se trouve entre les deux.Mais toute émotion est ressentie. Pour cette raison, je peux dire quece matin j’ai haï ou aimé quelqu’un. L’émotion a été perçue : il y adonc quelque chose de plus profond encore que les émotions.Quand les émotions ont disparu, moi je demeure, comme le lieu oùune perception nouvelle peut prendre place, une pensée parexemple, qui elle aussi n’existe que quelques instants. Je suis làavant que la pensée n’apparaisse ; puis je suis l’expérience danslaquelle elle s’incarne ; et quand elle a disparu, je suis présentcomme le point ou l’espace disponible pour l’expérience suivante.

Mais qui cherche, en vous ?

La personne.

Et la personne ne trouvera jamais.

La réalisation de soi

est ce que vous êtes maintenant,

sans croyance d’une pensée

envers soi-même.

© Philippe Puysegur.

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70 - WOLTER KEERS

La seule difficulté est la croyance du mental auxmots, aux images du type « Je suis un citoyen deGand ». Ce sont des concepts, et je peux les démas-quer à chaque fois en voyant que ces concepts ne sontpas moi. Et petit à petit, les concepts-pensées s’éva-nouissent. Bien entendu, des concepts-pensées peu-vent encore apparaître, mais la croyance que je suisdans telle ou telle idée a disparu. A la fin, seules res-tent encore des expressions comme « Oui, je sais queje ne suis pas un corps, ni des émotions, ni des pen-sées, etc., mais tout de même je ne suis pas encoreéveillé ». C’est un des derniers concepts d’un “moi”fragmentaire.

Un danger dans tout ceci se trouve dans notreattente de quelque chose de spectaculaire. Boum :l’Eveil ! L’univers est tout feu tout flamme ! Mais laconscience que vous cherchez, l’absolu, fait essentiel-lement partie de chaque perception. C’est donc enco-re plus ordinaire que la poussière dans la rue, que l’airdans cette pièce. Il n’y a rien de spectaculaire. Il n’estpas exclu que lors d’une compréhension soudaine

auprès de certaines personnes les flammes jaillissent,mais ce n’est pas dit. Notre être est le plus ordinaireparmi les choses ordinaires.

On s’est tant entraîné à diriger l’attention vers l’ex-térieur, qu’extérieur et intérieur se retrouvent interver-tis. Par exemple, nos pensées et émotions sont pré-sentes à l’intérieur. Mais de mon point de vue, ellessont aussi à l’extérieur ; ce sont des objets perçus, deschoses qui passent comme des nuages, comme lesoiseaux volant dans le ciel. Les pensées et les émotionsne sont pas mes pensées ou mes émotions pas plus queces oiseaux dans le ciel ne sont mes oiseaux. Parceque… qui en serait le propriétaire ? Voilà un autreconcept : le propriétaire. L’expression “mes” émotionsne signifie que : les émotions ici, à cet endroit. Il n’y apas de propriétaire, ni de cette chose – le corps –, nides pensées, ni des émotions, ni des perceptions.

A un moment donné, vous ne pouvez échapper à ladécouverte qu’on ne peut rien posséder dans ce monde.La terre est une pièce de théâtre cosmique, dont cettechose-ci, le corps, et cette chose-là, le corps d’un autre,font totalement partie. Mais cette totalité, cette chose et

toutes ces choses, se déroulent dans la conscience queje suis. Et c’est tout. Ce n’est pas compliqué.

Alors ne peut-on jamais dire : « Je l’ai trouvé ? »

Supposons que ce soit vrai, que ce ne soit pas unmensonge, alors ceci ne veut pas dire qu’il y a un“moi” qui a trouvé quelque chose. L’expression signi-fie qu’un “moi” limité a disparu. Finalement, il n’y arien à trouver, seulement quelque chose à perdre. Cequi reste, vous l’êtes aussi maintenant.

Il y a le savoir, une prise de conscience que ça aété trouvé ?

Laissez-moi l’exprimer comme suit : il n’y a plusrien à découvrir. Il n’y a plus rien à trouver. Alors jeprends mon vélo, et je continue ma ballade.

S’agit-il d’une sorte d’oubli de la personne ?

Oui. Ramana Maharishi avait une expression, plusou moins – je cite de mémoire – : « Le Soi est toujoursréalisé. » Le Soi, il n’y a qu’un Soi, qui a toujours étéréalisé. Autrement dit, du point de vue de la conscien-ce, il n’existe pas de non-réalisés. Seulement, dansvos têtes folles, il apparaît des pensées qui prétendentqu’il existe un moi qui n’a pas encore été réalisé. Jeveux bien ! Mais c’est une absurdité.

Tout de même, vous dites que vous pouvez voir unedifférence entre différentes personnes.

Une tête dans laquelle la superstition cogite est dif-férente d’une tête dans laquelle ce n’est pas le cas.

Voyons ! Il faut voir très clairement qu’on ne peutpas le trouver dans le monde conceptuel et que la pen-sée ne peut pas le comprendre. Pas plus ici qu’ailleurs.Ici, il n’y a pas un moi plus intelligent que là-bas, ici iln’y a pas un penseur qui comprend, et là quelqu’un quine comprend pas. La pensée ne le comprend jamais, niici ni là-bas. Pas plus que cette cheminée ne pourrait lecomprendre. Pas un seul objet n’a la possibilité – si jepeux l’appeler comme ça maintenant – de comprendrele sujet. Il y a cinq milliards de vagues sur cette terre.Pas une seule de ces vagues limitées ne pourrait conte-nir l’océan. Vous ne rencontrerez jamais un “monsieur”ou une “dame” qui l’ait compris. Vous ne pouvez querencontrer une créature biologique masculine ou fémi-nine où il ne réside plus de superstition. Et c’est tout.C’est beaucoup plus simple que la pensée. La penséeest toujours compliquée, discursive, logique. Je ne suisni discursif ni logique. Je suis.

Uniquement constater. Constater qu’il y a

un va-et-vient de millions de choses

et qu’une seule chose

reste constante.

Page 71: 3ième Millenaire n°67

JE SUIS CONSCIENCE SANS EFFORT - 71

La seule chose à comprendre est que “je suis” n’arien à voir avec des idées. Même cette compréhensionn’est pas une compréhension dans le sens ordinaire dumot. Elle n’a rien à voir avec une compréhensionmentale comme « deux et deux égale trois plus un ».Cette compréhension devient possible parce qu’elleest invitée par des mots, ou des livres, ou je ne saistrop quoi, et peut-être sans que vous le réalisiez, vousvous distancez de ces idées, et de ce fait, sans vous enrendre compte, vous vous asseyez sur la chaise decelui qui observe. Plus la chaise de celui qui réfléchit,mais un pas en arrière, celle de l’observateur.

Ce matin je haïssais, à midi j’aimais, ce matin jepensais à Jean, à midi je pensais à Anne. Comment

puis-je raconter cela ? Je ne peux décrire quelquechose que lorsque ça a été observé par moi. C’estaussi simple que cela.

Alors, ça se passe tout le temps ?

Pendant toute la journée. Pour tout être humain.Cela n’a rien à voir avec le bien ou le mal. Même pasavec la folie. Shankara dit : « Le Soi est ce que tousles êtres vivants, de l’éveillé jusqu’au trisomique, onten commun. » Il le dit littéralement. Ça n’a rien à voiravec l’intellect, avec l’éducation, avec le bien et lemal. Pas du tout. Parce que tout le monde l’est. Il n’ya rien à part la Conscience.

Voilà une des difficultés quand on se perd dansune religion. On se fourre dans un monde d’idées.Toutes les grandes religions disent que Dieu estomniprésent, mais pas partout ! Et si tu ne comprendspas ça, crétin, c’est parce que tu n’as pas encore reçula grâce. Bon, c’est pour cela qu’il faudrait toujoursretourner au début. Les grandes religions ont raisonquand elles disent que Dieu – ce qu’elles appellentDieu, disons “Cela” auquel se réfère ce mot –, queCela est omniprésent. Donc aussi présent dans le mal.Vous dites ? Bien sûr, parce qu’il n’existe rien hors del’Omniprésent, et il n’y en a qu’un. Et cela va deMonsieur Khaddafi à Mère Térésa. A travers le mal età travers le bien. Ce qui explique qu’il n’y a ni bien

ni mal pour l’Omniprésent. Le bien et le mal n’appa-raissent que si on se fait de soi-même un penseur, unchercheur ou un brave homme de Gand. Alors tout cequi me menace est mauvais, et tout ce qui m’attendritest bon. Mais tant que je me projette et me marie avecune représentation, il me sera impossible de trouverce que je cherche parce que mon attention est dirigéedans la mauvaise direction. Elle est dirigée vers lapensée, tandis qu’elle devrait être dirigée vers Celadans lequel apparaît la pensée, vers ce qui existe déjàavant que les pensées ne viennent, dans lequel les

pensées sont observées, sans effort, et ce qui restequand les idées ont disparu. Celui qui donne sonattention à ça, trouvera.

(suite p 82)

Il y a cinq milliards de vaguessur cette terre. Pas une seule ne pourrait contenir

l’océan.

© photo : Den

is Balibou

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De nombreux artistes (photographes ou peintres) ont collaboré à ce numéro 67… Pour découvrir plus largement leurs œuvres, voici les coordonnées deleurs messageries et celles de leurs sites INTERNET :

Ansatu / [email protected] http://membres.lycos.fr/ansatu

Sylvie Chadourne / [email protected] www.animart.com02.com

A collaboré aussi à ce numéro : Philippe Puysegur.

