187360460 Lettres Intimes

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The Project Gutenberg EBook of Lettres intimes, by Hector BerliozThis eBook is f or the use of anyone anywhere at no cost and withalmost no restrictions whatsoev er. You may copy it, give it away orre-use it under the terms of the Project Gu tenberg License includedwith this eBook or online at www.gutenberg.orgTitle: Let tres intimesAuthor: Hector BerliozRelease Date: November 27, 2011 [EBook #38150] Language: French*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LETTRES INTIMES ***Pro duced by Chuck Greif and the Online DistributedProofreading Team at http://www.p gdp.net (This file wasproduced from images available at the Bibliothque nationale de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr) LETTRES INTIMES CALMANN LVY, DITEUR OUVRAGES DE HECTOR BERLIOZ FORMAT GRAND IN-18 A travers chants 1 vol. Correspondance indite 1 vol. Les Grotesques de la musique 1 vol. Les Soires de l'orchestre 1 vol. Mmoires, comprenant ses voyages en Italie, en Allemagne, en Russie et en Angleterre, 1803-1865 2 vol. Coulommiers.Typ. Paul BRODARD.

HECTOR BERLIOZ LETTRES INTIMES AVEC UNE PRFACE PAR CHARLES GOUNOD

PARIS CALMANN LVY, DITEUR ANCIENNE MAISON MICHEL LVY FRRES 3, RUE AUBER, 3 1882 Droits de reproduction et de traduction rservs TABLE PREFACE Il y a, dans l'humanit, certains tres dous d'une sensibilit particulire, qui n'prouven t rien de la mme faon ni au mme degr que les autres, et pour qui l'exception devient la rgle. Chez eux, les particularits de nature expliquent celles de leur vie, laq uelle, son tour, explique celle de leur destine. Or ce sont les exceptions qui mne nt le monde; et cela doit tre, parce que ce sont elles qui payent de leurs luttes et de leurs souffrances la lumire et le mouvement de l'humanit. Quand ces coryphes de l'intelligence sont morts de la route qu'ils ont fraye, oh! alors vient le tr oupeau de Panurge, tout fier d'enfoncer des portes ouvertes; chaque mouton, glor ieux comme la mouche du coche, revendique bien haut l'honneur d'avoir fait triom pher la rvolution: J'ai tant fait que nos gens sont enfin dans la plaine! Berlioz fut, comme Beethoven, une des illustres victimes de ce douloureux privilg e: tre une exception; il paya chrement cette lourde responsabilit! Fatalement, les exceptions doivent souffrir, et, fatalement aussi, elles doivent faire souffrir. Comment voulez-vous que la foule (ce profanum vulgus que le pote Horace avait en excration) se reconnaisse et s'avoue incomptente devant cette petite audacieuse d e personnalit qui a bien le front de venir donner en face un dmenti aux habitudes invtres et la routine rgnante? Voltaire n'a-t-il pas dit (lui, l'esprit s'il en fut) que personne n'avait autant d'esprit que tout le monde? Et le suffrage universe l, cette grande conqute de notre temps, n'est-il pas le verdict sans appel du sou verain collectif? La voix du peuple n'est-elle pas la voix de Dieu?... En attendant, l'histoire, qui marche toujours et qui, de temps autre, fait justi ce d'un bon nombre de contrefaons de la vrit, l'histoire nous enseigne que partout, dans tous les ordres, la lumire va de l'individu la multitude, et non de la mult itude l'individu; du savant aux ignorants, et non des ignorants au savant; du so leil aux plantes, et non des plantes au soleil. Eh quoi! vous voulez que trente-si x millions d'aveugles reprsentent un tlescope et que trente-six millions de brebis fassent un berger? Comment! c'est donc la foule qui a form les Raphal et les Mich el-Ange, les Mozart et les Beethoven, les Newton et les Galile? La foule! mais el le passe sa vie juger et se djuger, condamner tour tour ses engouements et ses rpu gnances, et vous voudriez qu'elle ft un juge? Cette juridiction flottante et cont radictoire, vous voudriez qu'elle ft une magistrature infaillible? Allons, cela e st drisoire. La foule flagelle et crucifie, d'abord, sauf revenir sur ses arrts pa

r un repentir tardif, qui n'est mme pas, le plus souvent, celui de la gnration cont emporaine, mais de la suivante ou des suivantes, et c'est sur la tombe du gnie qu e pleuvent les couronnes d'immortelles refuses son front. Le juge dfinitif, qui es t la postrit, n'est qu'une superposition de minorits successives: les majorits sont des conservatoires de statu quo; je ne leur en veux pas; c'est vraisemblablement l eur fonction propre dans le mcanisme gnral des choses; elles retiennent le char, ma is enfin elles ne le font pas avancer; elles sont des freins,quand elles ne sont pas des ornires. Le succs contemporain n'est, bien souvent, qu'une question de mod e; il prouve que l'uvre est au niveau de son temps, mais nullement qu'elle doive lui survivre; il n'y a donc pas lieu de s'en montrer si fier. Berlioz tait un homme tout d'une pice, sans concessions ni transactions: il appart enait la race des Alceste; naturellement, il eut contre lui la race des Oronte;et Die u sait si les Oronte sont nombreux! On l'a trouv quinteux, grincheux, hargneux, q ue sais-je? Mais, ct de cette sensibilit excessive pousse jusqu' l'irritabilit, il e allu faire la part des choses irritantes, des preuves personnelles, des mille reb uts essuys par cette me fire et incapable de basses complaisances et de lches courbe ttes; toujours est-il que, si ses jugements ont sembl durs ceux qu'ils atteignaie nt, jamais du moins n'a-t-on pu les attribuer ce honteux mobile de la jalousie s i incompatible avec les hautes proportions de cette noble, gnreuse et loyale natur e. Les preuves que Berlioz eut traverser comme concurrent pour le grand prix de Rome furent l'image fidle et comme le prlude prophtique de celles qu'il devait rencontr er dans le reste de sa carrire. Il concourut jusqu' quatre fois et n'obtint le pri x qu' l'ge de vingt-sept ans, en 1830, force de persvrance et malgr les obstacles de toute sorte qu'il eut surmonter. L'anne mme o il remporta le prix avec sa cantate d e Sardanapale, il fit excuter une uvre qui montre o il en tait dj de son dveloppement rtistique, sous le rapport de la conception, du coloris et de l'exprience. Sa Sym phonie fantastique (pisode de la vie d'un artiste) fut un vritable vnement musical, de l'importance duquel le fanatisme des uns et la violente opposition des autres peuvent donner la mesure. Quelque discute cependant que puisse tre une semblable composition, elle rvle, dans le jeune homme qui la produisait, des facults d'invent ion absolument suprieures et un sentiment potique puissant qu'on retrouve dans tou tes ses uvres. Berlioz a jet dans la circulation musicale une foule considrable d'e ffets et de combinaisons d'orchestre inconnus jusqu' lui, et dont se sont empars mm e de trs illustres musiciens: il a rvolutionn le domaine de l'instrumentation et, s ous ce rapport du moins, on peut dire qu'il a fait cole. Et cependant, malgr des tri omphes clatants, en France comme l'tranger, Berlioz a t contest toute sa vie; en dpit d'excutions auxquelles sa direction personnelle de chef d'orchestre minent et son infatigable nergie ajoutaient tant de chances de russite et tant d'lments de clart, i l n'eut jamais qu'un public partiel et restreint; il lui manqua le public, ce tout le monde qui donne au succs le caractre de la popularit: Berlioz est mort des reta rds de la popularit. Les Troyens, cet ouvrage qu'il avait prvu devoir tre pour lui la source de tant de chagrins, les Troyens l'ont achev: on peut dire de lui, comm e de son hroque homonyme Hector, qu'il a pri sous les murs de Troie. Chez Berlioz, toutes les impressions, toutes les sensations vont l'extrme; il ne connat la joie et la tristesse qu' l'tat de dlire; comme il le dit lui-mme, il est un volcan. C'est que la sensibilit nous emporte aussi loin dans la douleur que dans l a joie: les Thabor et les Golgotha sont solidaires. Le bonheur n'est pas dans l' absence des souffrances, pas plus que le gnie ne consiste dans l'absence des dfaut s. Les grands gnies souffrent et doivent souffrir, mais ils ne sont pas plaindre; il s ont connu des ivresses ignores du reste des hommes, et, s'ils ont pleur de trist esse, ils ont vers des larmes de joie ineffable; cela seul est un ciel qu'on ne p aye jamais ce qu'il vaut. Berlioz a t l'une des plus profondes motions de ma jeunesse. Il avait quinze ans de plus que moi; il tait donc g de trente-quatre ans l'poque o moi, gamin de dix-neuf a ns, j'tudiais la composition au Conservatoire, sous les conseils d'Halvy. Je me so uviens de l'impression que produisirent alors sur moi la personne de Berlioz et ses uvres, dont il faisait souvent des rptitions dans la salle des concerts du Cons ervatoire. A peine mon matre Halvy avait-il corrig ma leon, vite je quittais la clas

se pour aller me blottir dans un coin de la salle de concert, et, l, je m'enivrai s de cette musique trange, passionne, convulsive, qui me dvoilait des horizons si n ouveaux et si colors. Un jour, entre autres, j'avais assist une rptition de la symph onie Romo et Juliette, alors indite et que Berlioz allait faire excuter, peu de jou rs aprs, pour la premire fois. Je fus tellement frapp par l'ampleur du grand finale de la Rconciliation des Montaigus et des Capulets, que je sortis en emportant tout entire dans ma mmoire la superbe phrase du frre Laurent: Jurez tous par l'auguste s ymbole! A quelques jours de l, j'allai voir Berlioz, et, me mettant au piano, je lui fis entendre ladite phrase entire. Il ouvrit de grands yeux, et, me regardant fixement: O diable avez-vous pris cela? dit-il. A l'une de vos rptitions, lui rpondis-je. Il n'en pouvait croire ses oreilles. L'uvre total de Berlioz est considrable. Dj, grce l'initiative de deux vaillants chef s d'orchestre (MM. Jules Pasdeloup et douard Colonne), le public d'aujourd'hui a pu connatre plusieurs des vastes conceptions de ce grand artiste: la Symphonie fa ntastique, la symphonie Romo et Juliette, la symphonie Harold, l'Enfance du Chris t, trois ou quatre grandes ouvertures, le Requiem, et surtout cette magnifique D amnation de Faust qui a excit depuis deux ans de vritables transports d'enthousias me dont aurait tressailli la cendre de Berlioz, si la cendre des morts pouvait t ressaillir. Que de choses pourtant restent encore explorer! Le Te Deum, par exem ple, d'une conception si grandiose, ne l'entendrons-nous pas? Et ce charmant opra , Beatrix et Bndict, ne se trouvera-t-il pas un directeur pour le mettre au rpertoi re? Ce serait une tentative qui, par ce temps de revirement de l'opinion en fave ur de Berlioz, aurait de grandes chances de russite, sans avoir le mrite et les da ngers de l'audace; il serait intelligent d'en profiter. Les lettres qu'on va lire ont un double attrait: elles sont toutes indites et tou tes crites sous l'empire de cette absolue sincrit qui est l'ternel besoin de l'amiti. On regrettera, sans doute, d'y rencontrer certains manques de dfrence envers des hommes que leur talent semblait devoir mettre l'abri de qualifications irrvrencieu ses et injustes; on trouvera, non sans raison, que Berlioz et mieux fait de ne pa s appeler Bellini un petit polisson, et que la dsignation d'illustre vieillard, appli que Cherubini dans une intention videmment malveillante, convenait mal au musicien hors ligne que Beethoven considrait comme le premier compositeur de son temps et auquel il faisait (lui Beethoven, le symphoniste gant) l'insigne honneur de lui soumettre humblement le manuscrit de sa Messe solennelle, uvre 123, en le priant d'y vouloir bien faire ses observations. Quoi qu'il en soit, et malgr les taches dont l'humeur acaritre est seule responsab le, ces lettres sont du plus vif intrt. Berlioz s'y montre pour ainsi dire nu; il se laisse aller tout ce qu'il prouve; il entre dans les dtails les plus confidenti els de son existence d'homme et d'artiste; en un mot, il ouvre son ami son me tou t entire, et cela dans des termes d'une effusion, d'une tendresse, d'une chaleur qui montrent combien ces deux amis taient dignes l'un de l'autre et faits pour se comprendre. Se comprendre! ces deux mots font penser l'immortelle fable de notr e divin la Fontaine: les deux Amis. Se comprendre! entrer dans cette communion parfaite de sentiments, de penses, de sollicitude laquelle on donne les deux plus beaux noms qui existent dans la lang ue humaine, l'Amour et l'Amiti! C'est l tout le charme de la vie; c'est aussi le p lus puissant attrait de cette vie crite, de cette conversation entre absents qu'o n a si bien nomme la correspondance. Si les uvres de Berlioz le font admirer, la publication des prsentes lettres fera mieux encore: elle le fera aimer, ce qui est la meilleure de toutes les choses i ci-bas. CH. GOUNOD. AVANT-PROPOS La vie de Berlioz ne nous est gure connue que par les Mmoires qu'il a publis de son vivant, non pour le vain plaisir d'crire des confessions, mais pour laisser une notice biographique exacte qui, par le rcit de ses luttes et de ses dboires, pt ser vir d'enseignement aux jeunes compositeurs. Aussi, tout en parlant avec dtails de