Jean-Marc Robion / [email protected]

Christophe Cassegrain / [email protected] www.f-45.com

Extrait de L’art et le feu créateur

« J’entre dans la salle de bain. Une cascade se dressedevant moi. Elle coule. Entendons-nous, elle n’est pas surmon passage. Je ne suis pas l’objet d’une hallucination.Ce n’est pas une idée pourtant. Elle coule avec puissance…

Cette présence fluide est là, le soir, dans l’escalierplongé dans la pénombre … ma main, ma fantasquemain s’amuse soudain à barbouiller une toile, puisant del’ombre sur la gauche qu’elle étend dans l’ombre dedroite… elle suit je ne sais quel rythme incohérent.Incohérent ! à voir ! j’allume. Sur quelques centimètrescarrés s’élance l’eau de la montagne. Non jamais en cal-culant, en réfléchissant, avec la science du peintre on nesaurait faire ce que ma main s’est permise dans l’ombretoute seule …

QUELLE EST CETTE MAIN QUI DESSINE DANS LE NOIR SANS S’OCCUPER DE

NOUS ? »

Extrait de La cité impérieuse

« Accroupi sur le sol, l’homme taille à grands coupsde ciseaux une pièce de chêne coincé entre deux blocsde pierre. Sa main fait jaillir des formes, chanter lesfibres. Une histoire endormie dans le bois se réveille. Ilvoit apparaître ce qui, dans l’inerte, sommeillait … D’oùvient sinon de la demeure des rythmes, cet oiseau chan-tant entre deux voûtes, le bec largement ouvert ? ………

Ils contemplent cette chose qui n’est pas faite commeune table, une mangeoire, un fauteuil, comme une char-pente, cette chose qui ne sert à rien… Ils disent :- Il faudrait porter cette chose dans la grotte, près duruisseau … Nous, parfois, échappant aux gardiens, nousnous glisserions vers elle pour remonter chanter en ellele vieux matin toujours nouveau.- On irait la voir pour échapper aux tours carrées, àl’emprise de la plaine et aux preuves sans raison. Onirait la voir pour être relié à ce qui réunit. »

L’art de la vie

Viennent de paraître de Georges Brunon

L’art et le feu créateurEditions du Dauphin

(14,95 €)Analyse sur le vif de l’acte créateur

La cité impérieuseEditions les deux Océans(18 € - 20,13 € port compris France métropolitaine)L’art gardien de la vie, détruira les hautes tours de lagrande cité inhumaine

Rendez-voussur le site

de la Revue

(vous pourrez parexemple y consulter les sommaires desanciens numérosou trouver un article par thème parmi les 67numérosparus…)

Denis Balibouse / [email protected] www.denisbalibouse.ch

Dominica / [email protected] http://dominicah.free.fr/

Marie-France Zurlinden [email protected] http://mfz.free.fr

Sophie Thouvenin / [email protected] www.prismes.com

Elisabeth Teulière / tél : 01 45 41 42 40

Soline / 05.65.21.89.26 www.la-parole-vivante.com

Page 76: 3ième Millenaire n°67

prière et méditation :

la grande réconciliation

Soline

“Délivrée”, peinture de Soline

Page 77: 3ième Millenaire n°67

e demande. Mais personne àmes côtés. Personne. Jedemande. Prex me murmurequ’on obtient seulement par la

prière. Dans la grande supplique est inscri-te l’image même de mon état : précarité :précatio. Je demande encore et toujours.Personne ne répond. Dieu est-il sourd à mesappels répétés comme le reste des hommes ?Pleure le monde, pleure l’homme en prière.Pleure l’absence à travers ce que je croisdeviner être une présence, être un Etre.

Mille ans de prières aux pieds desmontagnes et dans tous les temples.L’homme ne médite pas, il implore, il sejette aux pieds de l’Invisible, sans espé-rance autre que celle d’une promesse voi-lée. La mort terrifiante reste Son seuldomaine, le lieu où il est dit que je Le ren-contre enfin. Je demande, j’espère encore.Sèches les joues de la Vierge de bois auvisage de compassion, voilé celui du Dieuhindou qui pourtant garde contre moi sonsecret, perdu dans leurs entrelacs, desmosaïques cachent le visage de Mon Dieu.

Je me plie et me tords et suis heureux si jeporte ici, au front, les stigmates de mesefforts. Mais de réponses point. Pasaujourd’hui, pas encore.

Je me retire. Dans les tréfonds de monâme où je sens que quelque chose habite,j’explore les veines intérieures d’un grandterritoire délaissé. Du fin fond d’un moyenâge, je reviens vers l’intérieur et éclaire lescorridors sombres de mon cœur afin d’enfaire des voies de passage. J’étudie laParole. Je fonde mon église. Adorationmais pas de réponse de l’oracle.Oraison mais qui célèbre la terre d’enbas… Si je m’astreins à l’ascèse, sansrépit, que je me prive de tout, que jeprends la robe blanche, fais vœu de chas-teté et m’en vais par les chemins de pau-vreté mendier mon pain, peut-être daigne-ra-t-Il poser les yeux sur son enfantpêcheur.

Souvent, je pense, car c’est ainsi quel’on fait. Je me concentre sur une idée. Jemédite en silence. Je consulte en moi-même. Je contemple à l’infini, je fais

J

Comment

peindre l’indicible ?

MÉDITATION ET PRIÈRE : LA GRANDE RÉCONCILIATION - 77

“Voie d’éveil”, peinture de Soline

Page 78: 3ième Millenaire n°67

78 - SOLINE

l’oraison mentale comme il est dit auxchapitres sur la mémoire de mon vieuxdictionnaire. La méditation occidentale,qui est cogitatio, me porte à m’instruire età créer à partir de ma pensée profonde etintérieure les voies d’un succès futur quiporte ma fortune dans le monde. Voilà maplace d’homme : Je suis un chercheurscientifique et je cherche à comprendre lemonde à travers les mathématiques ou laphilosophie. Mais le chercheur spirituels’immobilise.

Les siècles passent. Homme d’affaire,homme du monde, je n’ai plus de tempspour penser à Dieu. S’il m’arrive encore deLui demander quelque chose, c’est presquesans attente car seule la chance est cause debonheur, chance et force personnelle,volonté, courage… Il en faut tant pourvivre ici, abandonné.

C’est le chagrin qui me reconduit d’où jeviens : vers l’intérieur, vers le vide, versl’absence. Les grimoires et les écoles éso-tériques ouvrent les portes de l’invisible.La jouissance de la transcendance apparaîtsous ses diverses formes. L’ultimerecherche retourne à la Parole, au discours,Dieu étant sensé se manifester à moi sousla forme du verbe, Dieu est Parole, cepen-dant que l’unité évoque un noyau de silen-ce à Son origine même. Pourquoi le silen-ce ne signifie-t-il pas autre chose qu’uneperte ? On dit que le dieu intérieur n’est pasailleurs que dans cette parole sans parole,que celle-ci, quand bien même serait-ellesilence, annonce une Présence, que s’il y aabsence, c’est que la Présence est là, lemanque m’en avertit.

Le pèlerin reprend sa marche silencieu-se. Il met ses pas dans les pas de Jésus,l’homme et l’ami, celui qui m’apprend queDieu est mon père. Me voici orphelin carDieu je ne le rencontre jamais. Tombeauvide du Christ : Jésus n’est plus ni mort nivivant. Je vois dans la passion, la mort etla résurrection, une figuration de ma quêtemême si se déclare, dans le même temps,la mort de Dieu. On m’a dit que l’homme,en découvrant qu’il est le fils, abstraitl’idée du père. Nietzsche déclare : Dieu estmort, et une mélancolique parthénogenèses’installe dans mes rêves.

Ou bien je rêve d’Orient. Me voici auxpieds de lotus de mon maître, à psalmodiersilencieusement le mantra qui ouvre à laperfection intérieure. Je ne demande pas cartout est accompli et ne compte pour riendans cet accomplissement car Dieu, décidé-ment, ici ou ailleurs, reste sourd. J’attendsl’illumination pour un autre temps car lanoblesse de mon maître est hors de portée.Mais, peut-être, en me retirant du monde, enprenant la robe orange, saurais-je au moins,plus humble, Le voir un seul jour. Mes gar-diens de l’Orient, eux aussi, identifient dansle vide la source de la création. Prière etméditation retrouvent ainsi leur origine etleur mémoire, et moi, le code perdu des trai-tés et des clavicules, posé sur des supportsde méditation et de contemplation. Maiscette absence me pousse vers la tentation duvide personnel, un “au-delà” de tout, et sur-tout de moi-même, une très grande solitude.La création est née du vide et l’unité lasomme d’y retourner. Où puis-je prendreplace dans la description de ce néant ?

Le sanyasin tombe la robe et prendfemme.

La-bas, on ne médite plus. Le temps sepasse à faire la guerre et même les reli-gieux sortent des temples et des mosquéesen hurlant le nom de l’Absent, arme aupoing, les yeux injectés de larmes et desang. Les pèlerins s’enfuient et il ne resteplus que quelques fous de Dieu pour nepas avoir honte du nom de mon père. Desmoines torturés, chassés des monastères,se décident à redevenir soldats. Mais eux-mêmes ne cherchent-ils pas autre chose quel’aide, la solidarité, une relation à l’homme,d’homme à homme. Où est Dieu ? S’en est-il allé pour toujours ? Depuis quand ?

Homme pensant, sage méditant, occi-dental déçu, je retrouve la grâce d’un ins-tant de paix. Je vais vers un nouveau com-mencement. Voici le retour imprévu de lafoi : retour espéré par toutes les sectes reli-gieuses, hérétiques, de tous les siècles der-niers depuis les anciens mythes de l’Aged’or jusqu’aux réalités pieuses et occiden-tales mêlées de “renaissances” psychanaly-tiques ou spirituelles d’un nouveau tao. Laconnaissance millénaire trace un cheminvers la révélation et murmure encore :

Si toute cause est

vaine, je suis admisau rang des

sans domicilespirituel fixe.

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MÉDITATION ET PRIÈRE : LA GRANDE RÉCONCILIATION - 79

En regardant, on ne le voit pas, car ilest non visible. En l’écoutant, on ne l’en-tend pas, car il est non sonore. En touchant,on ne le sent pas, car il est non palpable.Ces trois attributs ne doivent pas être distin-gués, car ils désignent le même être. […]L’être est issu du non être, la plénitude estissue du vide. *

Nouvelle oraison. Me voici de retourdans mon église pour y peindre.

L’absence parle dans ce qu’elle tait. L’objet qui manque est l’objet que

cherche à représenter le sacré. Commentpeindre l’indicible ? La peinture modernel’exprime par l’informe ou l’abstrait, l’artsacré par une Vierge qui porte un enfant :ils chantent, à eux deux, la grandeur del’Absent et sont symbole de l’irreprésen-table. Un visage aux yeux mi-clos peintsur un morceau de bois brut transcrit lavision intérieure et la révélation que nul nepeut peindre. L’Eternel interdit les images.

Louange. Je médite, je prie, afin d’en-trer en communication. Dieu d’immanenceou vide transcendantal, de l’Orient àl’Occident, si je veux Le rencontrer, il mefaut abolir la distance, annuler l’absencepar la Présence.