sa carrire d'artiste, a-t-il t sobre de confidences sur sa vie prive. Il en a omis les particularits les plus intressantes, et, quand il en a rapport certains pisodes, il l'a fait avec toutes les restrictions possibles, ou les a prsents sous un jour dramatique qui leur enlve leur plus grand charme, la sincrit de l'expression. A bi en des gards, il lui tait difficile d'agir autrement. S'il est permis un crivain de dissimuler des faits personnels sous la fiction du roman, il y a quelque chose de pnible voir un homme de talent abuser de sa clbrit pour dvoiler au public l'intimi t de sa vie et parpiller devant lui le tiroir aux souvenirs. Berlioz n'a donc raco nt que ce qu'il pouvait dire sans nuire sa dignit. Mais la postrit est tenue moins d e rserve, surtout quand une existence se prsente comme celle-l, toute pleine des ag itations d'un caractre exceptionnel et des tourments d'un gnie incompris et opprim. Une partie de la Correspondance de Berlioz, recueillie et publie rcemment avec un grand soin par M. Daniel Bernard, a commenc de mettre au jour nombre de points la isss dans l'ombre par les Mmoires. Mais ces lettres ne nous entretiennent encore q ue de ses travaux, de ses voyages. Elles ne nous rvlent pas le Berlioz entrevu dan s les Mmoires: la nature fougueuse, ardente la polmique de l'artiste, s'y rpand en acerbes revendications; son cur reste ferm, ne livre aucun des secrets qui l'agite nt; son esprit ne nous fait pas assister l'closion et au dveloppement des concepti ons qui le hantent. Berlioz n'a vraiment et sincrement ouvert son me qu' une seule personne, Humbert Fe rrand. Parmi tous les amis qui l'ont entour de leur sollicitude, il ne semble pas qu'il en ait rencontr de plus dvou; coup sr, c'est celui qu'il a le plus aim. Depuis leur premire rencontre, en 1823, jusqu' sa mort, en 1869, rien n'a pu altrer la pr ofonde affection qu'il lui portait. Eloigns l'un de l'autre par les tracas d'une carrire faire ou par les soucis d'intrts soigner, ne trouvant l'occasion de se voir qu' de rares intervalles, Berlioz et Ferrand ont d recourir une correspondance ac tive et trs dtaille pour se tenir mutuellement au courant des moindres incidents de leur vie. Pour Berlioz surtout, trs expansif, prompt l'enthousiasme, s'exasprant contre les difficults de sa position, domin par une imagination d'une mobilit exces sive, c'tait l un besoin absolu. Sa correspondance avec Humbert Ferrand, embrassan t presque toute sa vie, devient de la sorte une autobiographie d'autant plus intr essante qu'elle a t crite au jour le jour, en dehors de toute proccupation du public . LETTRES INTIMES A M. HUMBERT FERRAND, A PARIS I La Cte-Saint-Andr (Isre), 10 juin 1825[1]. Mon cher Ferrand, Je ne suis pas plus tt hors de la capitale, que je ne puis rsister au besoin de co nverser avec vous. Je vous avais moi-mme engag ne m'crire que quinze jours aprs mon dpart, afin de ne pas demeurer trop longtemps ensuite sans avoir de vos nouvelles ; mais je viens vous engager aujourd'hui le faire le plus tt possible, parce que j'espre que vous ne serez pas assez paresseux pour vous contenter de m'crire une f ois et pour me laisser languir pendant deux mois, comme l'homme de la douleur loi gn du rocher de l'Esprance et qui voudrait bien aller prendre une glace la vanille chez Tortoni (Poitier, in. lib. Blousac, page 32). J'ai fait un voyage assez ennuyeux jusqu' Tarare; l, tant descendu pour monter pied , je me suis trouv, comme malgr moi, engag dans la conversation de deux jeunes gens qui m'avaient l'air dilettanti et dont, comme tels, je ne m'approchais gure. Ils ont commenc m'apprendre qu'ils allaient au mont Saint-Bernard faire des paysages et qu'ils taient lves de peinture de MM. Gurin et Gros; sur quoi, je leur ai appris mon tour que j'tais lve de Lesueur; ils m'ont fait beaucoup de compliments sur le talent et le caractre de mon matre; tout en causant, l'un des deux s'est mis fredo nner un chur des Danades. Les Danades! me suis-je cri; mais vous n'tes donc pas dilettante?... Moi, dilettante? m'a-t-il rpliqu; j'ai vu trente-quatre fois Drivis et madame Branch u dans les rles de Danas et d'Hypermnestre. Oh!... Et nous nous sommes sauts au col sans autre prambule.

Ah! monsieur, madame Branchu!... ah! M. Drivis!... Quel talent!... quel foudre! Je le connais beaucoup Drivis, a dit l'autre. Et moi donc! j'ai l'avantage de connatre galement la sublime tragdienne lyrique. Ah! monsieur, que vous tes heureux! On dit que, indpendamment de son prodigieux tal ent, elle est, en outre, fort recommandable par son esprit et ses qualits morales . Certainement, rien n'est plus vrai. Mais, messieurs, leur ai-je dit, comment se fait-il que, n'tant pas musiciens, vou s n'ayez point t infects du virus dilettantique, et que Rossini ne vous ait pas fai t tourner le dos au naturel et au sens commun? C'est, m'ont-ils rpondu, qu'tant habitus rechercher en peinture le grand, le beau et surtout le naturel, nous n'avons pu le mconnatre dans les sublimes tableaux de Glc k et de Saliri, non plus que dans les accents la fois tendres, dchirants et terrib les de madame Branchu et de son digne mule. Consquemment, le genre de musique la m ode ne nous entrane pas plus que ne le feraient des arabesques ou des croquis de l'cole flamande. A la bonne heure, mon cher Ferrand, la bonne heure! voil des gens qui sentent, vo il des connaisseurs dignes d'aller l'Opra, dignes d'entendre et de comprendre Iphi gnie en Tauride. Nous nous sommes donn mutuellement nos adresses, et nous nous rev errons Paris au retour. Avez-vous revu Orphe, avec M. Nivire, et l'avez-vous saisi passablement?... Adieu; tout va bien pour moi: mon pre est tout fait dans mon parti, et maman parl e dj avec sang-froid de mon retour Paris. Votre ami. II Paris, 29 novembre (1827). Mon cher Ferrand, Vous avez gard un silence inexplicable mon gard, ainsi qu' l'gard de Berlioz[2] et d e Gounet. Je sais que vous avez fait une seconde maladie, plusieurs personnes no us l'ont appris; mais n'aviez-vous pas votre disposition la plume de votre frre p our nous faire part de votre convalescence? Pourquoi nous laisser ainsi dans l'i nquitude? Nous avons cru pendant longtemps que vous tiez all en Suisse. Mais, disais-je toujours, quand cela serait, je n'y vois pas une raison pour ne p as nous crire: il y a des postes en Suisse comme ailleurs. Je crois donc qu'il faut attribuer votre silence, non pas l'oubli, mais l'insouc iance mle de paresse dont vous tes abondamment pourvu. J'espre cependant que vous re trouverez assez d'activit pour me rpondre. Ma Messe a t excute le jour de la Sainte-Ccile avec un succs double de la premire fois les petites corrections que j'y avais faites l'ont sensiblement amliore; le morce au Et iterum venturus

surtout, qui avait t manqu la premire fois, a t excut, celle-ci, d'une manire foudro , par six trompettes, quatre cors, trois trombones et deux ophiclides. Le chant d u chur qui suit, que j'ai fait excuter par toutes les voix l'octave, avec un clat d e cuivre au milieu, a produit sur tout le monde une impression terrible; pour mo n compte, j'avais assez bien conserv mon sang-froid jusque-l, et il tait important de ne pas me troubler. Je conduisais l'orchestre; mais, quand j'ai vu ce tableau du Jugement dernier, cette annonce chante par six basses-tailles l'unisson, ce t errible clangor tubarum, ces cris d'effroi de la multitude reprsente par le chur, t out enfin rendu exactement comme je l'avais conu, j'ai t saisi d'un tremblement con vulsif que j'ai eu la force de matriser jusqu' la fin du morceau, mais qui m'a con traint de m'asseoir et de laisser reposer mon orchestre pendant quelques minutes ; je ne pouvais plus me tenir debout, et je craignais que le bton ne m'chappt des m ains. Ah! que n'tiez-vous l! J'avais un orchestre magnifique, j'avais invit quarant e-cinq violons, il en est venu trente-deux, huit altos, dix violoncelles, onze c ontre-basses; malheureusement, je n'avais pas assez de voix, surtout pour une im mense glise comme Saint-Eustache. Le Corsaire et la Pandore m'ont donn des loges, m ais sans dtails: de ces choses banales, comme on en dit, pour tout le monde. J'at