Mon cœur d’homme ne renonce pas etréclame que cette absence soulève enfin levoile. Car le Mystère ne peut plus demeu-rer une énigme.

Un seul soir, je regarde plus longue-ment les étoiles. Ce qui me vient est indé-finissable. Une chose en moi au sein dumême chaos, toujours le même. Je n’ai rienaccompli et pourtant je renonce enfin.J’appelle cela le désespoir et j’accepte quecette existence ne serve pas ou presquepersonne, qu’elle n’ait pas de sens, qu’ellene formule pas de signes au milieu de sondésordre. Je prends en pitié le matérialismeborné et découvre l’orgueil et l’égoïsme auchœur même de mon église. Je me lèveplusieurs fois et plusieurs fois me rassois.Je dors d’un sommeil sans rêve et je rêveaussi. Je redescends de toutes les mon-tagnes et trouve les hommes beaux et misé-rables, aussi qu’il ne peut exister que cela.

Si toute cause est vaine, je suis admisau rang des sans hiérarchie, des sansdomicile spirituel fixe. Je peux même reje-

ter toute idée d’un jugement dernier quiaura calmé ma rage et mon impuissance,car rien ne subsiste. Je commence à priersans attente, à prier pour rien, pour seule-ment sentir encore un peu la chaleur del’amour en moi. Je regarde tous les livresde ma recherche désormais abandonnéeavec compassion et toute ma douleur sevoit dans le miroir universel. Je prends mafamille dans mes bras et leur communiqueune force que je ne croyais pas contenir.Ensemble nous méditons comme chaquematin mais sans vouloir, sans briguer latransformation, l’immortalité du corps quisans doute n’existe pas, le feu de Dieu des-cendant en nous, simples mortels enfinélus. Nous aimons ces simples instants depaix et ne cherchons plus rien d’autre.Aucun orage ne soulève la maison maisJésus nous vient en ami. Je regarde la peurcontinuer à se battre à ma porte et l’inviteà s’asseoir. Il n’y a rien, rien à perdre nonplus. Si Dieu est absent pour toujours, quelest mon choix pour cette vie ?

C’est alors que mon cœur au-dedanstremble. Un grondement sourd comme unechevauchée encore lointaine. Je vois quecela n’a pas d’importance. Je sens en moique le pan de la nuit se détache et que je neconnaissais rien du jour, rien encore.J’ouvre les yeux comme un enfant ravi etdemeure sans attente et sans vision. Lesoleil n’est pas descendu dans mes mains.Les oracles sont toujours aussi bavards etmenteurs. La pierre de glace dans laquelleon a sculpté une des formes de la Présencereste mortellement fixe. Les grimoires enco-re ouverts sentent la moisissure de laconnaissance incomplète. Les ouvrages phi-losophiques n’ont toujours rien à déclarer.

Les joues de la Vierge sont baignées delarmes.

Je regarde vers le Ciel vide, attentive auconnu comme à l’informe. Je ne suis là quepour saisir la mélopée de la pluie sur lezinc d’une gouttière. Je n’existe plus quepour ne rien perdre de ce qui est, à défautde n’avoir pu rencontrer ce qui reste invi-sible. Le monde effleure les veines sous lapeau et je reste par amour. Quelque chosede moi est petit et à mesure que je le res-sens, autre chose le regarde avec patience.

Je regarde

la peur continuer à se battre à ma porte et l’invite à s’asseoir.

Page 80: 3ième Millenaire n°67

80 - SOLINE

“ Un jour, j’ai vu que nous étions un.Par-dessus la balustrade d’un pont

nageait un petit banc de poissons mus,

semblait-il, par une seule volonté

qui n’était pas une volonté personnelle.

Relevant la tête, j’ai aperçu des hommes,

et j’ai vu que, à l’égal des poissons,

et malgré de fortes têtes et la certitude

d’avoir un destin à accomplir, ils étaient

un seul, mus par une seule intelligence,

une seule conscience. J’ai vu, depuis,

ce que cette vision peut avoir de dérangeant,

comment l’ego se satisfait mal d’un tel

effacement. Pour autant, cet effacement

n’est pas tout à fait un renoncement

mais plutôt la vision claire d’une évidence.

J’ai su ce que cet effacement portait d’espoir

de libération pour l’homme et j’ai écouté

en moi la voix de l’Un.

Depuis bientôt cinq ans, je reçois,

au sein du Groupe Présence, des personnes

venues de partout pour entendre cette parole

libératrice. Des milliers de messages

n’ont pas entamé cette foi

et la vision, chaque jour plus grande,

que nous sommes, réellement, Un.

Avant de pouvoir le vivre au plus proche,

au-delà de toutes les contraintes

de l’identification et de l’ego, au-delà

de nos souffrances et de nos doutes,

se rassembler, parler ensemble, écouter

à nouveau la sagesse de cette Présence

qui est là pour chacun, peut nous permettre

de nous sentir tout simplement Unis. ”Soline

© Soline

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Puis vient le moment des éclaircies,quand la rage épuisée baisse lesarmes. Encore davantage de silencealors recueille de moi ce qui reste : unformidable goût de vivre. En s’ou-vrant, le ciel de plomb ne décocheaucune flèche de lumière mais rétablitla paix. Puis, sur cet éclair silencieuxs’écrivent ces mots :

Ecoute encore. Il ne dépend pas detoi que Dieu se taise ou réponde,entends-tu ? Ce n’est pas toi qui viensvers Lui mais Lui qui vient vers toi.Car les écrits et les pensées, les essaiset les traités, s’arrêtent où l’expérien-ce véritable commence.

Le sage chinois n’écrira plus, iln’a plus de nom pour signer sesparoles ou ses actes. Son pinceau noirs’est couché. Celui qui a trouvé Dieusait qu’il est lui-même devenu absent,que quelque chose de lui, qui n’est pasessentiel mais qu’il vivait comme tel,s’est dissout dans la Présence. Il nepeut plus le dire ainsi. Il ne peut querépéter des mots d’amour. Il voulaittransformer l’absence en présence etl’absence l’a happé. Dieu n’est pasdevenu présent. C’est l’homme qui estdevenu L’Absent. Désormais, le lieude la vie et des méditations profondes,des oraisons, des prières, est un lieud’absence qui a tout enlevé. Ego nepeut pas l’entendre, car lorsqu’il l’au-ra entendu, il se sera dissipé avec lesdernières brumes de la nuit.

Sans nom, il représente l’originede l’univers

Avec un nom, il constitue la Mèrede tous les êtres.

* Roger Otahi, Le Sens du Tao. p. 48 et 53.

81

� Soline est l’auteur du livre “Unie” et a reçu les messages contenus dans les livres “L’Amour qui nous guide -entretiens avec le Divin, vol 1, 2 et 3” et “Poissons d’Or du Guide”, publiés par les éditions La Parole Vivante(05.65.21.89.26 www.la-parole-vivante.com).

� Rencontre annuelle 2003Les Houches au Pays du Mont Blanc

Semaine d’étude et de réflexion autour de l’enseignement de J. Krishnamurti

« Pouvons-nous vivre une vie radicalement différente ? »

avec la participation du Prof. P. KrishnaMembre de la Fondation Krishnamurti Inde

« J’aimerais maintenant aborder la question de savoirce que signifie pour un être humain le fait de susciter en lui un profond changement. Nous demandonss’il est possible de provoquer une révolutionpsychologique fondamentale, un changement profond,durable, irrévocable, une transformation. »

J. Krishnamurti

Renseignements et inscriptions :Bénédicte et Pierrick Gousseau41, rue du Lt Y. Genot F - 74240 - GAILLARD

< [email protected] > 04 50 31 37 48 - 06 15 34 89 22

� Bibliographie de Jean Klein

L’ultime réalité, Paris, Courrier du Livre, 1968. Sois ce que tu es, Paris, Courrier du Livre, 1970. La joie sans objet, Paris, Mercure de France, 1984. Qui suis-je ? La quête sacrée, Paris, Albin Michel, 1988. La conscience et le monde, Paris, L’originel, 1992. Transmettre la lumière, Gordes, Du Relié, 1993.Revue Être, 1973 à 1993

Pour se procurer ces ouvrages, s’adresser à : Aline Frati 11, rue Faraday - 75017 Paris / Tel : 01 40 54 86 57

� Photographies de Sophie Thouvenin

(voir p 12 et 13)

à découvrir sur le site

[email protected]

Page 82: 3ième Millenaire n°67

Comment peut-on diriger son attention ?

Quand vous avez dit : « Mais ça se passe toute lajournée », est-ce que vous répétiez quelqu’un, ou est-ce que vous le saviez ? D’où venait cette remarque ?Je ne crois pas que c’était dans le journal ce matin.

Ben… c’est logique.

Ça n’a rien à voir avec la logique.

Mais si. Comme vous le dites: « Si je me souviensde ceci et cela, c’est que j’en étais l’observateur. »

Mais maintenant je vois cette main-ci. Ceci n’arien à voir avec la logique. Cette main est quandmême observée par moi. Je n’ai pas besoin de logiquepour cela. Si vous arrivez à la logique, c’est pour scierles pattes de votre chaise. Mais ce que je suis nedépend pas de la logique. La vérité la plus suprême estvalide aussi bien pour l’être humain le plus borné dela terre que pour vous.

Que peut-on faire alors ?

Uniquement constater. Constater qu’il y a un va-et-vient de millions de choses et qu’une seule chose resteconstante. Cette chose observatrice, présente, danslaquelle toutes les choses apparaissent et disparaissent.

C’est justement cette constante que je ne trouve pas.

Et quand vous disiez : « C’est ce que je suis toutela journée » ? Il n’existe ni pensée, ni émotion niexpérience sensorielle qui ne soit pas observée. Ainsi,depuis la première observation du matin à 7 heuresjusqu’à la dernière à minuit, l’observation est constan-te. Sauf aux moments où il n’y a rien à observer. Maispour quelqu’un qui travaille dur, et en plus a unefamille, il n’y aura pas beaucoup de tels moments.

Je peux uniquement parler des choses observées.Ça veut dire que dans toutes ces choses l’observation

est présente. Depuis la première chose que je vois lematin, mon coussin, jusqu’à la dernière le soir, moncoussin. Ainsi que dans ce dont je me souviens main-tenant de l’époque où j’étais à l’école maternelle.Comment puis-je me souvenir de tout ça si je n’étaispas en train d’observer dans cet enfant ? Ça vaut pourtout ce dont je peux me souvenir, et c’était aussi lecas quand les milliards de choses dont je ne me sou-viens pas étaient observées.