tends le jugement de Castil-Blaze, qui m'avait promis d'y assister, de Ftis et de l'Observateur; voil les seuls journaux que j'avais invits, les autres tant trop oc cups de politique. J'ai t entendu dans un trs mauvais moment; beaucoup de personnes que j'avais invites , entre autres les dames Lefranc, ne sont pas venues cause des troubles affreux dont le quartier Saint-Denis tait le thtre depuis quelques jours. Quoi qu'il en soi t, j'ai russi au del de mon esprance; j'ai vraiment un parti l'Odon, aux Bouffes, au Conservatoire et au Gymnase. J'ai reu des flicitations de toutes parts; j'ai reu, le soir mme de l'excution, une lettre de compliments d'un monsieur que je ne conna is pas et qui m'a crit des choses charmantes. J'avais envoy des lettres d'invitati on tous les membres de l'Institut, j'tais bien aise qu'ils entendissent excuter ce qu'ils appellent de la musique inexcutable; car ma Messe est trente fois plus di fficile que ma cantate du concours, et vous savez que j'ai t oblig de me retirer pa rce que M. Rifaut n'a pas pu m'excuter sur le piano, et que M. Berton s'est empre ss de me dclarer inexcutable, mme l'orchestre. Mon grand crime, aux yeux de ce vieil et froid classique ( prsent du moins), est d e chercher faire du neuf. C'est une chimre, mon cher, me disait-il il y a un mois; il n'y a point de neuf e n musique; les grands matres se sont soumis certaines formes musicales que vous n e voulez pas adopter. Pourquoi chercher faire mieux que les grands matres? Et pui s je sais que vous avez une grande admiration pour un homme qui, sans doute, n'e st pas sans talent... sans gnie... C'est Spontini. Oh! oui, monsieur, j'ai une grande admiration pour lui, et je l'aurai toujours. Eh bien, mon cher, Spontini..., aux yeux des vritables connaisseurs, ne jouit pas. .. d'une grande considration. L-dessus, vous pensez bien, je lui ai tir ma rvrence. Ah! vieux podagre, si c'est l m on crime, il faut avouer qu'il est grand, car jamais admiration ne fut plus prof onde ni plus motive; rien ne peut l'galer, si ce n'est le mpris que m'inspire la pe tite jalousie de l'acadmicien. Faut-il m'avilir jusqu' concourir encore une fois?... Il le faut pourtant, mon pre le veut; il attache ce prix une grande importance. A cause de lui, je me reprsen terai; je leur crirai un petit orchestre bourgeois deux ou trois parties, qui fer a autant d'effet sur le piano que l'orchestre le plus riche; je prodiguerai les redondances, puisque ce sont l les formes auxquelles les grands matres se sont sou mis, et qu'il ne faut pas faire mieux que les grands matres, et, si j'obtiens le prix, je vous jure que je dchire ma Scne aux yeux de ces messieurs, aussitt que le prix sera donn. Je vous parle de tout cela avec feu, mon cher ami; mais vous ne savez pas combie n peu j'y attache d'importance: je suis depuis trois mois en proie un chagrin do nt rien ne peut me distraire, et le dgot de la vie est pouss chez moi aussi loin qu e possible; le succs mme que je viens d'obtenir n'a pu qu'un instant soulever le p oids douloureux qui m'oppresse, et il est retomb plus lourd qu'auparavant. Je ne puis ici vous donner la clef de l'nigme; ce serait trop long, et, d'ailleurs, je crois que je ne saurais former des lettres en vous parlant de ce sujet; quand je vous reverrai, vous saurez tout; je finis par cette phrase que l'ombre du roi d e Danemark adresse son fils Hamlet: Farewell, farewell, remember me! III Paris, vendredi, 6 juin 1828. Mon cher ami, Vous schez sans doute d'impatience de connatre le rsultat de mon concert; si je ne vous ai pas crit plus tt, c'est que j'attendais le jugement des journaux; tous ceu x qui ont parl de moi, l'exception de la Revue musicale et de la Quotidienne, que je n'ai pas encore pu me procurer, doivent vous parvenir en mme temps que ma let tre. Grand, grand succs! Succs d'tonnement dans le public, et d'enthousiasme parmi les a rtistes. On m'avait dj tant applaudi aux rptitions gnrales de vendredi et de samedi, que je n'a vais pas la moindre inquitude sur l'effet que produirait ma musique sur les audit

eurs payants. L'ouverture de Waverley, que vous ne connaissez pas, a ouvert la sa nce de la manire la plus avantageuse possible, puisqu'elle a obtenu trois salves d'applaudissements. Aprs quoi est venue notre chre Mlodie pastorale. Elle a t indigne ment chante par les solos, et le chur de la fin ne l'a pas t du tout; les choristes, au lieu de compter leurs pauses, attendaient un signe que le chef d'orchestre n e leur a pas fait, et ils se sont aperus qu'ils n'taient pas entrs quand le morceau tait sur le point de finir. Ce morceau n'a pas produit le quart de l'effet qu'il renferme. La Marche religieuse des mages, que vous ne connaissez pas non plus, a t fort appl audie. Mais, quand est venu le Resurrexit de ma Messe, que vous n'avez jamais en tendu depuis que je l'ai retouch et qui tait chant pour la premire fois par quatorze voix de femmes et trente hommes, la salle de l'cole royale de musique a vu pour la premire fois les artistes de l'orchestre quitter leurs instruments aussitt aprs le dernier accord et applaudir plus fort que le public. Les coups d'archet reten tissaient comme la grle sur les basses et contre-basses: les femmes, les hommes d es churs, tout applaudissait; quand une salve tait finie, une autre recommenait; c't aient des cris, des trpignements!... Enfin, ne pouvant plus y tenir dans mon coin de l'orchestre, je me suis tendu sur les timbales, et je me suis mis pleurer. Ah! que n'tiez-vous l, cher ami! Vous auriez vu triompher la cause que vous dfendie z avec tant de chaleur contre les gens ides troites et petites vues; en vrit, dans l e moment de ma plus violente motion, je pensais vous et je ne pouvais m'empcher de gmir de votre absence. La seconde partie s'ouvrait par l'ouverture des Francs Juges. Il faut que je vou s raconte ce qui tait arriv la premire rptition de ce morceau. A peine l'orchestre at-il entendu cet pouvantable solo de trombone et d'ophiclide sur lequel vous avez mis des paroles pour Olmerick, au troisime acte, que l'un des violons s'arrte et s'crie: Ah! ah! l'arc-en-ciel est l'archet de votre violon, les vents jouent de l'orgue, le temps bat la mesure. L-dessus, tout l'orchestre est parti et a salu par ses applaudissements une ide don t il ne connaissait pas mme l'tendue; ils ont interrompu l'excution pour applaudir. Le jour du concert, cette introduction a produit un effet de stupeur et d'pouvan te qui est difficile dcrire; je me trouvais ct du timbalier, qui, me tenant un bras qu'il serrait de toutes ses forces, ne pouvait s'empcher de s'crier convulsivemen t, divers intervalles: C'est superbe!... C'est sublime, mon cher!... C'est effrayant! il y a de quoi en perdre la tte!... De mon autre bras, je me tenais une touffe de cheveux que je tirais avec rage; j 'aurais voulu pouvoir m'crier, oubliant que c'tait de moi: Que c'est monstrueux, colossal, horrible! Enfin, vous connaissez notre Scne hroque grecque, le vers: Le monde entier... n'a p as pu produire la moiti de l'effet de cet pouvantable passage. A la vrit, il a t fort mal excut; Bloc, qui conduisait, s'est tromp de mouvement en commenant: Des sommets de l'Olympe... Et, pour ramener l'orchestre au mouvement vritable, il a caus un dso rdre momentan dans les violons qui a failli tout gter. Malgr cela, l'effet est auss i grand et peut-tre plus grand que vous ne vous imaginez. Cette marche prcipite des auxiliaires grecs, et cette exclamation: Ils s'avancent! sont d'un dramatique to nnant. Je ne me gne pas avec vous, comme vous voyez, et je dis franchement ce que je pense de ma musique. Un artiste de l'Opra disait, le soir de ma rptition un de ses camarades, que cet ef fet des Francs Juges tait la chose la plus extraordinaire qu'il et entendue de sa vie. Oh! aprs Beethoven, toutefois? disait l'autre. Aprs rien, a-t-il rpondu; je dfie qui que ce soit de trouver une ide plus terrible qu e celle-l. Tout l'Opra assistait mon concert; aprs, c'taient des embrassades n'en plus finir. Ceux qui ont t les plus contents sont: Habeneck, Drivis, Adolphe Nourrit, Dabadie, Prvost, mademoiselle Mori, Alexis Dupont, Schneitzoeffer, Hrold, Rigel, etc. Il n'

a rien manqu mon succs, pas mme les critiques de MM. Panseron et Brugnires, qui trou vaient que mon genre est nouveau, mais mauvais, et qu'on a tort d'encourager cet te manire d'crire. Ah! mon cher ami, envoyez-moi donc un opra! Robin Hood!... Que voulez-vous que je fasse si je n'ai pas de pome? Je vous en supplie, achevez quelque chose. Adieu, mon cher Ferrand. Je vous envoie des armes pour combattre les dtracteurs; Castil Blaze, ne se trouvant pas Paris, n'a pu assister mon concert; je l'ai vu depuis; il m'a cependant promis d'en parler. Il ne se presse gure; heureusement j e puis m'en passer, et largement. J'ai appris hier seulement que l'article du journal le Voleur, qui m'est le plus favorable, est de Despraux, qui a concouru avec moi l'Institut; ce suffrage d'un rival m'a beaucoup flatt. IV 28 juin 1828. O mon ami, que votre lettre s'est fait attendre! Je craignais que la mienne ne ft gare. L'cho a bien rpondu... Oui, nous nous comprenons pleinement, nous sentons de mme; ce n'est pas tout fait sans charme que nous vivons. Quoique, depuis neuf mois, je trane une existence e mpoisonne, dsillusionne, et que la musique seule me fait supporter, votre amiti est aussi un lien qui m'enchane et dont les nuds se resserrent de jour en jour pendant que les autres se rompent (ne faites pas de conjectures, vous vous tromperiez). Je ferai tous mes efforts pour aller passer quelque temps la Cte dans un mois et demi; aussitt que mon dpart sera fix, je vous en avertirai et vous donnerai rendez -vous chez mon pre. J'attends avec la plus vive impatience le premier et le troisime acte des Francs Juges, et je vous jure sur l'honneur que je vais vous envoyer une copie du Resur rexit en grande partition et une de la Mlodie. Je vais les faire copier le plus tt possible, et je vous les expdierai ds que je pourrai les avoir.

L'allocution dont vous me parlez est d'un artiste de votre connaissance et qui j ustifie le jugement que vous en portez: c'est Turbri. Puisque vous devez voir Du boys, il faut que je vous rapporte la conversation que j'ai eue avant-hier avec Pastou, son ancien matre de musique. Je le rencontre dans la rue Richelieu, et, s ans me donner le temps de lui dire bonjour: Ah! je suis aise de vous voir! me dit-il; je suis all vous entendre. Savez-vous un e chose? c'est que vous tes le Byron de la musique. Votre ouverture des Francs Ju ges est un Childe Harold, et puis, vous tes harmoniste!... Ah! diable! L'autre jo ur, dans un dner, on parlait de vous, et un jeune homme a dit qu'il vous connaiss ait et que vous tiez un bon garon. Eh! je me f.... bien que ce soit un bon garon, lu i ai-je dit; quand on fait de la musique comme a, qu'on soit le diable, a m'est bi en gal! Je ne me doutais pas, quand nous avons applaudi ensemble Beethoven, avec c ris et trpignements, qu'un mois plus tard, sur la mme banquette, dans la mme salle, ce serait vous qui me feriez prouver de pareilles sensations. Adieu, mon cher, j e suis heureux de vous connatre. Concevez-vous un pareil fou? Je me suis trouv dner, il y a quelque temps, avec le jeune Tolbecque, le fashionab le des trois. Lorsqu'il entendit parler de mon projet de concert dans le temps, il trouvait que c'tait le comble de l'amour-propre, et que ce serait sans doute e ndormant. Eh bien, il est venu excuter mon orchestre malgr cela, et, ds la premire o uverture, il s'est fait en lui une telle rvolution, que, devenu ple comme la mort, m'a-t-il dit, je n'avais pas la force d'applaudir des effets qui m'arrachaient l es entrailles; vraiment, cela emporte la pice! Cela soulage singulirement, de courber sous le joug ces petits farceurs. J'ai beaucoup de choses en train dans ce moment-ci et rien de positif; deux opras se prparent pour Feydeau, un pour l'Opra, et je vais sortir tout l'heure pour all er voir M. Laurent, directeur des thtres anglais et italien: il s'agit de me faire