Je n’aime pas les exercices, mais on pourrait s’en-traîner tous les jours, en traitant la façon dont on réflé-chit de manière “artisanale”. Prenez ainsi tous lesjours, lors d’une promenade, ou n’importe quand, si ona le temps pour constater : « Je ne vois pas de porte,mais je vois une observation de porte », « Je ne voispas Ludwina, mais une observation de Ludwina », « Jene vois pas le microphone, je vois l’observation d’unmicrophone ». De cette façon, on dirige l’attentionsur la perception, et pas seulement sur ce qu’onobserve. Et il devient possible de transférer votrecentre de gravité, votre point central des concepts(un penseur, etc.) vers la perception. Quand je voisune porte, l’attention est là, avec l’objet. Quand jevois une observation de porte, je vois une porte quiapparaît dans la conscience. C’est la même porte,mais j’y suis aussi maintenant.

Vos observations sont-elles différentes, d’unenature différente, parce qu’elles ne sont pas liées àun “moi” ?

Je ne peux jamais, dans aucune circonstance (etvous non plus), décrire ce que je suis. Ce que je suislà (NDLR : en indiquant une autre personne), ou ici,ne peut être représenté. Peut-être la différence est-elle que l’élément menaçant ou attrayant de l’obser-vation ne peut plus me tyranniser. En ce que l’obser-vation mentale est colorée de craintes et de désirs,mais ce voile disparaît et les observations restentcomme elles sont dans leur propre couleur, au lieud’être colorées par un moi peureux ou désireux. Je citesouvent l’exemple de quelqu’un d’amoureux, qui voitla vie en rose. Même s’il pleut, pour lui le soleil brille.Et pour le déprimé ou une personne triste, mêmequand le soleil brille, c’est encore l’enfer. Et comme çaune personne peint la création avec ses couleurs.Alors, ça disparaît. Mais ceci ne veut pas dire qu’unpantalon vert deviendrait un pantalon rouge.

82

je suis Conscience sans effortWolter Keers

(suite de la page 71)

Dans vos têtes folles, il apparaît des pensées qui

prétendent qu’il existe un moi qui n’a pas encoreété réalisé. Je veux bien ! Mais c’est une absurdité.

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JE SUIS CONSCIENCE SANS EFFORT - 83

J’ai un problème avec le rôle de la mémoire. Si jeme souviens maintenant d’une pensée d’aujourd’hui,la mémoire se trouve-t-elle alors entre l’observationet cette pensée ou dans une des deux.

Non. Une pensée dont je me souviens est une pen-sée présente. Je suis uniquement observateur du pré-sent. Je suis toujours maintenant. Et parce que je suistoujours maintenant, je peux seulement observer leprésent.

Il apparaît maintenant une pensée que j’appellesouvenir, mais elle est maintenant, sinon je ne pour-rais l’observer. Entre moi, être conscient, et une pen-sée, il n’y a aucune frontière, comme entre ce vase etla terre dont il est fait il n’y a aucune limite, ou entrel’eau et la vague il n’y a pas de limite. Il n’y a pasd’espace entre la conscience et ce qui est observé, etc’est pourquoi il ne peut y avoir un instrument ouquoi que ce soit.

Supposons que je perde la mémoire, peut-on direqu’il n’y aurait qu’un changement dans le type depensées que j’aurais, mais rien en dehors de ça ?

Oui. Mais j’utilise le mot mémoire aussi dans unsens plus technique, dans le sens qu’il ne peut y avoird’observation ni de phrase entendue sans la mémoire.Au-delà de la mémoire il n’y a pas de création.

Comment ?

Je dis que je vois un tapis, mais en fait ce sonténormément d’observations, que je vois une par unetrès rapidement. La mémoire en fait un tapis. Je nevois pas de tapis. Je vois des fragments, des frag-ments, des fragments. Alors, sans la mémoire il n’y apas de possibilité d’observation. Et ce qu’on appellele monde, ou la création, est un mot collectif pourtoutes les observations. Il n’y a pas d’observationpossible sans mémoire. Au-delà de la mémoire, il n’ya pas d’observation, donc pas de création.

On peut se trouver dans une voiture comme unobjet qui est conduit d’Anvers à Gand. On peut aussise trouver dans une voiture comme un sujet devantlequel le paysage qui passe s’appelle d’abord Anvers,puis Gand. Mais le sujet reste immobile. Le corpsbouge, le paysage bouge, les images viennent et s’envont, mais l’observateur reste inchangé, identique.

Ceci vaut pour l’espace, et aussi pour le temps. Laplupart des gens pensent qu’ils sont nés ici, commesur les touches les plus basses d’un piano, puis ils par-courent le clavier et finissent la vie avec les touchesles plus hautes. Ils se promènent d’un coté à l’autre.

Mais je peux aussi regarder dans une autre dimen-sion, comme dans l’exemple de la voiture, et voir queje suis toujours maintenant. Ce qu’on appelle letemps - les feuilles du calendrier -, passe devant moi.Je demeure inchangeable, maintenant. Si je suismaintenant un petit garçon, ou maintenant un jeunehomme, ou maintenant un vieillard, je suis toujoursmaintenant. Le temps me passe au lieu que je glissedans le temps. Ce n’est pas moi qui suis devenu plusâgé, c’est le calendrier qui est presque arrivé endécembre. Le vingtième siècle est en train de vieillir.

Au mur est accroché une image d’un vieux ponten pierre au-dessus d’une rivière. L’eau coule-t-ellesous le pont, ou le pont coule-t-il au-dessus de l’eau ?Ce sont deux points de vue valides. Du point de vuede quelqu’un qui se trouve sur le pont, l’eau coulesous le pont. Mais du point de vue de l’eau, le pontcoule au-dessus de moi. On peut changer de point devue de la même façon quand il s’agit du temps. Je nechange pas à travers le temps, non, je suis toujoursmaintenant, le temps coule le long de moi. Je suiséternellement maintenant, sans peine, il ne faut aucuneffort.

Je suis conscience sans effort. Cet être conscient semarie toujours avec des idées : « je suis un gantois »,avec des souvenirs : « dans le temps, il y avait… »,avec des attentes : « l’année prochaine, je ferai… »,etc. Quand je comprends que je ne suis pas ces pen-sées, je ne fais plus ces associations. Ce qui reste est :être conscient. Ce que je suis déjà en ce moment. Et àpart ça, un film merveilleux. Parfois un film tragique.Un film avec un enjeu, ce que les gens appellent lamort et la vie.

Traduction : Isabel Pype

� Wolter Keers, né en Hollande dans une famille de pasteurs protestants, partit en Inde en 1950 après la lecture de “Secret India” de Paul Brunton. Il demeura chez

Ramana Maharshi pendant les derniersmois de sa vie, puis vécu plusieurs annéesauprès de Krishna Menon, qui lui fut indi-qué par Ramana Maharshi. Jusqu'à sa morten 1985, il donna des séminaires enHollande, en Belgique et occasionnellementen France. Il écrivait en particulier dans lesrevues “The Mountain Path” et “Être”(périodique créé par Jean Klein).Entretien publié dans la Revue Inzicht,(1999 - n°2) Uitgeverij INZICHT Maurick20, 2181 LB Hillegomwww.inzicht.org

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84 - JEAN BOUCHART D’ORVAL

C’est par impatience que nous nous jetons sur desobjets et sur des situations. L’impatience c'est la peuret cette peur repose uniquement sur une pensée.Méditer c'est persister avec ce qui est là. Celaimplique donc le refus des images. Non pas les com-battre, non pas chercher à les détruire – qu’y a-t-il àcombattre ? Non. Cela consiste à refuser de secontenter du pâle reflet de la réalité qu’est l’imagede soi-même. Quand vous demeurez avec « ce quiest là », à un moment donné cette attention devientsilence, étonnement, ravissement, tranquillité.

(suite de la page 15)

méditerc’est regarder pour la première fois

La brume des images se dissipe et il reste une lucidi-té dans laquelle il n'y a plus ni objet ni sujet. Méditerc’est vivre sans se localiser. Il n’y a que pur regard,pure attention.

Vous vivez dans le marasme simplement parmanque de conviction d’être pur regard, pure lumiè-re consciente. Conviction veut dire évidence directe,non pas conclusion intellectuelle. Les intellectuelsvivent dans la même peur que les autres, à cause dela même déficience de conviction. Sans une telle évi-dence directe, la vie sur terre n’est qu’une intermi-nable errance pour tenter d’éteindre la soif d’expé-riences et de compréhension. Tant que vous nedemeurez pas présent à ce qui est là dans votre vie,clairement, simplement, vous ne pouvez éclairer vosconstructions mentales et réaliser tout ce qu’elles ontde virtuel. La réalité est sans cesse en train de souf-fler sur le château de cartes de vos fabrications. Maistant que vous fuyez de situation en situation, de pen-sée en pensée, vous êtes comme l’impatient quipénètre dans une pièce sombre en provenance del’extérieur en hiver : tout ébloui par l’éclat du soleilsur la neige, ne distinguant rien pendant les premiersinstant, il se retire de cette pièce, retourne dehors,puis entre à nouveau dans une autre pièce, puis uneautre, sans avoir jamais rien vu. Ainsi affligé, vousavez vite fait le tour de votre maison et vous voussentez toujours aussi vide. Notre regard a besoind'une certaine persistance pour distinguer. Alors, ceque j’appelle méditation c’est cette persistance duregard, cette insistance de l’attention, sans but, sansprojection de ce qu’on pourrait voir. D’ailleurs, il n’ya rien à voir ! Au cœur d’une telle attention, il nesubsiste bientôt plus que la pure lumière consciente,qui est la vie elle-même.

Vous parlez du regard qui s’exerce. Cela ne res-semble-t-il pas à une pratique ?

Il n’y a pas d’éléments techniques à maîtriser ici.Qui peut vous enseigner le regard ? Il existe beaucoupde « techniques de méditations » sur le marché, mais ils’agit là d’un artifice de marketing. On peut bien créerun espace méditatif, mais ce qu’il y aurait à dire surune technique méditative tiendrait en très peu de mots.Cela dit, il est vrai que le regard s’exerce et devientplus compétent quand on se donne à des moments desilence sans but. C’est cela qui permet de demeurerprésent quand souffle le vent de la vie sur vos plans etsur vos certitudes. Mais ce n’est pas quelque chose àpratiquer dans le but d’être présent plus tard. Ce n’estrien à mémoriser, à thésauriser. Cela vient comme uneconséquence naturelle, non comme un objectif à ©

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Page 85: 3ième Millenaire n°67

MÉDITER C’EST REGARDER POUR LA PREMIÈRE FOIS - 85

atteindre. Dès que vous êtes tourné vers un autremoment, vous rêvez, vous dormez.