mettre en opra italien la tragdie anglaise de Virginius. Aussitt que j'aurai quelq ue chose de positif, je vous l'crirai. Adieu, mon cher ami; je vous embrasse de tout mon cur. Votre ami pour la vie. V 28 juin, huit heures plus tard. Je viens, non pas de chez M. Laurent, mais de Villeneuve-Saint-Georges, quatre l ieues de Paris, o je suis all depuis chez moi la course... Je n'en suis pas mort.. . La preuve, c'est que je vous l'cris... Que je suis seul!... Tous mes muscles tr emblent comme ceux d'un mourant!... O mon ami, envoyez-moi un ouvrage; jetez-moi un os ronger... Que la campagne est belle!... quelle lumire abondante!... Tous l es vivants que j'ai vus en revenant avaient l'air heureux... Les arbres frmissaie nt doucement, et j'tais tout seul dans cette immense plaine... L'espace... l'loign ement... l'oubli... la douleur... la rage m'environnaient. Malgr tous mes efforts , la vie m'chappe, je n'en retiens que des lambeaux. A mon ge, avec mon organisation, n'avoir que des sensations dchirantes; avec cela les perscutions de ma famille recommencent: mon pre ne m'envoie plus rien, ma sur m 'a crit aujourd'hui qu'il persistait dans cette rsolution. L'argent... toujours l' argent!... Oui, l'argent rend heureux. Si j'en avais beaucoup, je pourrais l'tre, et la mort n'est pas le bonheur, il s'en faut de beaucoup. Ni pendant... ni aprs... Ni avant la vie? Quand donc? Jamais. Inflexible ncessit!... Et cependant le sang circule; mon cur bat comme s'il bondissait de joie. Au fait, je suis furieusement en train; de la joie, morbleu, de la joie! VI Dimanche matin. Mon cher ami, ne vous inquitez pas de ces malheureuses aberrations de mon cur; la crise est passe; je ne veux pas vous en expliquer la cause par crit, une lettre pe ut s'garer. Je vous recommande instamment de ne pas dire un mot de mon tat qui que ce soit; une parole est si facilement rpte, qu'elle pourrait venir jusqu' mon pre, q ui en perdrait totalement le repos: il ne dpend de personne de me le rendre; tout ce que je puis faire, c'est de souffrir avec patience, en attendant que le temp s, qui change tant de choses, change aussi ma destine. Soyez prudent, je vous en prie; gardez-vous d'en rien dire Duboys; car il pourra it le rpter Casimir Faure, et, de l, mon pre le saurait. Cette effroyable course d'hier m'a abm: je ne puis plus me remuer, toutes les arti culations me font mal, et cependant il faut que je marche encore toute la journe. Adieu, mon cher ami. Je vous embrasse. VII Paris, 29 aot 1828. Mon cher Ferrand, Je pars demain pour la Cte; je vais enfin revoir mes parents aprs trois ans de spar ation; je pense que rien ne vous empchera d'accomplir votre promesse, et que j'au rai le plaisir de vous voir dans le courant du mois prochain. Je repartirai le 2 6 septembre sans remise; ainsi arrangez-vous pour venir la Cte le plus tt que vous pourrez. Mais crivez-moi pour m'en prvenir huit jours d'avance, parce que je pour rais me trouver Grenoble si vous ne m'avertissiez pas. Auguste, qui est Blois dans ce moment-ci, m'a engag sa parole de venir me retrouv er la Cte. Je vais lui crire de s'entendre avec vous pour que vous fassiez le voya ge ensemble depuis Belley ou Lyon; j'espre qu'il y aura moyen d'arranger cela et que vous m'arriverez tous les deux la fois. Je vous apporte les deux morceaux qu e vous attendez, et que je n'ai pas pu remettre au jeune Daudert, parce qu'ils n 'taient pas finis de copier. Ainsi, adieu; je compte recevoir une lettre de vous le 8 ou le 10 septembre; n'y manquez pas. Votre ami. VIII

Grenoble, lundi 16 septembre 1828. Mon cher ami, Je pars demain matin pour la Cte, d'o je suis absent depuis le jour de l'arrive de votre lettre. Il m'est impossible d'aller vous voir; partant le 27 de ce mois, j e ne puis absolument pas parler mes parents d'une absence. J'avais dj caus de vous avec ma famille; on s'attendait vous voir, et votre lettre a redoubl l'impatience avec laquelle on vous dsirait. Ce dsir, de la part de mes surs et de nos demoisell es, est peut-tre un peu intress; il est question de bals, de goters la campagne; on cherche des cavaliers aimables, ils ne sont pas communs ici, et, quoique ce soit peut-tre un peu pour moi que ce remue-mnage se prpare, je ne suis pas le moins du monde fait pour y rpandre de l'entrain ni de la gaiet. J'ai vu Casimir Faure dernir ement chez mon pre; il est la campagne chez le sien, et nous ne sommes spars que pa r une distance qu'on franchit en deux heures. Robert est venu avec moi, il est l e mnestrel ador de ces dames. Arrivez au plus tt, je vous en prie; votre musique vo us attend. Nous lirons Hamlet et Faust ensemble. Shakspeare et Goethe! les muets confidents de mes tourments, les explicateurs de ma vie. Venez, oh! venez! personne ici ne comprend cette rage de gnie. Le soleil les aveugle. On ne trouve cela que bizarr e. J'ai fait avant-hier, en voiture, la ballade du Roi de Thul en style gothique; je vous la donnerai pour la mettre dans votre Faust, si vous en avez un. Adieu; le temps et l'espace nous sparent; runissons-nous avant que la sparation soit plus longue. Mais laissons cela. Horatio, tu es bien l'homme dont la socit m'a le plus convenu. Je souffre beaucoup. Si vous ne veniez pas, ce serait cruel. Allons! vous viendrez. Adieu. Demain je suis la Cte. Aprs-demain mercredi, j'aurai aider ma famille pour la rcept ion de M. de Ranville, procureur gnral, qui vient avec mon oncle passer deux jours la maison. Le 27, je pars; la semaine prochaine, il y a grande runion chez la co usine d'Hippolyte Rocher, la belle mademoiselle Veyron. Voyez! IX Paris, 11 novembre 1828. Mon cher ami, Je vous remercie de votre obligeance; je suis seulement honteux de ne l'avoir pa s fait plus tt; mais, quand je vous ai adress les ouvrages que vous me demandiez, j'tais si malade, si incapable, que j'ai prfr attendre quelques jours pour vous crire . La Fontaine a bien eu raison de dire: L'absence est le plus grand des maux. Elle e st partie! elle est Bordeaux depuis quinze jours; je ne vis plus, ou plutt je ne vis que trop; mais je souffre l'impossible; j'ai peine le courage de remplir mes nouvelles fonctions. Vous savez qu'ils m'ont nomm premier commissaire de la Socit du Gymnase-Lyrique. C'est moi qui suis charg du choix et du remplacement des musi ciens, de la location des instruments et de la garde des partitions et parties d 'orchestre. Je m'occupe dans ce moment-ci de tout cela. Les souscripteurs commen cent venir; nous avons dj deux mille deux cents francs en caisse. Les envieux crive nt des lettres anonymes; Chrubini est en mditation pour savoir s'il nous servira o u s'il nous nuira; tout le monde clabaude l'Opra, et nous allons toujours notre t rain. Je ne fais encore rien copier; j'attends pour cela votre lettre. Vous me demandez combien coterait la gravure de notre Scne grecque. Il y a bien lo ngtemps que je me suis inform du prix de la lithographie; mais elle cote en France un tiers de plus que la gravure. Les planches graves de notre ouvrage reviendrai ent sept cent cinquante francs, avec l'impression d'une cinquantaine d'exemplair es. Je n'ai pas encore revu l'auteur d'Atala, il est la campagne; je lui parlerai de votre Scne aussitt que je le verrai. Si vous voyez Auguste, excusez-moi auprs de lui de ce que je ne lui cris pas; dite s-lui que je suis tonn de n'avoir pas encore appris son voyage la Cte; il m'avait b ien dit, en partant, qu'il irait voir mon pre.

J'ai rencontr avant-hier Flayol au cours d'anglais; il vous dit mille choses. Adieu, mon cher ami; je vous embrasse. X (Fin de 1828) Mon cher ami, Je vous rponds sur-le-champ; il s'en faut de beaucoup que je renonce notre opra, e t, si je ne vous en ai pas parl, c'est que je ne voulais pas vous en rompre la tte davantage, pensant que vous ne doutiez pas de l'impatience avec laquelle je l'a ttends; ainsi achevez-le le plus tt possible. Je travaille dans ce moment-ci pour les concerts de M. Choron; celui-ci m'a dema nd un oratorio pour des voix seules avec accompagnement d'orgue; j'en ai dj fait la moiti, et je pense qu'il sera excut d'ici un mois et demi; cela me fera un peu con natre dans le faubourg Saint-Germain. Connaissez-vous assez M. d'Eckstein pour me donner une lettre de recommandation prs de lui? J'ai appris qu'il tait collaborateur d'un grand journal mensuel[3], la tte duquel se trouve M. Beuchon, l'un des rdacteurs du Constitutionnel; ce journa l va paratre dans quelque temps; il est conu sur un plan trs vaste, et les arts y o ccuperont une place distingue. Si je pouvais inspirer assez de confiance pour cel a, je voudrais tre charg de la rdaction des articles de musique; voyez si vous pouv ez me servir l dedans. Si M. d'Eckstein me prsente, il est prsumable qu'on m'accept era; d'ailleurs, on peut me mettre l'preuve. Souffrez-vous toujours de vos dents? Je vous envoie pour vos trennes un air subli me de la Vestale, que vous ne connaissez pas, parce qu'il a t supprim depuis plus d e dix ans. Vous me paraissez triste, vous avez besoin de pleurer, je vous le don ne comme un spcifique. Plus, un autre air de Fernand Cortez, que vous ne connaiss ez pas non plus par la mme raison, et qui est peut-tre le plus beau de la pice. Adieu. Votre ami pour la vie. XI Paris, 2 fvrier 1829. J'attendais toujours, mon cher et excellent ami, que ma partition de Faust ft ent irement termine pour vous crire en vous l'adressant; mais, l'ouvrage ayant pris une dimension plus grande que je ne croyais, la gravure n'est pas encore finie, et je ne puis me passer plus longtemps de vous crire. J'ai, il y a trois jours, t, pendant douze heures, dans le dlire de la joie: Ophlie n'est pas si loigne de moi que je le pensais; il existe quelque raison qu'on ne ve ut absolument pas me dire avant quelque temps, pour laquelle il lui est impossib le dans ce moment de se prononcer ouvertement. Mais, a-t-elle dit, s'il m'aime vritablement, si son amour n'est pas de la nature de ceux qu'il est de mon devoir de mpriser, ce ne sera pas quelques mois d'attent e qui pourront lasser sa constance. Oh! Dieu! si je l'aime vritablement! Turner sait beaucoup d'autres choses sans do ute, mais il s'obstine me jurer qu'il ne sait rien; je n'aurais pas mme su cela, si je n'avais pas arrach une partie de mon secret sa femme. Je m'apercevais seule ment, depuis quelque temps, qu'il me parlait de mes affaires avec plus de confia nce et avec un air riant; un jour, il n'a pu s'empcher de sortir de son flegme br itannique en me disant: Je russirai, je vous dis, j'en suis sr; si je pars avec elle pour la Hollande, je s uis sr de vous crire dans peu d'excellentes nouvelles. Eh bien, mon cher ami, il part dans quatre jours avec elle et sa mre; il est char g de leur correspondance franaise et de l'administration de leurs intrts pcuniaires A msterdam. Et c'est elle, c'est Ophlie qui a arrang tout cela, qui l'a voulu fortement. Donc, elle veut lui parler beaucoup et souvent de moi; ce qu'elle n'a pas encore pu f aire, cause de la prsence continue de sa mre, devant laquelle elle tremble comme u n enfant. coutez-moi bien, Ferrand; si jamais je russis, je sens, n'en pouvoir douter, que j e deviendrais un colosse en musique; j'ai dans la tte depuis longtemps une sympho nie descriptive de Faust qui fermente; quand je lui donnerai la libert, je veux q u'elle pouvante le monde musical.