Par exemple, quand vous avez complété lestâches de la journée, vous êtes assis et vous demeurezlà. Vous n’allez pas voir ailleurs, vous ne chercherpas ce qui pourrait vous désennuyer à la télé, vous necherchez pas dans votre carnet le numéro de télépho-ne d’un ami qui pourrait être votre clown de servicece soir-là. Vous regardez ce qui est là, vous ressentezvotre corps, sans rien essayer. En méditation vousn’êtes tenu à rien, surtout pas de « méditer » !Demeurez simple. Il n’y a rien à suivre, rien à refu-ser. Laisser venir, laissez aller. Vous assistez à ce quiest là, y compris à ce que votre mémoire nomme« rien ». « Rien » est un autre concept. Il n’y a jamais« rien » : vous êtes toujours là en tant que pur regard.Mais n’essayez pas de voir ce « pur regard » ! Vousréalisez que vous êtes perdus dans vos pensées ? Etalors ? Vous assistez à cela, sans plus. Depuis tou-jours vous ne faites qu’assister aux modalités de ceque vous appelez votre vie. Vous allez bientôt voirque tout est vide de substance, qu’il n’y a pas dechoses séparées du regard, vraiment.

Et quelle place faites-vous à la prière ?

Prier, dans le sens où on emploie ce mot la plupartdu temps, ça n’a pas grand sens. Ce que veulent direla plupart des gens par prier c’est demander, supplier« Dieu » d’intervenir dans leur petite vie misérable.Mais même ce genre de prière est au moins le signed’un début d’humilité. Quand leurs stratégies habi-tuelles ne semblent plus rapporter de dividendes, lessuperbes et les arrogants se mettent à la prière. Quandles Nazis ont envahi l’Union soviétique, à l’été de1941, et que tout semblait perdu, même Staline a faitrouvrir les églises…

Pour la plupart des gens prier est un réflexe : ilsgrelottent quand ils ont froid, ils toussent quand leurgorge est chatouillée et ils prient quand ils ont peur etne comprennent plus rien. Ce réflexe est encore unestratégie qui pointe en direction d'un quelconque soi-même : c’est une activité mondaine et vulgaire. Jeveux bien que, sur un mode poétique, on s’adresse àune divinité, ou même que, sur ce même mode, ondemande parfois quelque chose pour sa vie personnel-le, mais alors cette demande ne devrait pas être formu-lée à partir de la conviction d’être une entité séparée.Bien sûr, la littérature sacrée est constellée de prièresqui ressemblent à des demandes, même à des implora-tions. Mais c’est toujours sur un mode poétique.

Vous pouvez très bien demander, mais alors de lamême manière que vous demandez le sommeil quand

vous allez vous mettre au lit. Vous ne pouvez pas leprovoquer. Bien sûr, si vous ne vous étendez pas,vous n’allez pas dormir non plus. Alors vous allezinterroger le dieu du sommeil. Vous allez vousétendre pour suggérer le sommeil, vous allez voir s'ilest là. Le reste n’est pas entre vos mains en tant quepersonne. Autrement dit, votre corps et votre psychis-me sont les dociles instruments du dieu. Vous n’êtespas là en tant que personne qui exige de dormir.D’ailleurs regardez ce qui arrive quand vous vousétendez avec l’idée que vous devez dormir à tout prix,que vous voulez dormir…

Prier pourrait être cela : être consciemment l’ins-trument de la vie. Vous pouvez alors interroger pourvoir si votre foie ne pourrait pas se désencombrer decertaines énergies, pour voir si votre nerf sciatique nepourrait pas se décoincer, pour voir si votre ami nepourrait pas voir sa vie s’éclaircir ; des choses commecela. Mais vous le faites toujours en souhaitant qu’ilarrive ce qui doit arriver. C’est le sens de la prière deJésus, dans le Jardin des oliviers, qui demande : « Père,s’il est possible que cette coupe passe loin de moi.Cependant,non pas comme je veux mais comme tuveux». En réalité, c’est le Père qui fait tout. Le Père, entant que Jésus, ne doute pas de cela et peut donc« demander » sans se fourvoyer comme le font lesautres êtres humains. De là la puissance de ses« demandes ». C’est bien ainsi que les malades étaientguéris en sa présence.

Alors, quand vous priez, vous n’intervenez pas entant que cette image pour laquelle vous vous êtes prisdepuis si longtemps ; vous n’êtes simplement pas là.Quand vous priez ainsi, vous ne manquez plus de res-pect envers Dieu en estimant qu’il puisse y avoir autrechose que Lui.

Nous pourrions peut-être terminer par la prière deMaître Eckhart : « Et maintenant, que Dieu nous aideà gagner cette lumière éternelle ! »

� Jean Bouchart d’Orvaldonne des conférences et des séminaires. Il est l’auteur de Patanjali, La maturité de la joie (Relié, 1998) ; Héraclite, la lumière de l’Obscur (Relié, 1997) ; Les entretiens de l’Eveil (Roseau, Montréal,1996) ; La diligence divine (Mortagne,Montréal, 1995) ; Le Secret le mieux gardé(Libre Expression, Montréal, 1993) ; et, Vers une nouvelle forme d’intelligence(Louise Courteau, Montréal, 1989).Il a publié également plusieurs articles dans la revue 3e millénaire.

Page 86: 3ième Millenaire n°67

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Courrier

« Ayant par hasard découvert et acheté votrenuméro 65, j’ai compris qu’enfin je n’étais passeul à méditer dans cette direction. Cela peut sur-prendre mais je suis bien placé pour connaître laparesse spirituelle de l’homme. Aussi j’ai décidéde m’abonner pour un an à votre revue. J’écrisdepuis toujours ma quête spirituelle… »

L’homme est conscience

L’homme est une conscience mais uneconscience communément engluée dans le moi dupassé, dans le moi des compromis avec une édu-cation de préjugés, de fausses croyances, de ran-cunes. C’est le moi des petites pointures ou desparvenus par la fourberie, par la lâcheté ou laparesse du cœur ; le moi qui a tant à cacher d’er-reurs personnelles et parentales. Ce pronom per-sonnel moi symbolise l’esprit moulé, conditionnépar le collectif familial, culturel, ancestral. C’estl’esprit étriqué de l’hypocrisie régnant sur l’enten-te sociale redue possible tant que s’interdit le par-ler vrai. C’est le moi particulier précédant la matu-ration d’un Je qui s’individualise, se singularise.

Enfant la conscience n’arrive pas à être à l’au-thentique mesure de l’exigence de la Vie. Le Jesuis désire déployer ses ailes de liberté et expri-mer son bonheur mais malaises, maladies,troubles du comportement témoignent en cestemps d’innocence encore normale de l’emprisedu moi et de sa prison asphyxiante. Ils sont autantde prières pour qu’adviennent la vérité de sapropre histoire, de son vécu réel. Mais chacun ases raisons faussement bonnes pour ne rien vou-loir changer du mensonge originel. Alors le sub-jectif imaginaire verrouille d’un cran supplémen-taire après chaque espoir déçu. Le jeune adultedoit définitivement apprendre à composer avecune conscience tordue faussement libérée sousmille apparences d’être, ou apprendre seul à libé-rer sa conscience. Celle-ci ne se peut véritableque dans le renoncement aux illusions du moi, enle regardant en face, douloureusement. Enterrévivant celui-ci se désenfouit pour révéler Ce quidoit être ; et alors seulement il peut enfin mourirde sa belle mort, aimé et non plus haï.

La Conscience ainsi libérée, le Je suis estobjectif. Le je suis subjectif ancien d’uneconscience tordue ne concrétisait que désespoir etdéceptions ; le Je suis objectif ouvre à toutmiracle avec en prime et enfin l’Amour de la Vie.Or ce travail de l’âme, cette alchimie intérieure

est universelle. Elle n’est après tout qu’un aspectde l’évolution. De refuser l’élagage du moi etdonc l’assainissement de sa Conscience , c’estrefuser l’évolution et donc le Sens. Notre premiè-re conscience nous est « donnée » mais elle nenous appartient pas. Preuve en est l’incroyablesomme de conflits avec nous-mêmes à cause denos consciences rigides, limitées, coincées, étran-gères et avec les autres par ce même regard, cettemême loupe déformante du préjugé, du doute, dela haine, de la jalousie, de la peur, du mépris, dela culpabilité. Aucun amour vrai n’est en réservepour détruire cette conscience humaine malsaineet destructrice qui nous fut léguée. Alors c’est àchacun que revient la responsabilité de la tamiserpour réviser à la hausse sa vision…

Et c’est alors que naît l’homme. Lequel n’estplus libre, il est Liberté ; lequel n’est plus amou-reux, il est Amour ; lequel n’est plus pacifique nihomme de bien, il est la Paix, la Justesse, laVoie… Cela n’est pas une utopie, mais seulementun Idéal certes encore lointain. Alors ne craignonspas déjà d’être lucide si nous voulons devenirSpirituel.

Jean-Pierre Tual, Fougères

Ayant eu la primeur de vos revues “3e millé-naire”, je suis un de vos fidèles lecteurs ayant eul’occasion d’apprécier la “qualité” spirituelle decertains articles à travers la déjà longue liste desparutions. Cependant très honnêtement je doisreconnaître les faiblesses de certains ouvragesdont il faut reconnaître l’évidence d’une com-plexité métaphysique nous laissant de par leurabsence de clarté doublée des échafaudages intel-lectuels, dans l’inconfort et mal à l’aise psycholo-gique allant à l’encontre d’une quête spirituelleauthentique.

Grâce à votre vigilance qui doit être soutenueet sans faille, ne pourriez-vous pas veiller augrain ? en faisant un tri sélectif permettant de gar-der à la revue son caractère particulier d’authenti-cité qui seul est à la mesure des exigences qu’im-plique une recherche intérieure authentique.

Un ami spirituelRoger S., Manosque

COURRIER - 87

Page 88: 3ième Millenaire n°67

L ’auteur compare la vie ordinaire àune course éperdue vers un but

inexistant jusqu’à ce que, soudain, lesyeux se dessillent et qu’apparaisse l’ab-surdité de cette impulsion mimétique àcourir. Alors commence la quête spiri-tuelle, qui, accaparée par l’ego, setransforme instantanément en une nou-velle course (rencontres, conférences,séminaires : nous connaissons cela,n’est-ce pas ?) vers un but imaginaire :l’éveil. Mais celui-ci est en dehors detout processus, radicalement neuf. Or,tant que le chercheur-coureur n’est pasà bout de course, au bout de son illu-sion sur lui-même, au bout de sa vani-té, il « ne demande pas à être libre ».« Si tous les chercheurs demandaient

Rubr

ique

Livr

esA bout de courseThierry (2003 – Ed. La Parole Vivante – 230 p. – 18,30 €)

réellement à être libérés, ils seraienttous libres aujourd’hui ». Mais, bienentendu, « la machine physiologique,mentale et émotionnelle obéit au doigtet à l’œil » du chercheur et, quand ilsent son terme venir, la fin du jeu danslequel il se complaît, il met « en bran-le ses artifices : rideaux de fumée,confusion mentale, peurs et fuites ». Ceprocessus s’épuise et vient le temps oùle chercheur réalise enfin qu’il n’estqu’attente, intention, stratégie, vanité,résistance et peur. Cette réalisation estdéjà libération et constitue le commen-cement de la voie spirituelle.

*Consulter notre site internet :www.revue3emillenaire.com

Les voies de la sérénité les grandes religions et l’harmonie intérieureDominique Lormier (2002 – Philippe Lebaud – 200 p. – 19 €)

C omment atteindre à la sérénité dansune époque plongée dans la fièvre

de l’inutile et la perte de sens ?Dominique Lormier, historien et spécia-liste du rapport entre les religions, nousprésente les grandes voies spirituellesd’Orient et d’Occident, celles de l’hin-douisme, du bouddhisme, du taoïsme,du christianisme, de la Kabbale et dusoufisme. Car elles sont toujours vivanteset peuvent offrir un véritable cadre deconnaissance de soi.Ces grandes voies convergent en une VoieUniverselle sur l’impératif de la dissolu-tion de l’ego, celui-ci entravant la partici-pation à une autre dimension : celle denotre origine céleste chère à K. G.Dürckheim. « L’inflation de l’ego avec ses

préjugés et son aveuglement est ce que lechristianisme nomme le péché originel etle Bouddhisme l’ignorance. L’Hommecroit être le centre du monde… Cettecroyance aveugle, nouée par l’orgueil etl’égoïsme, nourrit l’indéfinie variété dessouffrances… A l’inverse, les personnesréalisées donnent une impression de trans-parence… Cet effacement, celui de lamort du moi, est identique à ce que l’onappelle mort du “vieil homme” dans lelangage de la mystique chrétienne. »Cet appel fait écho à la Revue 3e millé-naire qui ne cesse d’inviter le lecteur àconstater et constater encore dans sa viequotidienne les manifestations de l’ego,dans une optique de libération de notreesclavage aux émotions négatives.

Vijnana Bhairava la divine conscienceDr. Jean-Marc Mantel (2002 – Ed. Recto Verseau – 122 pages – 18 €)

L e Dr. Jean-Marc Mantel commente cetexte fondateur du Sivaïsme du

Cachemire à la lumière de la non-duali-té, poitant toujours vers « l’arrière-plansilencieux » où toute pensée, toute émo-tion et toute sensation se dissolvent enleur source, plénitude d’Etre. Et toutetechnique de concentration, toute pra-

tique, supports transitoires, ménent à laméditation sans support par laquelle « onobtient la félicité de la conscience ». LeDr. Mantel nous propose ainsi uneréflexion méditative sur l’identification àl’ego, la nature de la perception et dumoi et la libération de la confusion inté-rieure.

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Scientifiques reconnus, Louis-MarieVincent et Gilles Nibart ne tombent pas

dans le « dogmatisme de la pensée unique »darwinienne considérant que l’être vivant estapparu uniquement par le hasard de muta-tions au niveau moléculaire et par la sélec-tion naturelle. (Sur ce sujet, voir le n°66 dela Revue 3e millénaire, consacré au thèmede l’évolution.) A contre-courant de cetteopinion, ils ont remarqué que la vie, véri-table cinquième état de la matière, peut êtredéfinie par des propriétés invariantes com-munes à tous les niveaux d’organisation.Leur deuxième constat est que « tout êtrevivant peut être considéré comme une formespécifique traversée par un courant dematière. » Seule la forme peut définir l’indi-vidu, les molécules formant ses cellules, sesgènes, sont remplacées constamment au

L’identité du vivant ou une autre logique du vivantLouis-Marie Vincent et Gilles Nibart (2002 – L’Harmattan – 350 p. – 28 €)

cours de la vie. L’un des grands mystères dela biologie aujourd’hui reste l’élaboration decette forme à partir de cellules toutes iden-tiques se spécialisant au cours de la croissan-ce de l’organisme. C’est dans ce domaineque les auteurs apportent des éléments origi-naux avec la notion de bio-champ, alternati-ve de celle de champ morphogénétique. Levivant créerait son propre espace dans un« plan fondamental » se déployant conjoin-tement au développement de l’organisme, etqui ne serait pas nécessairement dans notreespace-temps. L’information nécessaire à sonorganisation sur le plan physique provien-drait ainsi de ce « domaine platonicien del’Idée » – le « plan fondamental ». Lesauteurs ont le grand mérite de tenter de pen-ser par eux-mêmes le vivant « en appliquantà la biologie les méthodes de la physique ».

RUBRIQUE LIVRES - 89

L es biologistes ont découvert avec l’ADNle programme ou langage génétique.

Mais s’il existe un programme, qui est leProgrammeur ? Conscients de ce qu’im-plique la notion de langage, les biologistes,en grande majorité matérialistes, ont tentéde minimiser son impact en parlant plutôtd’une analogie. Grégory Bénichou n’ajamais été convaincu par ce revirement, et ilnous présente un livre de conviction : « lanotion d’information génétique offre unenouvelle relation entre la matière et le sens,entre le corps et l’esprit. En reconnaissantune dimension sémantique au génome, cetessai entend sceller une réconciliation entrele matérialisme et le spiritualisme. »Et ce n’est pas par idéologie qu’il voit unedimension sémantique au génome. Cetteaffirmation vient des plus grands linguisteseux-mêmes, tel Roman Jakobson. « L’idéede langage génétique ne serait pas unemétaphore, mais, de surcroît, l’ADN repré-senterait le premier de tous les langages, lamatrice originelle de toutes les formes decodes verbaux… On découvre dans le codegénétique la trace d’un message primordialantérieur à toute conscience humaine. »Grégory Bénichou nous offre, dans cet essai,une remarquable « critique du hasard enbiologie » et des biologistes « en soutaneblanche », à contre-courant des idéesdominées aujourd’hui par les notions de

Le chiffre de la vieGrégory Bénichou (2002 – Seuil – 320 p. – 21 €)

« hasard et de nécessité », et de sélectionnaturelle. Car, comme il le précise, « laméthode scientifique ne propose pas unethéorie, à proprement parler, mais une thèseengagée. Il ne s’agit plus de connaissancepure, mais de la promotion d’une doctrine :l’athéisme. A partir de là, comment s’éton-ner du besoin métaphysique de recourir au“hasard créateur” pour remplacer l’idée deDieu ? » En mettant le hasard au centre dela pensée scientifique, il n’est pas étonnantque les apprentis-sorciers des manipulationsgénétiques ne se posent plus de limites dansleurs recherches sur le clonage et autrescréations de chimères.Il est très intéressant de voir s’élever la voixd’un jeune auteur guidé par une véritableréflexion philosophique. Sa thèse de Doctoraten pharmacie a ainsi porté sur la notion de« quotient génétique » (par analogie avec lequotient intellectuel). Les médecins, pousséspar les futurs parents eux-mêmes influencéspar une société dont les “valeurs” sont ali-mentées par le monde de la perfection publi-citaire, proposeront-ils un test de QG préna-tal ? Professeur d’éthique, Grégory B. s’in-quiète du devenir des droits de l’Homme faceà ce nouvel eugénisme en préparation. Mais ils’inquiète avant tout du devenir d’uneHumanité dont les gènes sont soumis à la loidu marché et souvent aux pulsions égocen-triques de chercheurs à l’éthique dévoyée.

Page 90: 3ième Millenaire n°67

I l existe peu d’ouvrage de vulgarisationsur la médecine traditionnelle ayurvé-dique. Ecrit par un praticien occidental, celivre est donc le bienvenu même si l’ap-proche présentée ici est surtout celle duYoga. Les médecines traditionnelles repo-

sent, en effet, sur un art de vivre dont l’ob-jectif est l’équilibre intérieur préalable àtout développement spirituel. Dans cetteperspective, l’auteur propose une voied’unification de ces deux « sciencessœurs » que sont le Yoga et l’Ayurveda.

Yoga et Ayurveda Autoguérison et Réalisation de SoiDr David Frawley (2002 – diffus. InnerQuest

B.P. 29, 2, rue de Trétaigne

Créer la conscienceAlbert Low (2002 – Ed. du Relié – 460 p.)

L a conscience est, de tous les phéno-mènes, le plus insaisissable et le plus

incontournable, et une question paraissantinsoluble dans un contexte de dialogueinexistant entre science et spiritualité, restesans doute celle de la relation entre « l’es-prit et la matière ». Jusqu’à présent, la plu-part des scientifiques semblent avoir esca-moté le problème en se contentant deposer la conscience et la pensée commepropriétés émergentes de la complexité dela matière. L’autre alternative semble rési-der dans un dualisme inacceptable où l’es-prit et la matière, envisagés comme deux« substances » différentes, doivent forcé-ment suivre des trajectoires parallèles.Dans cet ouvrage très mûri, fondant sonpropos sur son expérience de l’enseigne-ment du zen, Albert Low nous propose deréfléchir à une troisième voie intégrantscience et spiritualité, comme deuxaspects d’un même ensemble tissé d’uneseule pièce.