L'amour d'Ophlie a centupl mes moyens. Envoyez-moi les Francs Juges au plus tt; que je profite d'un moment de soleil et de calme pour les faire recevoir; la nuit e t la tempte sont trop souvent l pour m'empcher de marcher; il faut absolument que j 'agisse maintenant. Je compte sur votre exactitude, et j'espre que vous m'enverre z votre pome avant dix jours. J'ai reu, il y a peu de temps, une lettre de ma sur ane , en rponse une immense ptre de moi, dans laquelle je m'tais expliqu ouvertement sur mes projets pour le mariage, sans dire, bien entendu, que je fusse fix dans mon c hoix. Nancy m'a rpondu que mes parents avaient lu ma lettre (c'tait ce que je voul ais); et, d'aprs ce qu'elle me dit, il parat qu'ils s'attendaient tellement cela, qu'ils n'en ont pas t surpris; et, lorsque j'en viendrai leur demander leur consen tement, j'espre que la commotion sera trs lgre. Je vais lui envoyer ma partition Ams terdam. Je n'ai mis que les initiales de son nom. Comment! je parviendrais tre ai m d'Ophlie, ou du moins mon amour la flatterait, lui plairait?... Mon cur se gonfle et mon imagination fait des efforts terribles pour comprendre cette immensit de bonheur sans y russir. Comment! je vivrais donc? j'crirais donc? j'ouvrirais mes a iles? O dear friend! o my heart! o life! Love! All! all! Ne soyez pas pouvant de ma joie; elle n'est pas si aveugle que vous pouvez le crai ndre; le malheur m'a rendu mfiant; je regarde en avant, je n'ai rien d'assur; je f rmis autant de crainte que d'esprance. Attendons le temps, rien ne l'arrte; ainsi nous pouvons compter sur lui. Adieu; envoyez-moi les Francs Juges, vite, je vous supplie. Avez-vous lu les Orientales de Victor Hugo? Il y a des milliers de sublimits. J'a i fait sa Chanson des pirates avec accompagnement de tempte; si je la mets au net et que j'aie le temps de la recopier, je vous l'enverrai avec Faust. C'est de l a musique d'cumeur de mer, de forban, de brigand, de flibustier voix rauque et sa uvage; mais je n'ai pas besoin de vous mettre au fait, vous comprenez la musique potique aussi bien que moi. XII 18 fvrier 1829. Mon cher ami, J'ai crit M. Bailly aussitt aprs la rception de votre lettre; il ne m'a pas encore rp ondu. Duboys, qui est ici depuis quelques jours, a vu Carn avant-hier, ils ont pa rl du journal ensemble[4]; Carn lui a dit qu'on comptait sur moi. J'allai voir Carn, il y a peu prs vingt jours; il me promit de m'crire aussitt qu'il y aurait quelque chose de dcid; je n'ai point eu de ses nouvelles. Je n'y compren ds rien. Quant l'affaire du Stabat, voici: Marescot vient de revenir Paris, je lui en ai parl; il a consenti le graver, pourvu qu'on lui assure la vente de quinze exempla ires au moins. L'ouvrage sera marqu quatre francs cinquante, et les quinze exempl aires seront livrs deux francs. D'aprs ce que vous m'aviez dit du nombre des personnes qui s'intressent M. Dupart, je n'ai pas hsit rpondre pour le placement des quinze exemplaires, et Marescot est venu aujourd'hui chercher le manuscrit. Il sera grav avant la semaine sainte; ai nsi on pourra le chanter sur les exemplaires que je vous enverrai. Du reste, son atmosphre d'esprance ne s'est pas rembrunie, au contraire... Elle n' est pas encore partie, elle quittera Paris vraisemblablement vendredi prochain. Singulire destine que celle d'un amant dont le vu le plus ardent est l'loignement de celle qu'il aime! Tant qu'elle restera ici, je ne pourrai point obtenir de rponse positive; on m'as sure que j'aurai quelques lignes de sa main en rponse ma lettre, qui lui sera rem ise Amsterdam. Oh! Dieu! que va-t-elle me dire?... Farewell, my dear, farewell, love ever your friend. XIII Paris, 9 avril 1829. Ah! pauvre cher ami! je ne vous ai pas crit, parce que j'en tais incapable. Toutes mes esprances taient d'affreuses illusions. Elle est partie, et, en partant, sans piti pour mes angoisses dont elle a t tmoin deux jours de suite, elle ne m'a laiss qu e cette rponse que quelqu'un m'a rapporte: Il n'y a rien de plus impossible.

N'exigez pas, mon cher ami, que je vous donne le dtail de tout ce qui m'est arriv pendant ces deux fatales semaines; il m'est survenu, avant-hier, un accident qui me met aujourd'hui dans l'impossibilit de parler de cela; je ne suis pas encore assez remis. Je tcherai de trouver un moment o j'aurai assez de force pour retourn er le fer qui est demeur dans la plaie. Je vous envoie Faust, ddi M. de la Rochefoucault; ce n'tait pas pour lui!... Si vou s pouvez, sans vous gner, me prter encore cent francs pour payer l'imprimeur, vous m'obligerez. J'aime mieux vous les devoir qu' ces gens-l. Si vous ne me l'aviez o ffert, j'avoue que je n'aurais pu me dcider vous les demander. Je vous remercie mille fois de votre opra; Gounet le copie en ce moment-ci; nous allons mettre en jeu tous les ressorts pour le faire recevoir srement. Il est sup erbe; il y a des choses sublimes. Oh! mon cher, que vous tes pote! Le finale des B ohmiens, au premier acte, est un coup de matre; jamais, je crois, on n'aura prsent d e pome d'opra aussi original et aussi bien crit; je vous le rpte, il est magnifique. Ne soyez pas fch si je vous laisse si vite. Je vais la poste porter la musique, il est dj deux heures; je suis si souffrant, que je vais me recoucher en rentrant. Il y a trente-six jours qu'elle est partie, ils ont toujours vingt-quatre heures chacun; et il n'y a rien de plus impossible. Adieu. J'ai demand Schott et Schlesinger, qui ont de la musique d'glise, s'ils avaient ce que vous me demandez; mais ils n'ont rien que de trs grand. J'ai fait un Salutaris trois voix avec accompagnement d'orgue au piano; je l'ai cherch toute la journe pour vous l'envoyer, je n'ai pas pu le retrouver; comme il ne valait pas grand'chose, je l'aurai vraisemblablement brl cet hiver. XIV Paris, ce 3 juin 1829. Mon cher ami, Voil bientt trois mois que je n'ai pas reu de vos nouvelles; j'ai voulu attendre to ujours, pensant que peut-tre vous tiez en voyage; mais il parat que vous n'avez pas quitt Belley, car ma sur m'crit, il y a peu de jours, que vous lui avez envoy des a irs suisses dont elle me charge de vous remercier. Il y a donc ncessairement quel que chose d'extraordinaire. Je vous ai envoy Faust avec les exemplaires sans titre du Stabat; vous ne m'avez pas accus rception, je n'y conois absolument rien. Peut-tre y a-t-il quelque nouvell e lutte anonyme. Votre pre intercepte peut-tre notre correspondance. Peut-tre ajout ez-vous foi vous-mme aux absurdes calomnies qu'on a rpandues sur mon compte auprs d e votre famille. Je ne vous ai pas envoy les titres du Stabat; Marescot est reparti pour la provin ce, et je ne sais o le prendre. Faust a le plus grand succs parmi les artistes; On slow est venu chez moi un matin me dconcerter par les loges les plus passionns; Mey erbeer vient d'crire de Baden Schlesinger pour lui en demander un exemplaire. Urh an, Chlard, beaucoup des artistes les plus marquants de l'Opra se sont procur des e xemplaires, et, chaque soir, ce sont de nouvelles flicitations. Dans tout cela, r ien ne m'a frapp comme l'enthousiasme de M. Onslow. Vous savez que, depuis la mor t de Beethoven, il tient le sceptre de la musique instrumentale. Spontini vient de monter Berlin son opra du Colporteur, qui a obtenu un immense succs; il est ext rmement difficile sur l'originalit, et il m'a assur qu'il ne connaissait rien de pl us original que Faust. J'aime bien ma musique, ajoutait-il; mais, en conscience, je me crois incapable d 'en faire autant. A tout cela, je ne rpondais gure que des btises, tellement j'tais troubl de cette vis ite inattendue. Le surlendemain, Onslow m'a envoy un exemplaire de la partition de ses deux grand s quintetti. C'est jusqu' prsent le suffrage qui m'a le plus touch. J'ai pay ce que je devais l'imprimeur, une lve m'tant survenue. Je suis toujours trs heureux, ma vie est toujours charmante; point de douleurs, j amais de dsespoir, beaucoup d'illusions; pour achever de m'enchanter, les Francs

Juges viennent d'tre refuss par le jury de l'Opra. M. Alexandre Duval, qui a lu le pome au comit, m'a dit qu'on l'avait trouv long et obscur; il n'y a que la scne des Bohmiens qui a plu tout le monde; du reste, il trouve, lui, que le style est trs r emarquable et qu'il y a un avenir potique l dedans. Je vais me le faire traduire en allemand. J'achverai la musique; j'en ferai un opr a comme le Freyschtz, moiti parl, moiti mlodrame, et le reste musique; j'ajouterai qu atre ou cinq morceaux, tels que le finale du premier acte, les quintetti, l'air de Lnor, etc., etc. On m'assure que Spohr n'est point jaloux et cherche, au contr aire, aider les jeunes gens; alors, si j'ai le prix l'Institut, je partirai dans quelques jours pour Cassel; il y dirige le thtre, et je pourrai faire entendre l l es Francs Juges. Quel que soit le rsultat final de tout cela, je ne suis pas moin s extrmement sensible aux peines que cet ouvrage vous a cotes, et je vous en remerc ie mille fois. Il me plat, moi, beaucoup. Je prpare un grand concert pour le comme ncement de dcembre, o je ferai entendre Faust avec deux grandes ouvertures et quel ques mlodies irlandaises qui ne sont pas graves. Je n'en ai encore termin qu'une; G ounet me fait beaucoup attendre les autres. La Revue musicale a publi un article fort bon sur Faust; je ne l'ai pas fait anno ncer encore dans les autres journaux. Je ne puis pas me livrer la moindre composition importante; quand j'ai la force de travailler, je copie des parties pour le concert futur, et je n'ai pas beauco up de temps y consacrer; on me tourmente pour des articles de journaux. Je suis charg de la correspondance, peu prs gratuite, de la Gazette musicale de Berlin. On me traduit en allemand; le propritaire est Paris dans ce moment, et il m'ennuie. Pour le Correspondant, un seul article a paru; comme dans le second, j'attaquai s l'cole italienne. M. de Carn m'a crit avant-hier pour me prier d'en faire un autr e sur un sujet diffrent. On a trouv que j'tais un peu dur pour l'cole italienne. La Prostitue trouve donc des amants mme parmi les gens religieux. Je prpare une notice bibliographique sur Beethoven. J'ai mes entres au thtre allemand; le Freyschtz et Fidelio m'ont donn des sensations nouvelles, malgr le dtestable orchestre des Italiens, dont la voix publique fait e nfin justice; les journaux d'aujourd'hui surtout le tuent. On m'a offert de me prsenter Rossini; je n'ai pas voulu, comme vous pensez bien; je n'aime pas ce Figaro, ou plutt je le hais tous les jours davantage; ses plaisa nteries absurdes sur Weber, au foyer du thtre allemand, m'ont exaspr; je regrettais bien de ne pas tre de la conversation pour lui lcher ma borde. Mon pauvre Ferrand, je vous cris de bien longues digressions qui ne vous intressen t gure; je suis port craindre que mes lettres n'aient plus pour vous l'intrt d'autre fois. S'il ne s'tait pas fait en vous quelque trange changement, seriez-vous rest d epuis si longtemps sans rpondre ma lettre qui accompagnait le paquet de musique? C'est pendant la semaine sainte que vous avez d la recevoir. Vous ne m'avez mme pa s crit un mot d'amiti aprs que je vous ai annonc que je perdais toutes les esprances dont j'avais t berc. Je ne suis pas plus avanc que le premier jour; cette passion me tuera; on a rpt si souvent que l'esprance seule pouvait entretenir l'amour! Je suis bien la preuve du contraire. Le feu ordinaire a besoin d'air, mais le feu lectri que brle dans le vide. Tous les journaux anglais retentissent de cris d'admiratio n pour son gnie. Je reste obscur. Quand j'aurai crit une composition instrumentale , immense, que je mdite, je veux pourtant aller Londres la faire excuter; que j'ob tienne sous ses yeux un brillant succs! O mon cher ami, je ne puis plus crire: la faiblesse m'te la plume des doigts. Adieu. XV 15 juin 1829. Oui, mon cher ami, il est entirement vrai que je n'ai pas reu de vos nouvelles jus qu' ce 11 juin; et il m'est impossible de concevoir ce que sont devenues vos lett res; peut-tre le dcouvrirez-vous; j'en doute. Je serais enchant d'tre annonc dans le Journal de Genve, si vous pouvez l'obtenir. J e vous prie de ne pas vous laisser entraner par votre amiti en parlant de mon ouvr age (Faust): rien ne parat plus trange aux lecteurs froids que cet enthousiasme qu 'ils ne conoivent pas. Je ne sais que vous dire pour le sommaire d'articles que v ous me demandez; voyez celui de la Revue musicale, et parlez de chaque morceau e