En effet, aujourd’hui où jamais la scissionentre science et spiritualité n’a sembléaussi grande, où chacune dans sa mécon-naissance et ses a-priori renie l’autre, ilsemble urgent de repenser notre rapport àces deux domaines de la Connaissance. Lascience assèche le chercheur en l’absenced’une démarche de connaissance de soi,laquelle seule peut apporter du cœur à unerecherche scientifique dont la froideur estcultivée comme soi-disant garant de l’ob-jectivité. La spiritualité elle-même se doitd’être explorée avec un esprit averti de sapropre subjectivité, avec scientifiquerigueur, afin que la quête de l’Essentiel nese perde pas dans un imaginaire illusoiremais confortable à l’ego. Ces deux types derecherche, l’une orientée vers le phénomé-nal et l’autre vers le nouménal peuvent etdoivent se rencontrer car l’une et l’autreparticipent de l’équilibre général ; le fosséentre les deux ne fait que refléter notrevision dualiste du monde.

Comprendre le TaoIsbelle Robinet (2002 – Albin Michel – 300 p.)

L e taoïsme est la seule grande Traditiond’origine chinoise. Il fait partie des

trois enseignements de la Chine, avec leconfucianisme et le bouddhisme. […] Ils’est formé peu à peu en une lente gesta-tion qui fut une intégration progressive dedifférents courants puisés au fonds anciende la Chine. Puis il s’est élaboré au coursdes siècles sans jamais se détacher de sonpassé complexe, mais en intégrant etdéveloppant jusqu’à nos jours encore deséléments nouveaux. »Isabelle Robinet introduit bellement, à lafois sur le plan historique et dans sesdimensions mystiques, métaphysiques et

cosmologiques, cette philosophie cou-vrant 25 siècles mais restée marginale pourune grande part de la société chinoise.Le Tao, « voie, méthode », insiste sur lanégation de la négation, le renoncementau renoncement : « Qui constammentdésire le vide ne peut l’être ; celui qui necherche pas le vide l’est spontanément. »(Huainan zi)On peut percevoir dans cette véritablealchimie intérieure une incitation à la dis-solution de l’ego : « Oublie les choses,oublie le Ciel et sois nommé l’oublieuxde soi-même. L’homme qui s’oublie lui-même pénètre dans le Ciel. » (Zhuang zi)

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RUBRIQUE LIVRES - 91

C et ouvrage constitue une réflexion origi-nale d’un auteur qui a pensé en lui-

même et par lui-même. Son constat initial, àla base de sa recherche, est aujourd’hui par-tagé par tous : la science est « devenue unenouvelle religion mais n’a pas endossé sonengagement d’orientation éthique… son butinexprimé est le gain de puissance ». Unnouvel équilibre, indispensable en ce mondede mutation douloureuse, ne peut émergerque dans le cadre d’une « superphilosophie »

réconciliant science et spiritualité, d’une« loi éternelle qui domine toutes les autres »: la loi des nombres. Revenant à leur sym-bolique, il aborde les nombres au travers destrois dimensions : les nombres eux-mêmes,les surfaces et les solides en s’intéressant àleur qualité. Il montre comment la sciencedes nombres peut éclairer tous les domainesde la connaissance, depuis les écrits reli-gieux ou ésotériques jusqu’à l’astronomie enpassant par la géométrie ou la chimie.

Une formule universelle de l’ImmortalitéMichael Stelzner (2002 – Ed. Nouvelle Terre – 392 p. – 22 €)

U ne œuvre fulgurante… une synthèsed’une force et d’une vigueur excep-

tionnelles » écrit, dans sa préface, Jean-Marie Pelt. Et il est vrai que nous sommesentraînés dans la ronde de l’Univers et de laVie par une écriture simple et vivante. Cetouvrage, reliant avec allégresse la biologieà l’astrophysique, les fleurs aux étoiles, est

un plaidoyer pour une nouvelle approchedu monde, approche vivante et vivifianteoù l’émerveillement face au miracle de lanature sert de guide. « Cet ouvrage, nousdit l’auteur, s’adresse à tous les explorateursde savoirs qu’un certain discours, acadé-mique et prudent, laisse insatisfait »

Fragments célestes La ronde de l’UniversHenri-Marc Becquart (2002 – Ed. Sang de la Terre – 158 p. – 16 €)

L es druides furent les éléments essentielsd’une civilisation celtique hautement

développée et répartie en trois castes non-héréditaires : prêtres, guerriers et produc-teurs. Leur foi n’a disparu que sous les« persécutions et les calomnies » des empe-reurs romains. Yann Brekilien nous présenteleurs conceptions métaphysiques et l’histoi-re de leur disparition. Il a constaté unerésurgence dans notre civilisation, à la déri-

ve dans le domaine spirituel, de l’intérêtsuscité dans notre inconscient collectif parla civilisation celtique. Liberté de penser,tolérance, égalité de l’homme et de lafemme, croyance en la transmigration desâmes, telles sont les idées essentielles de ceque nous savons de leur enseignement. Encomparaison, les enseignements de lacurie romaine ne sont que de « gentillesplaisanteries. »

Les secrets des druidesYann Brekilien (2002 – Ed. du Rocher – 200 p. – 19 €)

Orphée crucifiéYves Moatty (2003 – Ed. Les Deux Océans – 18,50 €)

O rphée, nom qui hante la mémoiresans que l’homme moderne ne puisse

situer exactement sa résonance en lui.Orphée musicien, inventeur de la Lyre,Orphée poète, Orphée danseur … Orphéeet Euridyce ! Son empreinte, faite d’interro-gation sur son mystère et le mystère de lacréation et de l’amour, fut présente au tra-vers du passage des siècles dans tous lesdomaines artistiques, et l’Orphisme conser-va lontemps une « influence indirecte et

souterraine à travers l’hermétisme et le néo-platinisme ». Nourri de poésie d’Orient etd’Occident, cet ouvrage montre un Orphéeabreuvé à la source de l’Etre, dont la des-cente aux Enfers pour chercher Euridyceappartient aux thèmes majeurs de l’huma-nité : descendre dans sa nuit pour y trouverla lumière, et ainsi retrouver l’Unité. Lamort du « vieil homme » (cf 3e millénairen°27) est renaissance, résurection…

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92 - RUBRIQUE LIVRES

P ema Chödrön, nonne bouddhiste améri-caine, fut l’une des disciples de

Chögyam Trungpa. Ses précédents ouvragesétudiaient les problèmes que nous posel’existence et notre relation à ces problèmes.Dans celui-ci, elle cherche à donner desoutils pour que les difficultés puissent êtreabordées avec un œil neuf, afin de voir ce

qui refuse la souffrance, la nôtre commecelle des autres. Elle insiste en particulier surle rôle de la peur dans la construction desstratégies de défense et de fuite face à ce quenous refusons. La découverte de ces méca-nismes, nous dit Pema Chödrön, nous feraprendre conscience de notre force et denotre cœur.

L ’auteur, occidentale formée dans unmonastère zen, expose l’enseigne-

ment du bouddhisme et détaille les ensei-gnements du zen à travers son expériencede vie dans le monastère, puis invite à lamise en pratique. Elle met en exergue lesobstacles à la pratique, dont notre refus

des émotions et nos stratégies d’évite-ment. La pratique peut ainsi être d’une «difficulté extrême » car elle « arrivecomme un choc et est à l’opposé de ceque nous attendions », mais c’est le seulchemin vers la libération de l’illusion…

N ée à Boston et d’origine Irlandaise,Maura O’Halloran est devenue

nonne dans un monastère Zen du Japonavant de décéder accidentellement à l’âgede 27 ans. Son journal et sa correspon-dance nous offrent un aperçu de son“voyage intérieur”, ses questionnements,

doutes et réponses. Nous suivons sonapprentissage et sa formation sous ladirection d’un maître japonais contempo-rain. Cœur pur retrace ainsi la formationet la vie quotidienne d’un Occidentaldans un temple japonais de l’école ZenSoto.

D ans la collection « inédit sagesse »,les éditions du seuil publient deux

textes majeurs du bouddhisme. Le premierest issu du bouddhisme dit primitif quiporte le nom de Hinayana, leDhammapada, et regroupe des paroles duBouddha sous la forme de quatre cent vingt

trois versets. Le second est une œuvre syn-thétique du Mahayana, le Grand Véhicule,dans laquelle Nagarjuna aborde la pratiquepar des citations de soutras.Ces ouvrages ont le mérite de ne présen-ter que les traductions de ces textesmajeurs sans vains commentaires.

Patrick Mandala confronte les textes del’Antiquité grecque et des sages de l’Inde. Les

correspondances entre ces deux philosophiessont nombreuses. Quoi d’étonnant, du reste,

Aux sources de la Sagesse Paroles des sages de la Grèce antique et de l’IndePatrick Mandala (2003 – Accarias/L’Originel – 350 p. – 23 €)

puisque guidées par la quête de l’Essentiel ?L’auteur, par ses citations et la mise en regard decelles-ci, met en évidence l’unité en Essence detoute démarche de connaissance de soi.

Les bastions de la peur Pratique du courage dans les moments difficilePema Chödron (2002 – La Table Ronde – 190 p. – 16 €)

La voie zen de la vie au monastère à la vie quotidienneMyokyo-ni (2002 - Ed. Accarias-L’originel)

Cœur pur Journal Zen et lettres de Maura “Soshin”Maura O’Halloran (2002 – Actes Sud – 250 p.)

Dhammapada, La Voie du Bouddha (2003 – Ed. Seuil – 182)

Le livre de la chance Nagarjuna (2003 – Ed. Seuil – 167)

Page 93: 3ième Millenaire n°67

Nous signalons également les parutions des livres suivants :

ED. ACCARIAS-L’ORIGINEL : Toriki Sutra, Pen Huang Tseu. ED. ACTES SUD : Martin Buber, La foi des prophètes.ED. ALBIN MICHEL : Revue Question de ?, Peut-on apprendre à être heureux ? ; Les fables d’Esope, présentation ettraduction de Jacques Lacarrière ; JEAN-YVES LELOUP, Une femme innombrable (roman) ; Dans les carnets du calli-graphe : Le chant du bienheureux, La Bhagavad Gîta et Tous les désirs de l’âme, poèmes d’Arménie.ED. ALTESS : Roger Lartigue, L’urgence d’éternité ; Agnès Avril, Elevation, en chemin vers l’amour.ED. DE LA LUMIÈRE : Hélène Barrère, La chance de vieillir. ED. LE COURRIER DU LIVRE : Idries Shah, Contes soufis.ED. LE RELIÉ : Anne Ducrocq, Le courage de changer sa vie ; Gilles Mathiot, Arts de l’encens.ED. VÉGA : Poème mystique d’ibn Al Fâridh, L’éloge du vin.