n particulier; ou, si cela ne convient pas au cadre du journal, appuyez davantag e sur le Premier chur, le Concert des Sylphes, le Roi de Thul et la Srnade, et surto ut sur le double orchestre du concert, dont la Revue n'a pas fait mention, puis quelques considrations sur le style mlodique et les innovations que vous aurez le mieux senties. Je ne fais rien annoncer dans les autres journaux, parce que j'attends tous les jours la rponse de Goethe, qui m'a fait prvenir qu'il allait m'crire et qui ne m'cri t pas. Dieu! quelle impatience j'prouve de recevoir cette lettre. Je suis un peu mieux depuis deux jours. La semaine dernire, j'ai t pris d'un affaissement nerveux tel, que je ne pouvais presque plus marcher ni m'habiller le matin; on m'a conse ill des bains qui n'ont rien fait; je suis rest tranquille, et la jeunesse a repri s le dessus. Je ne puis me faire l'impossible. C'est prcisment parce que c'est imp ossible que je suis si peu vivant. Cependant il faut sans cesse m'occuper: j'cris une vie de Beethoven pour le Corre spondant. Je ne puis trouver un instant pour composer; le reste du temps, il fau t que je copie des parties. Quelle vie! Adieu. XVI 15 juillet 1829. Mon cher ami, Je vous rponds courrier par courrier, comme vous me le demandez. J'ai reu vos deux actes sans encombre. Je trouve le dernier magnifique; l'interrogatoire surtout est de la plus grande beaut; le dnouement vaut mille fois mieux que celui dont nou s tions convenus. Les observations que j'ai vous faire portent uniquement sur la coupe des morceaux de musique et le rapprochement trop frquent de sensations semb lables, qui amneraient une monotonie dsagrable au premier acte; mais nous reparlero ns de cela. Vous auriez dj reu depuis longtemps la musique que je dois vous envoyer; mais il fa ut bien finir par vous avouer le motif de ce retard. Depuis mon concert, mon pre a pris une nouvelle boutade et ne veut plus m'envoyer ma pension, de sorte que j e me trouve tellement court d'argent, que les trente ou quarante francs que coter ait la copie de mes deux morceaux m'ont arrt jusqu' prsent; je n'ai pas voulu demand er Auguste de me les prter, parce que je lui dois dj cinquante francs. Je ne puis p as copier moi-mme, puisque, depuis quinze jours, je suis enferm l'Institut; cet ab ominable concours est pour moi de la dernire ncessit, puisqu'il donne de l'argent e t qu'on ne peut rien faire sans ce vil mtal. Auri sacra fames quid non mortalia pectora cogis! Mon pre n'a pas mme voulu fournir la dpense de mon sjour l'Institut; c'est M. Lesueu r qui y a pourvu. Je vous crirai ds que j'aurai des nouvelles vous apprendre. Le j eune Daudert, qui part le 12 du mois d'aot, se chargera de vous porter la musique , si je puis l'avoir cette poque. Je suis trop abattu pour vous crire plus longuem ent. J'oubliais de vous dire que Gounet a fini son deuxime acte. Adieu. Je suis bien aise que vous ayez fait la connaissance de Casimir Faure. On donne la Vestale ce soir pour la premire fois depuis sept mois, et je ne puis y aller; j'aurais eu des billets de madame Dabadie. C'est elle qui me chantera m a scne, elle me l'a promis. XVII 21 aot 1829. Mon cher ami, Je vous envoie enfin la musique que vous attendez depuis si longtemps; il y a de ma faute et de celle de mon imprimeur. Pour moi, le concours de l'Institut m'ex cuse un peu, et toutes les nouvelles agitations, the new pangs of my despised lo ve, me justifient malheureusement trop de ne penser rien. Oui, mon pauvre et che r ami, mon cur est le foyer d'un horrible incendie; c'est une fort vierge que la f oudre a embrase; de temps en temps, le feu semble assoupi, puis un coup de vent.. . un clat nouveau... le cri des arbres s'abmant dans la flamme, rvlent l'pouvantable puissance du flau dvastateur. Il est inutile d'entrer dans les dtails des nouvelles secousses que j'ai reues der nirement; mais tout se runit. Cet absurde et honteux concours de l'Institut vient

de me faire le plus grand tort cause de mes parents. Ces messieurs les juges, qu i ne sont pas les Francs Juges, ne veulent pas, disent-ils, m'encourager dans un e fausse route. Boeldieu m'a dit: Mon cher ami, vous aviez le prix dans la main, vous l'avez jet terre. J'tais venu a vec la ferme conviction que vous l'auriez; mais quand j'ai entendu votre ouvrage !... Comment voulez-vous que je donne un prix une chose dont je n'ai pas d'ide. J e ne comprends pas la moiti de Beethoven, et vous voulez aller plus loin que Beet hoven! Comment voulez-vous que je comprenne? Vous vous jouez des difficults de l' harmonie en prodiguant les modulations; et moi qui n'ai pas fait d'tudes harmoniq ues, qui n'ai aucune exprience de cette partie de l'art! C'est peut-tre ma faute! je n'aime que la musique qui me berce. Mais, monsieur, si vous voulez que j'crive de la musique douce, il ne faut pas nou s donner un sujet comme Cloptre: une reine dsespre qui se fait mordre par un aspic et meurt dans les convulsions! Oh! mon ami, on peut toujours mettre de la grce dans tout; mais je suis bien loin de dire que votre ouvrage soit mauvais; je dis seulement que je ne le comprends pas encore, il faudrait que je l'entendisse plusieurs fois avec l'orchestre. M'y suis-je refus? D'ailleurs, en voyant toutes ces formes bizarres, cette haine pour tout ce qui es t connu, je ne pouvais m'empcher de dire mes collgues de l'Institut qu'un jeune ho mme qui a de pareilles ides, et qui crit ainsi, doit nous mpriser du fond de son cur . Vous tes un tre volcanis, mon cher ami, et il ne faut pas crire pour soi; toutes l es organisations ne sont pas de cette trempe. Mais venez chez moi, faites-moi ce plaisir, nous causerons, je veux vous tudier. D'un autre ct, Auber me prend part l'Opra, et, aprs m'avoir dit peu prs la mme ch sinon qu'il fallait faire ces cantates comme on fait une symphonie, sans gard pou r l'expression des paroles; il a ajout: Vous fuyez les lieux communs; mais vous n'avez pas redouter de faire jamais de pl atitudes; ainsi le meilleur conseil que je puisse vous donner, c'est de chercher crire platement, et, quand vous aurez fait quelque chose qui vous paratra horribl ement plat, ce sera justement ce qu'il faut. Et songez bien que, si vous faisiez de la musique comme vous la concevez, le public ne vous comprendrait pas et les marchands de musique ne vous achteraient pas. Mais, encore une fois, quand j'crirai pour les boulangers et les couturires, je n' irai pas choisir pour texte les passions de la reine d'gypte et ses mditations sur la mort. O mon cher Ferrand, je voudrais pouvoir vous faire entendre la scne o Clo ptre rflchit sur l'accueil que feront son ombre celles des Pharaons ensevelis dans les pyramides. C'est terrible, affreux! c'est la scne o Juliette mdite sur son ense velissement dans les caveaux des Capulets, environne vivante des ossements de ses aeux, du cadavre de Tybalt; cet effroi qui va en augmentant!... ces rflexions qui se terminent par des cris d'pouvante accompagns par un orchestre de basses pinant ce rythme: Au milieu de tout cela, mon pre se lasse de me faire une pension dont je ne puis me passer; je vais retourner la Cte, o je prvois bien de nouvelles tracasseries, et pourtant je ne vis que pour la musique, elle seule me soutient sur cet abme de m aux de toute espce. N'importe, il faut que j'y aille, et il faut que vous veniez me voir; songez donc que nous nous voyons si rarement, que ma vie est si fragile , et que nous sommes si prs! Je vous crirai aussitt aprs mon arrive. Guillaume Tell?... Je crois que tous les journalistes sont dcidment devenus fous; c'est un ouvrage qui a quelques beaux morceaux, qui n'est pas absurdement crit, o il n'y a pas de crescendo et un peu moins de grosse caisse, voil tout. Du reste, point de vritable sentiment, toujours de l'art, de l'habitude, du savoir-faire, d u maniement du public. a ne finit pas; tout le monde bille, l'administration donne force billets. Adolphe Nourrit, dans le jeune Melchtal, est sublime; mademoisel le Taglioni n'est pas une danseuse, c'est un esprit de l'air, c'est Ariel en per sonne, une fille des cieux. Et on ose porter cela plus haut que Spontini! J'en p arlais avant-hier avec M. de Jouy, l'orchestre. On donnait Fernand Cortez, et, q uoique l'auteur du pome de Guillaume Tell, il ne parlait de Spontini que comme no us, avec adoration. Il (Spontini) revient incessamment Paris; il s'est brouill av

ec le roi de Prusse, son ambition l'a perdu. Il vient de donner un opra allemand qui est tomb plat; les succs de Rossini le font devenir fou: cela se conoit; mais i l devrait se mettre au-dessus des engouements du public. L'auteur de la Vestale et de Cortez crire pour le public!... Des gens qui applaudissent le Sige de Corint he, venir me dire qu'ils aiment Spontini, et celui-ci rechercher de pareils suff rages!... Il est trs malheureux; le non-succs de son dernier ouvrage le tue. Je fais des mlodies irlandaises de Moore, que Gounet me traduit; j'en ai fait une , il y a quelques jours, dont je suis ravi. Ces jours-ci, on va prsenter un opra p our moi Feydeau, j'en suis fort content; puisse-t-il tre reu! Vous me promettez toujours quelque chose et vous ne faites rien; cependant nous touchons une rvolution thtrale qui nous serait favorable, songez-y! La Porte-SaintMartin est ruine, les Nouveauts de mme; et les directeurs de ces deux thtres tendent les bras la musique; il est vraisemblable que le ministre va donner l'autorisatio n d'un thtre d'opra nouveau; je vous le dis parce que je le sais. Adieu. XVIII 3 octobre 1829. Mon cher Ferrand, Je vous cris deux mots la hte. Les hostilits ont recommenc. Je donne un concert le 1 er novembre prochain, jour de la Toussaint. J'ai dj obtenu la salle des Menus-Plaisirs; Chrubini, au lieu de me contrarier cett e fois-ci, est indispos. Je donnerai deux grandes ouvertures: le Concert des Sylp hes, le Grand Air de Conrad (auquel j'ai ajout un rcitatif oblig et dont j'ai retou ch l'instrumentation). C'est madame J. Dabadie qui m'a promis hier de me le chanter. Hiller me joue un concerto de piano de Beethoven, qui n'a jamais t excut Paris; subl ime! immense! Mademoiselle Heinefetter, dont les journaux ont d vous apprendre le succs au thtre I talien, me chantera la scne du Freyschtz en allemand; du moins, elle ne demande pa s mieux; il ne manque plus que l'autorisation de M. Laurent, le directeur. Habeneck conduit mon orchestre, lequel, vous pouvez le croire, sera fulminant. Sera-t-il dit que vous ne m'entendrez jamais? Venez donc Paris, ne ft-ce que pour huit jours. Je n'ai pas pu aller la Cte. J'ai tant courir, copier, que je vous quitte dj; mais rivez-moi le plus tt possible, je vous en prie. Apprenez-moi surtout que vous tro uverez quelque prtexte auprs de votre pre pour venir passer la Toussaint ici. Adieu. Meyerbeer vient d'arriver de Vienne; le lendemain de son retour, il m'a fait com plimenter par Schlesinger, sur Faust. Un journal musical m'a fait un article de trois colonnes. Si je puis m'en procur er encore un exemplaire, je vous l'enverrai. Farewell, we may meet again, I trust, come, come then; 'tis not so long. XIX Vendredi soir, 30 octobre 1829. Ferrand, Ferrand, mon ami! o tes-vous? Nous avons fait la premire rptition ce matin. Quarante-deux violons, total cent dix musiciens! Je vous cris chez le restaurateu r Lemardelay en attendant mon dessert. Rien, je vous jure, rien n'est si terribl ement affreux que mon ouverture des Francs Juges. O Ferrand, mon cher ami, vous me comprendriez; o tes-vous? C'est un hymne au dsespoir, mais le dsespoir le plus dse sprant qu'on puisse imaginer, horrible et tendre. Habeneck, qui conduit mon immen se orchestre, en est tout effray. Ils n'ont jamais rien vu de si difficile; mais aussi il parat qu'ils trouvent que ce n'est pas mal, car ils me sont tombs dessus aprs la fin de l'ouverture, non seulement avec des applaudissements forcens, mais avec des cris presque aussi effrayants que ceux de mon orchestre. O Ferrand, Fer rand, pourquoi n'tes-vous pas ici? Je vais l'Opra tout l'heure chercher l'harmonica; on m'en a apport un ce matin qui est trop bas, et nous n'avons pu nous en servir. Le sextuor de Faust va ravir, mes sylphes sont enchants. L'ouverture de Waverley ne va pas encore bien; demain, nous la rpterons encore, et dfinitivement elle ira. Et le Jugement dernier, comme

vous le connaissez, plus un rcitatif accompagn par quatre paires de timbales en ha rmonie. O Ferrand! Ferrand! cent vingt lieues! ...Hier, j'tais malade ne pouvoir marcher; aujourd'hui, le feu de l'enfer qui a d ict les Francs Juges m'a rendu une force incroyable; il faut que je coure encore ce soir tout Paris. Le concerto de Beethoven est une conception prodigieuse, tonn ante, sublime! Je ne sais comment exprimer mon admiration. Oh! les sylphes!... Je me suis fait un solo de grosse caisse pianissimo dans les Francs Juges. Intonuere cav gemitumque dedere cavern. Enfin, c'est affreux! tout ce que mon cur peut contenir de rage et de tendresse e st dans cette ouverture. O Ferrand! XX Paris, 6 novembre 1829. Mon cher Ferrand, J'aurais d plus tt vous rendre compte de mon concert; d'aprs ma dernire lettre, vous tes sans doute bouillant d'impatience d'avoir des dtails. Mais d'abord tes-vous bi en rtabli? Votre maladie a-t-elle tout fait disparu? Gounet a reu une lettre d'Aug uste, qui lui apprenait le mauvais tat de votre sant, et ce que vous m'en avez dit vous-mme me fait craindre qu'elle ne soit pas encore trs bonne. Quoi qu'il en soit, puisque vous vous intressez si vivement ce qui me touche et q ue votre amiti vous fait prendre tant de part toutes mes agitations, je vous dira i que j'ai obtenu un succs immense; l'ouverture des Francs Juges surtout a boulev ers la salle; elle a obtenu quatre salves d'applaudissements. Mademoiselle Marino ni venait d'entrer en scne pour chanter une pasquinade italienne; profitant de ce moment de calme, j'ai voulu me glisser entre les pupitres pour prendre une lias se de musique sur une banquette; le public m'a aperu; alors les cris, les bravos ont recommenc, les artistes s'y sont mis, la grle d'archets est tombe sur les violo ns, les basses, les pupitres; j'ai failli me trouver mal. Et des embrassades n'e n plus finir; mais vous n'tiez pas l!... En sortant, aprs que la foule a t coule, les rtistes m'ont attendu dans la cour du Conservatoire, et, ds que j'ai paru, les ap plaudissements en plein air ont recommenc. Le soir, l'Opra, mme effet; c'tait une fe rmentation l'orchestre, au foyer. O mon ami, que n'tes-vous ici! Depuis dimanche, je suis d'une tristesse mortelle; cette foudroyante motion m'a abm; j'ai sans cess e les yeux pleins de larmes, je voudrais mourir. Quant la recette, elle a totalement couvert les frais, et mme j'y gagne cent cinq uante francs. Je vais en donner les deux tiers Gounet, qui a eu la bont de me prte r de l'argent et qui en est, je crois, plus press que vous. Aussitt que j'aurai pu raliser une somme un peu prsentable, je m'empresserai de vous la faire parvenir; car je suis tourment de vous devoir si longtemps. Il n'y a encore que le Figaro et les Dbats qui aient parl de mon concert. Castil-B laze n'entre dans aucun dtail; ces animaux ne savent parler que quand il n'y a ri en dire; je vous enverrai tous les journaux littraires qui auront fait mention de moi. Adieu; rtablissez-vous vite et crivez-moi. Votre ami. XXI Paris, 4 dcembre 1829. Mon cher Ferrand, Je ne reois point de rponse deux lettres que je vous ai adresses et l'envoi des jou rnaux relatifs mon concert. Vous tes malade; c'est sr; n'auriez-vous point de moye ns de me faire donner de vos nouvelles et de me tirer de l'inquitude mortelle o je suis depuis si longtemps?... Une lettre d'Auguste Gounet ne disait rien de bon sur votre sant. Je vous en prie, crivez-moi seulement un mot ou faites-moi crire. Je vous enverrai dans peu quelques nouvelles compositions que je viens de faire graver. Adieu. J'attends. XXII Paris, 27 dcembre 1829.

Mon cher Ferrand, D'abord les affaires srieuses. J'ai vu M. Rocher le soir mme du jour o j'ai reu votre lettre. Il m'a rpondu, au suj et de Germain, qu'une seule place de juge auditeur tait vacante Lyon et qu'elle v enait d'tre donne. Ainsi il n'y a pas d'espoir. Puis les flicitations. Je vous complimente mille fois, mon tour, sur le beau succs que vous venez d'obte nir. Je ne suis pas en peine sur l'impression que vous avez d produire, anim comme vous l'tiez par l'indignation et l'intrt que vous inspire votre client.Encore! Embr assez bien pour moi cet excellentissime Auguste; je suis heureux pour lui de cet te bonne chance. Gounet lui adresse beaucoup de flicitations l-dessus. Dites-lui q ue si je ne lui ai pas crit, c'est que... c'est que... je suis un paresseux qui p ense cependant toujours lui avec la plus vive affection. Ensuite les reproches. Vous n'tes pas pardonnable de m'avoir laiss aussi longtemps dans l'inquitude. Je vo us ai crit trois fois, et vous me rpondez un mois et demi aprs la troisime lettre. J e vous croyais toujours malade. Je pensais que, peut-tre, on avait intercept nos l ettres. Je vous ai envoy les journaux; ils se sont perdus. Si vous y tenez beauco up, je vous adresserai les exemplaires que j'ai, condition que vous me les renve rrez aprs les avoir lus. Je puis en avoir besoin. Puis les promesses. Vous recevrez, d'ici une vingtaine de jours, notre collection de Mlodies irlandai ses, avec le ballet des Ombres, que Dubois m'a pri de faire et qui est dj grav. J'ai essay une musique pour un des couplets de votre satanique chanson. Elle est pass able pour cette strophe; mais elle ne peut aller avec les autres. C'est horrible ment difficile faire. Vous tes trop pote pour le musicien. Je ne sais si je russira i. Dans tous les cas, votre morceau est admirable de vrit horrible, d'expressions hardies et de nouveaut. Ensuite les aveux. Je m'ennuie, je m'ennuie!... Toujours la mme chose!... Mais je m'ennuie prsent avec une rapidit tonnante, je consomme plus d'ennuis en une heure qu'autrefois en un jour. Je bois le temps comme les canards mchent l'eau p our y trouver vivre, et, comme eux, je n'y trouve que quelques insectes malotrus . Que faire? que faire? Adieu; au moins, rpondez-moi toutes les deux lettres. Votre ami. XXIII Paris, 2 janvier 1830. Mon cher ami, Je vous ai crit il y a huit jours; votre lettre que je reois l'instant ne fait pas mention de la mienne; il est possible que les mauvais chemins, en retardant le courrier, aient fait croiser notre correspondance. Dieu veuille qu'elle ne soit pas encore perdue! Non, je n'ai jamais eu de nouvelle des trente-cinq francs que vous m'avez expdis d e Lyon. Je vous l'avais fait savoir dans l'une des trois lettres que je vous ai adresses depuis mon concert; comme vous ne m'en avez manifest ni inquitude ni tonnem ent dans votre tardive rponse, je pense que la lettre o je vous en parlais ne vous est pas non plus parvenue. J'aurais depuis longtemps remis Marescot les trentecinq francs que M. Dupart lui doit; mais le fait est que, depuis que je me suis mis faire graver ma musique, je n'ai jamais eu la moindre avance disponible. Qua nd ensuite vous m'crivtes, il y a un mois et demi, que vous m'aviez adress de Lyon un mandat de trente-cinq francs, je vous crivis que je ne l'avais pas reu, et j'at tendais pour savoir ce qu'il tait devenu. Jamais je ne fus plus surpris qu'en voy ant le silence que vous gardiez cet gard dans votre avant-dernire lettre. Ainsi donc, vous m'avez envoy une fois le manuscrit des Francs Juges......... PER DU!. Une autre fois, un mandat de trente-cinq francs......... Perdu!. Je vous ai envoy un paquet de journaux affranchis par moi et mis la poste par moi . Perdu!.