Antibiotiques naturels Vaincre les infections par les médecines naturellesDr Jean-Pierre Willem (2003 – Ed. Sully – 317 p. – 22 €)

L ’utilisation sans retenue des antibiotiques aengendré l’apparition de souches résistantes

dont les avant-gardes se trouvent au sein mêmedes hôpitaux. La directrice de l’OMS lance ainsiun cri d’alarme : les médecins risquent de seretrouver à nouveau « impuissants devant lesmaladies infectieuses. Certains spécialistes épi-démiologistes n’hésitent pas à affirmer que lesantibiotiques seront devenus inutilisables dans20 ans. » L’auteur est un avocat convaincu des

médecines dites alternatives : phytothérapie,aromathérapie, homéopathie, oligothérapie,naturaopathie. Renforcer le terrain immunitairepuis traiter les éventuelles infections avec dessubstances naturelles, comme les plantes ou leshuiles essentielles aux pouvoirs antiseptique etinfectieux reconnus, telle est la proposition deDr. Willem. Cet ouvrage décrit de façondétaillée les remèdes naturels aux pathologiesinfectieuses les plus fréquentes.

Les musulmans d’Occident et l’avenir de l’IslamTariq Ramadan (2003 – Ed. Actes Sud – 384 p. – 25 €)

C et ouvrage soulève la question de l’inté-gration des communautés musulmanes en

occident. L’auteur note aujourd’hui que, loindes médias, prend forme une « personnalitémusulmane » issue de l’engagement de « plusen plus de jeunes et d’intellectuels qui cher-chent les moyens de vivre en harmonie leur foitout en étant partie prenante des sociétés quisont les leurs désormais ». Il cherche à définirun cadre, assimilable à l’occident, ouvrant aux

musulmans un chemin vers l’autonomie intel-lectuelle et politique tant à l’égard du paysd’accueil avec lequel pourrait se nouer un rap-port adulte (et non basé sur la victimisation)qu’à l’égard des pays d’origine. Une relecturedes sources religieuses et juridiques en est labase. En effet, l’Occident manque cruellementd’écoles de pensée islamiques qui puissent par-ticiper à l’émergence d’un islam vivant en har-monie avec le mode vie occidental.

Epictète et la sagesse stoïcienneJean-Noël Duhot (2002 – Ed. Albin Michel – 264 p.)

P endant des siècles, avant le christianisme,le stoïcisme fut un courant philosophique

majeur et d’une influence considérable. Loinde l’opinion dégradée et stéréotypée de l’ima-ginaire populaire, le « stoïcisme n’est pasune philosophie de consolation pour uneépoque décadente, mais la pensée majeured’un hellénisme triomphant » dont peu denoms restent : Epictète et Marc-Aurèle. Aprèsune introduction pour introduire le cadre his-torique et la pensée de cette philosophie,l’auteur accorde une large place à des tra-ductions nouvelles plaçant le lecteur directe-

ment face à un mode de pensée stoïcien,immergé à la fois dans la recherche deconnaissance sur le monde sensible, et dansune orientation spirituelle. « Maintenantaucun mal ne peut m’arriver. Il n’y a pour moini voleur ni tremblement de terre, tout estrempli de calme et de sérénité : tout chemin,toute ville, tout compagnon de voyage, voi-sin, associé, rien ne peut me faire du mal. UnAutre prend soin de me fournir ma nourriture,mes sensations et mes pensées » L’ascèsestoïcienne conduit vers la vie bienheureuseau milieu de ce monde présent.

RUBRIQUE LIVRES - 93

Page 94: 3ième Millenaire n°67

Dépôt légal :1er trimestre 2003

Tous droits de reproduction, même partielle, des articles et photographies, d’adaptation et de traduction, strictement réservés pour tous pays. Copyright 2003.

La direction n’assume pas la responsabilitédes opinions émises sous leur signature par les auteurs. Le lecteur est invité à discriminer lui-même la valeur et la justesse des textes qui lui sont proposés.

David PEATÉCRIVAIN, PHYSICIEN.

Michaël FRiEDJUNgASTROPHYSICIEN AU C.N.R.S.

Louis-Marie ViNCENTPHYSICIEN ET BIOLOGISTE.

Jean-Pierre gARELBIOLOGISTE.

Bernard HEUVELMANS

ECRIVAIN, DOCTEUR ÈS SCIENCES, ZOOLOGISTE, PRÉSIDENT DE L’INTERNALSOCIETY OF CRYPTO- ZOOLOGY (USA).

Dr. Paul CHAUCHARDÉCRIVAIN, DIRECTEUR HONORAIREDE L’ECOLE PRATIQUE DES HTES ETUDES.

Dr. Jacques DONNARSPSYCHO-SOMATICIEN.

Pierre WEiLPRÉSIDENT DE LA FONDATIONCITÉ DE LA PAIX (UNIVERSITÉ HOLISTIQUEINTERNALE DE BRASILIA.)

Jeanne gUESNEPRÉSIDENTE DE L’ASSOCIATION« LES VOIES DE LA CONNAISSANCE »

georges BRUNONARTISTE PEINTRE, ÉCRIVAIN.

Fritjof CAPRAECRIVAIN ET PHYSICIEN (USA).

David BOHM �ÉCRIVAIN ET PHYSICIEN.

Jacques BENVENiSTEDIRECTEUR DE RECHERCHEÀ L’INSERM.

Le XiVe DALAï LAMAPRIX NOBEL DE LA PAIX.

Jacques DUPUiSGÉOGRAPHE, PRÉSIDENT DE L’ACADÉMIEDES SCIENCES D’OUTRE-MER.

Sir John C. ECCLES �PRIX NOBEL DE MÉDECINE.

Bernard D’ESPAgNATÉCRIVAIN ET PHYSICIEN.

Parmi les personnalitésqui nous ont fait l’honneur

de collaborer à la Revue :

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Abdus SALAM �PRIX NOBEL DE PHYSIQUE.

Roger W. SPERRY �PRIX NOBEL DE MÉDECINE.

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Francisco VARELA �BIOLOGISTE, NEUROBIOLOGISTEET EPISTÉMOLOGUE.

Georges WALDPRIX NOBEL DE MÉDECINE

Robert LiNSSENÉCRIVAIN.

Placide gABOURYDOCTEUR EN PHILOSOPHIE, ÉCRIVAIN, PEINTRE, MUSICIEN. (QUÉBEC CANADA)

Marie-Madeleine DAVY �ÉCRIVAIN, MAÎTRE DE RECHERCHE AU C.N.R.S.

Paul du BREUiL �DOCTEUR EN PHILOSOPHIEET EN HISTOIRE DES RELIGIONS, PROFESSEUR D’ANTHROPOLOGIE.

ASSOCIATION CULTURELLE HUMANISTE :

“L’HOMME DU 3e MILLÉNAIRE ”L’Association, sans but lucratif, loi 1901 (créée le 29.01.86, J.O.

du 05.03.86), totalement indépendante de toute influence extérieure : religieuse, sectaire, politique ou philosophique, est composée

exclusivement de bénévoles humanistes, qui collaborent à son œuvre en sus de leur activité professionnelle.

Président-Directeur Général des Branches :Charles Abot

Le Président a délégation pour laisser se constituer des Branchesdans le sein de l’Association “L’Homme du 3e millénaire”,

afin de diversifier et amplifier les actions humanistes universelles de l’Association.

Pour une information complémentaire, se reporter à la Page d’Accueil du site internet de la Revue

(voir l’adresse ci-après *).Chaque Branche se distingue par une activité spécifique

en conformité avec la réalisation du But essentiel de l’Association, et par une gestion autonome ; telle la Branche ci-dessous mise en évidence.

BRANCHE :

Revue Humaniste 3emillénaire

SCIENCE - ART - PHILOSOPHIE

DE L’HOMME EN DEVENIR

* site internet : www.revue3emillenaire.com

Direction et rédaction de la Revue :

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Correspondant sur le Canada : Samir Coussa1605 RUE VIEL - MONTRÉAL, QC, H3M 1G7

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Imprimé par : Nouvelle Imprimerie

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Commission paritaire : N° 64 - 375

ISSN 0294 - 3336

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FRANCE : 30 € (souhaité : 38 € et plus)Abonnement - soutien : 46€ (ou plus) ....................

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CANADA : par avion 52 $CA — par voie de surface 38 $CACanada : S. Coussa 1605, rue VIEL - MONTREAL Qu. H3M 1G7

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n° ....................................................................................................

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Devant l’afflux du courrier, l’équipe composée de bénévoles ne peut répondre qu’auxdemandes accompagnées d’une ENVELOPPE LIBELLÉE ET TIMBRÉE.

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Page 96: 3ième Millenaire n°67

Connaissance de soi

et Conscience

ous avons tous besoin de nous connaître nous-même, quelles que soient nos relations sociales, amicales,

amoureuses ou conflictuelles. Nous comprenons bien, en effet, que se connaître soi-même, c’est aussi connaître l’autre, le comprendre et l’accepter d’une manière beaucoup plus authentique que tous “nos” compromis ordinaires. De plus, nous pressentons souvent la connaissance de soi

comme l’étape indispensable à l’épanouissement de nos aspirations philosophiques et spirituelles.

Si les psychologies et psychothérapies du XXe siècle ont montré l’importance de la guérison par le cheminement intérieur, il semble qu’au seuil de la voie spirituelle, elles atteignent leurs limites, méconnaissant l’ego et ses “derniers” sursauts liés — on l’ignore encore ! — aux ressorts de l’introspection…

La guérison ultime, le Bonheur véritable, ombres “mythiques” pour les uns, lumières lointaines pour les autres, auraient-ils perdus leurs pouvoirs cathartiques ?

C’est le Bien sacré qu’il nous faut retrouver, dans la conjonction profonde entre connaissance de soi

et Conscience. “Eveil” à soi, la connaissance de soi ne serait alors qu’une étape, un prélude nécessaire, mais non suffisant, à l’Eveil du Soi.

Rendez-vous sur le site internet

de la Revue 3e millénaire

www.revue3emillenaire.com

Prochain numéro n°68

QUELQUES THÈMES AU DOSSIER :

• Psychologie profane et psychologie sacrée• L’introspection : limites et liberté intérieure• Connaissance de soi, Conscience et guérison• Epistémologie et connaissance de soi

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