Vous m'crivtes de ne pas vous rpondre quatre jours avant votre dernier voyage Paris ; si vous ne me l'aviez pas dit, je n'en saurais rien. PERDU!. Je vous avais crit cette fameuse lettre dont le sort nous a si fort inquit......... PERDU!. Je vous crit trois fois depuis mon concert et vous ai appris dans la seconde lett re, je crois, que je n'avais pas reu l'argent de Marescot; ce n'est qu'aujourd'hu i que vous me dites que vous le savez; encore n'est-ce pas moi qui vous en infor me; donc, cette lettre a encore t... PERDU! Mon cher ami, il y a quelque chose d'extraordinaire dans tout cela qu'il faut ab solument claircir. Marescot est parti ces jours-ci pour la province; je le rencontrai chez mon impr imeur dernirement, et il m'apprit qu'il allait crire M. Dupart pour son argent. Da ns le cas mme o il serait ici, je serais absolument incapable de le lui donner; ca r je suis dans ce moment avec ma pension paye et vingt francs. Je dois recevoir d eux cents francs de Troupenas dans quelques jours, pour les corrections de Guill aume Tell que je fais pour lui. Je suis toujours ainsi, mille fois plus gueux qu 'un peintre; je n'ai en tout que deux lves qui me rapportent quarante-quatre franc s par mois. Mon pre m'envoie de l'argent de temps en temps; puis, quand j'ai pris mes mesures pour tre un peu l'aise, viennent ses commissions, qu'il faut presque toujours payer, qui drangent toute mon conomie. Je vous dois, je dois encore plus de cent francs Gounet; cette gne perptuelle, ces ides de dettes, quoiqu'elles soie nt contractes envers des amis prouvs, me tourmentent continuellement. D'un autre ct, votre pre couve toujours l'absurde ide que je suis un joueur, moi qui n'ai jamais touch une carte ni mis le pied dans une maison de jeu. Cette pense qu'aux yeux de vos parents notre liaison n'est pas des plus avantageuses pour vous me met hors de moi. Ne m'envoyez pas votre Dernire Nuit de Faust. Si je l'avais entre les mains, je n e pourrais rsister; cependant mon plan de travail est trac pour longtemps. J'ai fa ire une immense composition instrumentale pour mon concert de l'anne prochaine, a uquel il faudra bien que vous assistiez. Si je russis dans votre chanson de Briga nds que je trouve sublime, vous ne l'attendrez pas longtemps. On grave nos mlodie s; ds qu'elles paratront, nous vous les expdierons: ce qui ne veut pas dire que vou s les recevrez. Plusieurs vous plairont, je l'espre. Nous les faisons graver nos frais, Gounet et moi, et nous comptons y gagner au bout de quelque temps. Avez-v ous les Contes fantastiques d'Hoffman? C'est fort curieux! Quand vous verrons-nous ici? crivez-moi donc plus souvent, je vous en prie en grce . Adieu; je vous embrasse. XXIV Paris, 6 fvrier 1830. Mon cher ami, Votre lettre et les trente-cinq francs qu'elle contenait me sont parvenus cette fois. Marescot n'est pas Paris; ds qu'il sera revenu, je les lui remettrai. Je frm is en songeant ce que vous devez souffrir de vos dents; si cela peut vous consol er, je vous dirai que je suis peu prs dans le mme cas; toutes mes dents se carient peu peu, et, le mois dernier, je souffrais comme un damn! J'ai essay de plusieurs eaux spiritueuses; le paraguay-roux, dont j'avais beaucoup entendu parler, a ca lm en deux jours une douleur terrible, cause par une dent creuse; je remplissais l e creux avec du coton imbib, et je me gargarisais la bouche avec de l'eau dans la quelle j'avais vers quelques gouttes du spcifique; essayez-en, ne ngligez rien; mai s j'ai un autre mal dont rien, ce qu'il parat, ne pourra me gurir, qu'un spcifique contre la vie. Aprs quelque temps d'un calme troubl violemment par la composition de l'lgie en pros e qui termine mes Mlodies, je viens d'tre replong dans toutes les angoisses d'une i nterminable et inextinguible passion, sans motif, sans sujet. Elle est toujours Londres, et cependant je crois la sentir autour de moi; tous mes souvenirs se rve illent et se runissent pour me dchirer; j'coute mon cur battre, et ses pulsations m'b ranlent comme les coups de piston d'une machine vapeur. Chaque muscle de mon cor

ps frmit de douleur... Inutile!... Affreux!... Oh! malheureuse! si elle pouvait un instant concevoir toute la posie, tout l'infi ni d'un pareil amour, elle volerait dans mes bras, dt-elle mourir de mon embrasse ment. J'tais sur le point de commencer ma grande symphonie (pisode de la vie d'un artist e), o le dveloppement de mon infernale passion doit tre peint; je l'ai toute dans l a tte, mais je ne puis rien crire... Attendons. Vous recevrez, en mme temps que ma lettre, deux exemplaires de mes chres Mlodies; u n artiste du Thtre-Italien de Londres vient d'en emporter pour Moore, qu'il connat et qui nous les avons ddies. Adolphe Nourrit vient de les adopter pour les chanter aux soires o il va habituellement. Il s'agit maintenant de les faire annoncer; mais je n'ai plus d'activit... Mon cher ami, crivez-moi souvent et longuement, je vous en supplie; je suis spar de vous; que vos penses me parviennent du moins. Il m'est insupportable de ne pas v ous voir; faut-il qu' travers les nuages chargs de foudre qui grondent sur ma tte u n seul rayon de l'astre paisible ne puisse venir me consoler!... Adieu donc; j'attends une lettre de vous dans neuf jours, si votre tat maladif vo us permet d'crire. Votre fidle ami. XXV Paris, 16 avril 1830. Mon cher ami, J'ai demeur bien longtemps sans vous crire, mais j'ai aussi vainement attendu la l ettre que vous deviez m'adresser par Auguste son passage Paris; depuis ma dernire , j'ai essuy de terribles rafales, mon vaisseau a craqu horriblement, mais s'est e nfin relev; il vogue prsent passablement. D'affreuses vrits, dcouvertes n'en pouvoir douter, m'ont mis en train de gurison; et je crois qu'elle sera aussi complte que ma nature tenace peut le comporter. Je viens de sanctionner ma rsolution par un o uvrage qui me satisfait compltement et dont voici le sujet, qui sera expos dans un programme et distribu dans la salle le jour du concert. pisode de la vie d'un artiste (grande symphonie fantastique en cinq parties). Premier morceau: double, compos d'un court adagio, suivi immdiatement d'un allgro dv elopp (vague des passions; rveries sans but; passion dlirante avec tous ses accs de tendresse, jalousie, fureur, craintes, etc., etc.). Deuxime morceau: Scne aux champs (adagio, penses d'amour et esprance troubles par de noirs pressentiments). Troisime morceau: Un bal (musique brillante et entranante). Quatrime morceau: Marche au supplice (musique farouche, pompeuse). Cinquime morceau: Songe d'une nuit du sabbat. A prsent, mon ami, voici comment j'ai tiss mon roman, ou plutt mon histoire, dont i l ne vous est pas difficile de reconnatre le hros. Je suppose qu'un artiste dou d'une imagination vive, se trouvant dans cet tat de l 'me que Chateaubriand a si admirablement peint dans Ren, voit pour la premire fois une femme qui ralise l'idal de beaut et de charmes que son cur appelle depuis longte mps, et en devient perdument pris. Par une singulire bizarrerie, l'image de celle q u'il aime ne se prsente jamais son esprit que accompagne d'une pense musicale dans laquelle il trouve un caractre de grce et de noblesse semblable celui qu'il prte l' objet aim. Cette double ide fixe le poursuit sans cesse: telle est la raison de l' apparition constante, dans tous les morceaux de la symphonie, de la mlodie princi pale du premier allgro (n 1). Aprs mille agitations, il conoit quelques esprances; il se croit aim. Se trouvant un jour la campagne, il entend au loin deux ptres qui dialoguent un ranz de vaches; ce duo pastoral le plonge dans une rverie dlicieuse (n 2). La mlodie reparat un inst ant au travers des motifs de l'adagio. Il assiste un bal, le tumulte de la fte ne peut le distraire; son ide fixe vient e ncore le troubler, et la mlodie chrie fait battre son cur pendant une valse brillan te (n 3). Dans un accs de dsespoir, il s'empoisonne avec de l'opium; mais, au lieu de le tue

r, le narcotique lui donne une horrible vision, pendant laquelle il croit avoir tu celle qu'il aime, tre condamn mort et assister sa propre excution. Marche au supp lice; cortge immense de bourreaux, de soldats, de peuple. A la fin, la mlodie repa rat encore, comme une dernire pense d'amour, interrompue par le coup fatal (n 4). Il se voit ensuite environn d'une foule dgotante de sorciers, de diables, runis pour fter la nuit du sabbat. Ils appellent au loin. Enfin arrive la mlodie, qui n'a en core paru que gracieuse, mais qui alors est devenue un air de guinguette trivial , ignoble; c'est l'objet aim qui vient au sabbat, pour assister au convoi funbre d e sa victime. Elle n'est plus qu'une courtisane digne de figurer dans une telle orgie. Alors commence la crmonie. Les cloches sonnent, tout l'lment infernal se pros terne, un chur chante la prose des morts, le plain-chant (Dies ir), deux autres chu rs le rptent en le parodiant d'une manire burlesque; puis enfin la ronde du sabbat tourbillonne, et, dans son plus violent clat, elle se mle avec le Dies ir, et la vi sion finit (n 5). Voil, mon cher, le plan excut de cette immense symphonie. Je viens d'en crire la der nire note. Si je puis tre prt le jour de la Pentecte, 30 mai, je donnerai un concert aux Nouveauts, avec un orchestre de deux cent vingt musiciens. J'ai peur de ne p ouvoir pas avoir la copie des parties. A prsent, je suis un stupide; l'effroyable effort de pense qui a produit mon ouvrage a fatigu mon imagination, et je voudrai s pouvoir dormir et me reposer continuellement. Mais, si le cerveau sommeille, l e cur veille, et je sens bien vivement que vous me manquez. O mon ami, ne vous re verrai-je donc pas? XXVI Paris, 13 mai 1830. Mon cher ami, Vous avez d recevoir par votre cousin Eugne Daudert une lettre de moi, peu prs le mm e jour que je reus la vtre. Je ne laisse pas partir Auguste sans le charger d'une autre. Il me dit qu'il vous verra peu aprs son arrive. Votre lettre m'a excessivem ent touch; cette sollicitude inquite pour le danger que vous supposiez que je cour ais l'gard d'Henriette Smithson, vos effusions de cur, vos conseils!... Oh! mon ch er Humbert, il est si rare de trouver un homme complet, qui ait une me, un cur et une imagination, si rare pour des caractres ardents et impatients comme les ntres de se rencontrer, de s'assortir, que je ne sais comment vous exprimer mes ides su r le bonheur que j'ai de vous connatre. Je pense que vous aurez t satisfait du plan de ma Symphonie fantastique, que je vo us ai envoy dans ma lettre. La vengeance n'est pas trop forte. D'ailleurs, ce n'e st pas dans cet esprit que j'ai crit le Songe d'une nuit de sabbat. Je ne veux pa s me venger. Je la plains et la mprise. C'est une femme ordinaire, doue d'un gnie i nstinctif pour exprimer les dchirements de l'me humaine qu'elle n'a jamais ressent is, et incapable de concevoir un sentiment immense et noble comme celui dont je l'honorais. Je termine aujourd'hui mes derniers arrangements avec les directeurs des Nouveau ts pour mon concert du 30 de ce mois. Ce sont de fort honntes gens et trs accommoda nts; nous commenons rpter la Symphonie gigantesque dans trois jours; toutes les par ties sont copies avec le plus grand soin; il y a deux mille trois cents pages de musique; prs de quatre cents francs de copie. Il faut esprer que nous ferons une r ecette prsentable, le jour de la Pentecte, tous les thtres tant ferms. L'incroyable chanteur Haitzinger doit chanter; j'espre avoir madame Schroeder-Dev rient, qui, avec son mule, bouleverse tous les deux soirs la salle Favart dans le s opras du Freyschtz et de Fidelio. A propos, Haitzinger m'a demand dernirement s'il y avait un grand rle de tnor pour l ui dans notre opra des Francs Juges; sur ma rponse, et sur ce que lui ont dit de m oi tous les Allemands de sa connaissance, il voudrait emporter le pome, avec les morceaux de chant sans orchestre, pour le faire traduire, et il donnerait la par tition nouvelle son bnfice, qui doit avoir lieu cette anne Carlsruhe. Ce serait cha rmant; il faut seulement que je termine tout cela, pour le finale des Bohmiens et deux ou trois airs de tnor et de soprano, avec quintette. Je partirais pour Carl sruhe dans quelques mois, prcd d'une espce de rputation faite par Haitzinger et autre s. Je vous dirai que vous vous tes peu prs rencontr avec Onslow, dans votre jugement s

ur mes Mlodies; il prfre les quatre suivantes: d'abord la Chanson boire, l'lgie, la R erie et le Chant sacr. Mon cher, ce n'est pas si difficile que vous croyez; mais il faut des pianistes. Quand j'cris un piano, c'est pour quelqu'un qui sait jouer du piano et non pour des amateurs qui ne savent seulement pas lire la musique. Les demoiselles Lesueur, qui certes ne sont pas des virtuoses, accompagnent fort bien l'lgie en prose, qui est avec le Chant guerrier ce qu'il y a de moins ais. Ce tte pauvre mademoiselle Eugnie, qui a une passion malheureuse pour un aimable garo n, froid et peu sensible, a d'abord t dsoriente par ce morceau. Elle m'a avou qu'elle n'y avait absolument rien compris dans le commencement; puis, en l'tudiant, elle a dcouvert une pense, elle s'est reconnue dans ce douloureux tableau des angoisse s d'un mourant d'amour; prsent, c'est chez elle une fureur, elle joue continuelle ment la neuvime M